lundi 27 avril 2015

Ces objets qui nous envahissent (bilan)



Rapport avec les objets :

Le culte des objets :
Intérêt pour les objets, soins apportés à leur conception, à leur production, à leur distribution, à leur perfectionnement, à leur usage, à leur valorisation.
L'objet nous intéresse parce qu'il sert à la satisfaction de nos besoins.
Besoins physiologiques (objets servant à boire, à manger, à dormir, à nous vêtir, à assurer notre hygiène et notre santé) : valeur d'usage
Besoin de sécurité (objets constituant un environnement personnel stable) : valeur affective
Besoin d'appartenance (objets signifiant notre appartenance à une communauté, à un groupe) : valeur affective (RobinsonCrusoé)
Besoin d'estime (objets signifiant notre valeur sociale) : valeur affective
Besoin de réalisation de soi (objets servant à l'accomplissement de nos projets ou de nos rêves) : valeur d'usage, valeur affective (et en particulier esthétique ou spirituelle) (Corps et âme)

Notre relation aux objets est une relation du créateur à sa création.

Nous les produisons.
Production artisanale : l'opérateur accomplit des tâches diversifiées.
Production industrielle : division du travail en tâches simples et répétitives.
Production de masse : début avec Ford.
Les objets produits pour le marché sont des marchandises. Ils prennent une valeur monétaire.
Nous les consommons.
Consommer : acheter, utiliser.
" Action d'amener une chose à perdre sa valeur économique par l'usage qu'on en fait pour la satisfaction de besoins personnels ou collectifs. " (TLF sens économique)
Certains objets ne perdent pas leur valeur économique malgré l'achat et l'utilisation (œuvres d'art, objets de collection, objets recherchés pour leur ancienneté et leur rareté).

Nous sommes les maîtres des objets :
Ils sont notre création exclusive puisque les animaux n'en créent pas.
Cependant nous dépendons d'eux (de la société qui les produit, de la nature qui fournit leur matière première).
Cette dépendance peut être libre ou non.
Individuellement, lorsqu'elle n'est plus libre, elle devient addiction. Collectivement, elle devient déraisonnable si elle entraîne des inconvénients majeurs.

Les principaux inconvénients de la dépendance aux objets dans la société de consommation sont :
La frustration et l'envie dues au manque d'argent.
L'endettement (Madame Bovary).
Le gaspillage des ressources.
La pollution.
L'achat compulsif (Citizen Kane).
L'absence d'intérêt pour les autres sources du bonheur (Les Choses).

Notre dépendance aux objets dans la société de consommation est conditionnée par :
La publicité.
L'obsolescence programmée.
La mode.
La rivalité ostentatoire (Veblen) ou le désir de distinction (Bourdieu, Baudrillard) et d'appartenance à un groupe.

Notre rapport aux objets est conditionné par la société et ses règles. Ce rapport est codifié.
Notre identité sociale implique des objets caractéristiques et fonctionnels : objets propres à un métier, à un ordre (La Chanson de Roland), à une classe sociale, à un genre, à une communauté.
L'objet est une extension de l'homme qui transforme la nature pour l'assimiler, se l'approprier, l'humaniser. Individuellement, l'objet possédé est un témoin de la personne, un marqueur du moi dans l'espace et dans le temps. Le milieu étranger, voire hostile, est acculturé, rendu familier. L'espace rempli d'objets personnels devient une zone tampon entre le corps et le dehors, le monde extérieur hostile.

