vendredi 12 décembre 2014

Renoncer aux objets

Luca, le héros de La Désobéissance de Moravia, est un adolescent de quinze ans. Il entre en révolte car il a le sentiment d'être floué et traité comme un objet. Pris séparément, les faits qui suscitent son dégoût peuvent sembler peu importants. Mais leur somme a un effet radical. Il découvre, par exemple, que ses parents le faisaient prier devant une image de la Madone qui, en réalité, ne servait qu'à dissimuler un coffre-fort mural. La tartufferie du monde bourgeois l’écœure. Au cours d'un voyage en train, ses parents, qui lui avaient promis de déjeuner au wagon-restaurant, décident sans le consulter de manger des sandwiches dans le compartiment. Ce qui irrite Luca, dit le narrateur, c'est qu'on le traite comme un objet qui n'a ni goût, ni préférence, ni volonté. Il n'y a nulle place pour sa volonté, ni en famille, ni à l'école, ni ailleurs. Ainsi la vie lui paraît-elle dépourvue de sens. Il ne parvient pas à exister en tant que personne, à s'affirmer. Alors, il choisit la révolte, la désobéissance passive. Il cesse de travailler, se défait peu à peu de tous les objets qui lui appartiennent et réduit progressivement son alimentation. Il renonce à un monde où sa subjectivité ne peut se projeter. C'est une ascèse négative qu'il mène méthodiquement, comme un jeu dont l'issue doit être la mort. Il offre sa précieuse collection de timbres à un camarade qui lui déplaît. Il vend à bas prix ses jouets et ses livres et enterre toutes ses économies. Il se met en grève de la vie et entreprend une guerre larvée contre un monde qui ne tient aucun compte de sa volonté. Dans ce roman publié en 1948, Moravia apporte sa contribution à l'existentialisme. Il montre comment un tout jeune homme, petit frère de Joseph K., de Roquentin ou de Meursault, peut faire l'expérience du vide, du monde désert, du défaut de sens, de ce que Heidegger appelle déréliction. Chez Heidegger, cette prise de conscience se fait dans l'angoisse et se résout par la résolution, l'affirmation de la volonté. Or, si Luca n'éprouve pas exactement de l'angoisse, mais plutôt de la haine et du dégoût, c'est par sa résolution qu'il répond à un monde qui l'ignore. Quand il trouve enfin un sens, par le sexe et la tendresse d'une femme, il cesse de voir les objets comme des choses absurdes, malveillantes ou réfractaires, il se réconcilie avec le monde et avec les objets qui l'habitent.

Voici un petit essai d'étudiant sur ce roman :


Luca est un lycéen qui décide de renoncer à tout ce qui le lie au monde : l’école, les relations sociales, la nourriture mais aussi les objets. Quel rapport entretient-il avec les objets ? Nous verrons dans une première partie son détachement vis-à-vis des objets, puis dans une deuxième partie sa réconciliation avec le monde.
I. Luca renonce aux objets.
Dès le début, Luca se sent comme un objet car il ne parvient pas à maîtriser le monde qui l’entoure. Dans une scène, ses parents ignorent par exemple son désir d’aller manger au wagon-restaurant et décident de manger un sandwich. Il s’aperçoit du dégoût qu’il ressent pour le monde et décide alors de renoncer progressivement aux liens qui les unissent. Après s’être désintéressé de l’école et des relations sociales, Luca prend goût au jeu et décide de se séparer des objets, de ses collections de timbres et de livres, jusqu’à son argent.
Bien que la séparation d’avec ses collections ait pris la forme d’un amusement – ou du moins n’ait pas été douloureux - l’enterrement de son argent en revanche a été un moyen d’apaiser une haine enfouie en lui comme en vomissant sur le train. Luca a en effet découvert que ses parents cachaient un coffre-fort derrière l’image de la Madone, devant laquelle il priait lors de son enfance.
II. Luca se réconcilie avec les objets.
Au terme de son délire, Luca se réveille avec une approche totalement différente des objets. Il se réveille aux côtés d’une infirmière avec laquelle il retrouve une sensation de chaleur protectrice. C’est d’ailleurs la perte de cette sensation aux côtés de ses parents qui lui semble être l’élément déclencheur de son jeu. Il se sent alors comme un objet aux mains de l’infirmière et en tire une grande satisfaction. Il ressent par la suite un sentiment d’acceptation et de tolérance vis-à-vis des objets qui lui semblaient auparavant absurdes. Il finira d’ailleurs par étendre cette sensation d’indulgence envers tout ce qui le lie au monde.
En conclusion, Luca renonce au monde et aux objets sous forme de jeu. Il ne veut pas se conformer à un monde qu’il n’a pas souhaité et qu’il n’aime pas. Luca trouve d’abord les objets absurdes et s’en sépare avec amusement ou par vengeance. Au réveil de son délire, l’amour réciproque qu’il porte à l’infirmière lui fait ressentir pour la première fois qu’il peut maîtriser le monde qui l’entoure. Il se plaît à se sentir comme un objet aux mains de l’infirmière et finit par accepter les objets.


Thomas Maro, TS BAT 2