lundi 20 avril 2015

Quand l'objet devient étranger

Cet extrait de La Nausée montre bien que l'objet est perçu habituellement à travers les usages communs que l'on en fait. Il est en quelque sorte pris dans le réseau de ces usages, habité par les significations (ou les renvois, dirait Heidegger) qui l'intègrent dans notre monde. Mais, quand la solitude de Roquentin efface cet "appareil" de renvois et de significations sédimentées par l'usage commun, alors l'objet lui apparaît étranger. Il semble débarrassé de cette glu de sens dont notre conscience l'enveloppe. Et l'étrangeté de l'objet quasiment déshumanisé devient inquiétante. Roquentin voit la coupure ou la dissociation : un fossé entre l'objet et la conscience. L'objet (et avec lui le réel) est comme perçu à travers de l'eau (ou à travers une vitre, dira Sartre à propos de L'Etranger). Et la peur (ou l'angoisse) sourd de cette dissociation. Quelques années plus trad, Camus prêtera à Meursault une expérience similaire, celle de l'angoisse sur la plage dévorée par le soleil. Ces expériences paraissent identiques à ce que décrivent les personnes sujettes à la dépersonnalisation et à la déréalisation.
"Maintenant, il y a partout des choses comme ce verre de bière, là, sur la table. Quand je le vois, j’ai envie de dire : pouce, je ne joue plus. Je comprends très bien que je suis allé trop loin. Je suppose qu’on ne peut pas « faire sa part » à la solitude. Cela ne veut pas dire que je regarde sous mon lit avant de me coucher, ni que j’appréhende de voir la porte de ma chambre s’ouvrir brusquement au milieu de la nuit. Seulement, tout de même, je suis inquiet : voilà une demi-heure que j’évite de regarder ce verre de bière. Je regarde au-dessus, au-dessous, à droite, à gauche : mais lui je ne veux pas le voir. Et je sais très bien que tous les célibataires qui m’entourent ne peuvent m’être d’aucun secours : il est trop tard, je ne peux plus me réfugier parmi eux. Ils viendraient me tapoter l’épaule, ils me diraient : « Eh bien, qu’est-ce qu’il a, ce verre de bière ? Il est comme les autres. Il est biseauté, avec une anse, il porte un petit écusson avec une pelle et sur l’écusson on a écrit « Spatenbräu ». Je sais tout cela, mais je sais qu’il y a autre chose. Presque rien. Mais je ne peux plus expliquer ce que je vois. À personne. Voilà : je glisse tout doucement au fond de l’eau, vers la peur." L'angoisse est l'expérience d'une perte du sens, perte qui laisse l'objet (et le monde) nu, comme une chose (un rien) sur laquelle notre projet n'a plus aucune prise, un fragment de matière qui ne nous renvoie plus notre image et celle des autres. L'objet ne reflète plus notre conscience ou notre intention, il l'absorbe comme le noir absorbe la lumière, il l'aspire tel un abîme (l'Abgrund ou le sans-fond dont parle Heidegger). 

jeudi 16 avril 2015

Cette part de rêve : corrigé d'écriture personnelle (sujet n°6)



Les rêveurs manquent-ils de lucidité ? (Le corpus se trouve ici.)

Développement (sans l'introduction et la conclusion) :

On peut penser que les rêveurs manquent de lucidité. La lucidité est la faculté de voir les choses avec justesse, telles qu'elles sont. Or le rêveur se plaît à embellir la réalité, à imaginer un état de choses propre à satisfaire son désir. Ainsi, Emma Bovary se fait-elle des illusions sur les hommes dont elle s'éprend. Elle ne se rend pas compte que Rodolphe n'est qu'un libertin qui n'a aucune intention de vivre un amour romantique. Elle ne voit pas que Léon n'est au fond qu'un petit bourgeois qui fera passer sa carrière avant elle. Son rêve d'amour l'aveugle. C'est encore pire avec Don Quichotte qui, lui, se comporte comme si son rêve était réalisé. Il est un chevalier, les moulins sont des géants et Dulcinée est une princesse et non une paysanne. Il y a certes une différence de degré entre le cas d'Emma et celui de Don Quichotte. Chez ce dernier le rêve est poussé au délire, même si, par moments, il semble capable de différencier imaginaire et réalité. Emma se trompe sans être consciente de son erreur mais elle n'est pas délirante. Ces deux personnages nous montrent que le rêveur manque de lucidité.
Pourtant, le cas du jeune homme pauvre et orphelin dont parle Freud n'est-il pas différent ? Certes, il se figure qu'il va trouver non seulement un emploi mais aussi une femme et une famille. Mais rien ne dit qu'il ne retrouvera pas sa lucidité une fois qu'il sera en présence de son employeur potentiel. Il est comme un savant qui fait une hypothèse séduisante. Don Quichotte et Emma, eux, s'obstinent à croire que leur hypothèse, aussi improbable soit-elle, est vérifiée par les faits. On pourrait donc dire que le rêveur ne manque pas obligatoirement de lucidité. En effet, si sa rêverie ne lui apparaît pas comme réalisée ou devant se réaliser, elle ne l'empêche pas de voir la vérité à côté de son rêve. Son cas est comparable à celui des rêves lucides où le rêveur endormi sait qu'il est en train de rêver. On peut aussi le rapprocher de l'illusion perceptive. On sait que le bâton dans l'eau n'est pas brisé, cependant on le voit tel. C'est ce qu'on voit aussi dans l'utopie d'un Cyrano de Bergerac. Dans L'Histoire comique des Etats et Empires de la Lune, il imagine un voyage interplanétaire. Mais il sait très bien que ce n'est qu'une fiction qui lui permet d'exprimer ses idées philosophiques. On voit donc que le rêve est compatible avec la lucidité. Tout dépend de l'attitude du sujet face à son fantasme ou à son rêve. S'il y croit comme si ce rêve était certainement réalisable ou déjà réel, alors il manque de lucidité. En revanche, s'il sait que ce n'est pas le cas, s'il le juge impossible ou seulement possible, alors il n'en manque pas.   

jeudi 9 avril 2015

Ces objets qui nous envahissent : sujet de culture générale n° 5



Première partie : Synthèse (/40 points)

Vous rédigerez une synthèse concise, objective et ordonnée des documents suivants :

Document 1 :

Je fais partie de ceux qui pensent qu’une partie croissante de ce que nous produisons et achetons collectivement dans un pays comme le nôtre est soit futile ou excessif, soit incompatible avec les limites des ressources naturelles, soit à l’origine de pollutions graves pour la collectivité, soit même dangereux pour la santé individuelle. Les plus aisés en tout cas, et une fraction des classes moyennes, vivent dans un « régime » d’obésité consumériste ou d’avidité consumériste, entretenu par des dispositifs puissants qui poussent au toujours plus et pas au toujours mieux, pendant que les huit millions de pauvres vivent dans le dénuement et le manque, mais aussi la frustration de ne pouvoir accéder à un niveau de vie décent. Certains parlent de « toxicodépendance » à la croissance matérielle. D’autres, ou les mêmes, de « société de consolation »… mais cela ne concerne pas de la même façon les plus pauvres et les plus aisés, bien que tout le monde soit touché par les grands outils que le système a mis au point pour pousser à l’achat.
Ces grands outils de la mise en dépendance sont la publicité (600 milliards de dollars par an dans le monde), le crédit à la consommation, et l’obsolescence programmée et accélérée des produits (enquête des Amis de la Terre et du CNIID : la durée de vie moyenne des appareils électroménagers courants serait aujourd’hui en moyenne de 6 à 8/9 ans alors qu’elle était de 10 à 12 ans dans les années 1990. Par exemple une télévision à écran plat est programmée pour durer environ 5 à 7 ans, contre 10 à 15 ans pour les télévision à tube cathodique, ce qui est bon pour la croissance mais funeste pour tout le reste). Ces dispositifs nous prennent pour cible pour nous convaincre que le superflu nous est absolument nécessaire et que le dernier gadget est un gage de bonheur renouvelé.
Sans ces dispositifs d’enrôlement, quelle est la proportion des nouveaux produits qui ne seraient jamais achetés ? Une enquête qui date de vingt ans auprès de PDG de grandes entreprises aboutissait à des résultats stupéfiants de franchise : 80 à 90 % de ces PDG déclaraient que, sans la publicité, la plupart de leurs nouveaux produits ne trouveraient pas d’acheteur et que la publicité persuade fréquemment les gens d’acheter des choses dont ils n’ont pas besoin.

Jean Gadrey, " Consommer rend-il heureux ? ", Alternatives économiques.


Document 2 :

Le principe de la société de consommation est de créer un besoin chez une personne dans le but de l’amener à se procurer un produit dont le caractère indispensable est généralement très discutable. Elle joue donc, par le biais d’outils, sur les besoins fondamentaux secondaires de l’être humain : l’appartenance, l’estime et la réalisation. L’accomplissement d’actions intentionnelles étant une composante fondamentale du bonheur, l’individu lambda se sent heureux lorsqu’il comble l’un des besoins que lui a suscité le monde dans lequel il vit. Peu importe que ce besoin ait été construit de toutes pièces, le fait qu’il soit commun à une multitude de personnes suffit à en faire une envie incontournable. Peu importe les mentalités, les personnalités, le rapport à l’argent. Lorsque la nouvelle télé 3D de chez Sony voit le jour, tous les heureux possesseurs de l’immense télévision plasma HD sortie un an auparavant veulent posséder le bijou dernier cri qui a su renvoyer leur objet préféré dans les tréfonds de leur désintérêt. Dans un monde où nos besoins primaires (boire, manger, être en sécurité) sont généralement remplis, chaque nouveau produit peut procurer une injection de bonheur et de bien-être en comblant un vide qui n’existait pas six mois plus tôt.
Cette situation n’a pour l’instant rien de critiquable : nous créons en permanence de nouveaux objets de convoitise capables de nous rendre heureux pendant le court laps de temps qui nous sépare de la sortie du prochain gadget à la mode. Cela pourrait être une manière efficace de maintenir des niveaux élevés de satisfaction sur le long terme, à condition de conserver cette vitesse ahurissante de renouvellement et cette fibre créative et innovante. Pourtant, deux arguments viennent ternir ce tableau idyllique d’une société de consommation, créatrice d’un bonheur artificiel sans cesse renouvelable :
Les personnes les plus riches ne sont pas les plus heureuses. Elles ont pourtant la capacité de tout acheter et devraient en conséquence pouvoir renouveler leur « bonheur » autant que cela peut leur paraître nécessaire. C’est le paradoxe d’Easterlin1 : le bonheur généré par une richesse plus élevée est éphémère (au bout de deux ou trois ans, deux tiers de la satisfaction née de l’abondance s’évanouit. L’effet est sensiblement comparable à celui que procurent les drogues dures dont la quantité n’est jamais suffisante). On s’aperçoit en effet que l’appropriation régulière de biens devient en elle-même une habitude, et que seule une augmentation de notre capacité à nous procurer des biens peut à terme booster notre véritable bonheur intérieur. Que ce syndrome de dépassement constant soit individuel (j’en veux toujours plus pour moi-même) ou partagé (j’en veux toujours plus pour être mieux que mon voisin), il n’apparait pas viable à long terme (ne serait-ce qu’à l’échelle d’une vie) pour toutes les raisons citées par les détracteurs de l’idéologie consumériste (destruction de l’environnement, inégalités sociales, limites de l’intérêt d’une vie basée sur la surconsommation uniquement).
Le reste de notre monde occidental (95% des êtres humains vivant dans les pays dits « développés ») ne peut que tenter de suivre le rythme imposé par les plus riches en tentant de vivre au dessus des moyens financiers qui lui sont offerts (c’est-à-dire en prenant part à certaines opérations financières laissant planer l’impression d’une richesse fictives comme c’est le cas des crédits à la consommation ou de l’investissement en bourse). Devant l’aspect non durable du bonheur offert par la consommation, le comportement naturel d’un individu lambda est de faire tout ce qui est en son pouvoir pour consommer de nouveau et faire rejaillir les quelques minutes de joie qui l’ont animé lors de son dernier achat. L’ensemble des moyens dégagés lors de notre vie est donc dirigé vers l’envie de consommer.
En soi, consommer des biens n’a rien de mal, ne rend pas idiot ni mauvais. Une telle idéologie a peu de chances de rendre heureux sur le long terme, mais elle ne rend pas malheureux. L’aspect critiquable de la consommation, c’est sa capacité à masquer les véritables sources de notre bonheur durable et à s’octroyer l’ensemble des ressources qui auraient pu nous donner accès à un véritable épanouissement.

1. Richard Easterlin : Economiste américain.

Georges Vignaux, " Le bonheur est-il soluble dans la consommation ? ", lesimbecilesontprislepouvoir.com.


Document 3 :

Pour la première fois, ils gagnèrent quelque argent. Leur travail ne leur plaisait pas : aurait-il pu leur plaire? Il ne les ennuyait pas trop non plus. Ils avaient l'impression de beaucoup y apprendre. D'année en année, il les transforma. 
Ce furent les grandes heures de leur conquête. Ils n'avaient rien; ils découvraient les richesses du monde. 
Ils avaient longtemps été parfaitement anonymes. Ils étaient vêtus comme des étudiants, c'est-à-dire mal. Sylvie d'une unique jupe, de chandails laids, d'un pantalon de velours, d'un duffle-coat, Jérôme d'une canadienne crasseuse, d'un complet de confection, d'une cravate lamentable. Ils se plongèrent avec ravissement dans la mode anglaise. Ils découvrirent les lainages, les chemisiers de soie, les chemises de Doucet, les cravates en voile, les carrés de soie, le tweed, le lambswool, le cashmere1, le vicuna2, le cuir et le jersey, le lin, la magistrale hiérarchie des chaussures, enfin, qui mène des Churchs aux Weston, des Weston aux Bunting, et des Bunting aux Lobb. 
Leur rêve fut un voyage à Londres. Ils auraient partagé leur temps entre la National Gallery, Saville Row, et certain pub de Church Street dont Jérôme avait gardé le souvenir ému. Mais ils n'étaient pas encore assez riches pour s'y habiller de pied en cap. A Paris, avec le premier argent qu'à la sueur de leur front allègrement ils gagnèrent, Sylvie fit l'emplette d'un corsage en soie tricotée de chez Cornuel, d'un twin-set3 importé en lambswool, d'une jupe droite et stricte, de chaussures en cuir tressé d'une souplesse extrême, et d'un grand carré de soie décoré de paons et de feuillages. Jérôme, bien qu'il aimât encore, à l'occasion, traîner en savates, mal rasé, vêtu de vieilles chemises sans col et d'un pantalon de toile, découvrit, soignant les contrastes, les plaisirs des longues matinées : se baigner, se raser de près, s'asperger d'eau de toilette, enfiler, la peau encore légèrement humide, des chemises impeccablement blanches, nouer des cravates de laine ou de soie. Il en acheta trois, chez Old England, et aussi une veste en tweed, des chemises en solde, et des chaussures dont il pensait n'avoir pas à rougir. 
Puis, ce fut presque une des grandes dates de leur vie, ils découvrirent le marché aux Puces. Des chemises Arrow ou Van Heusen, admirables, à long col boutonnant, alors introuvables à Paris, mais que les comédies américaines commençaient à populariser (du moins parmi cette frange restreinte qui trouve son bonheur dans les comédies américaines), s'y étalaient en pagaille, à côté de trench-coats réputés indestructibles, de jupes, de chemisiers, de robes de soie, de vestes de peau, de mocassins de cuir souple. Ils y allèrent chaque quinzaine, le samedi matin, pendant un an ou plus, fouiller dans les caisses, dans les étals, dans les amas, dans les cartons, dans les parapluies renversés, au milieu d'une cohue de teen-agers à rouflaquettes, d'Algériens vendeurs de montres, de touristes américains qui, sortis des yeux de verre, des huit-reflets et des chevaux de bois du marché Vernaison, erraient, un peu effarés, dans le marché Malik, contemplant, à côté des vieux clous, des matelas, des carcasses de machines, des pièces détachées, l'étrange destin des surplus fatigués de leurs plus prestigieux shirt-makers. Et ils ramenaient des vêtements de toutes sortes, enveloppés dans du papier journal, des bibelots, des parapluies, des vieux pots, des sacoches, des disques.
Ils changeaient, ils devenaient autres. Ce n'était pas tellement le besoin, d'ailleurs réel, de se différencier de ceux qu'ils avaient à charge d'interviewer, de les impressionner sans les éblouir. Ni non plus parce qu'ils rencontraient beaucoup de gens, parce qu'ils sortaient, pour toujours, leur semblait-il, des milieux qui avaient été les leurs. Mais l'argent - une telle remarque est forcément banale - suscitait des besoins nouveaux. Ils auraient été surpris de constater, s'ils y avaient un instant réfléchi - mais, ces années-là, ils ne réfléchirent point - à quel point s'était transformée la vision qu'ils avaient de leur propre corps, et, au-delà, de tout ce qui les concernait, de tout ce qui leur importait, de tout ce qui était en train de devenir leur monde. 

Georges Perec, Les Choses, 1965.

1. Cashmere : Étoffe très fine, légère, obtenue par le tissage du duvet recouvrant la poitrine des chèvres du Cachemire ou du Tibet.
2. Vicuna : Vigogne : Laine d'un animal d'Amérique du Sud utilisée pour fabriquer des vêtements de luxe.
3. Twin-set : Ensemble féminin en tricot constitué d'un pull-over et d'une veste assortis.



Document 4 :



Photo tirée d'une vidéo publiée sur You Tube et intitulée " Panique à Virgin : premier jour des soldes ".


Deuxième partie : Écriture personnelle (/20 points)


Pensez-vous que les objets prennent une place excessive dans notre société de consommation ?


Trois propositions de plan pour la synthèse (question problématique et sujets des deux parties) :
 
A)
Quel est notre rapport aux objets de consommation ?
1) Les objets exercent sur nous une séduction qui dépasse leur utilité.
2) Plusieurs conditions stimulent notre désir d'objets.

B)
Est-il bon de consommer comme nous le faisons ?
1) Dans notre société, l'homme a un grand désir de consommer des objets.
2) Mais cette consommation ne procure qu'un bonheur éphémère et dommageable.

C)
Le bonheur est-il dans la consommation d'objets ?
1) La consommation rend heureux.
2) Mais ce bonheur est éphémère et coûteux.


Plan de l'écriture (deux parties) :

1) Les objets servent à la satisfaction de nos besoins.
2) Cependant notre dépendance pose de sérieux problèmes.