vendredi 9 septembre 2016

l'extraordinaire : sujet de culture générale n°3



1) Vous ferez une synthèse objective, concise et ordonnée des documents suivants :

Document 1 :

Qui n'a jamais douté du hasard lorsqu'un événement extraordinaire se produit ? A défaut d'explications, certains attribuent ces phénomènes à la chance, au destin ou à une volonté supérieure.
Ces réactions découlent toutefois de plusieurs principes psychologiques qui peuvent être facilement mis en évidence.

Conception erronée du hasard :
On demande à quelqu'un de tirer dix fois aux dés. Selon vous, quelle est la suite la plus probable:


Évidemment, la grande majorité des personnes choisiraient le premier cas de figure. Pourtant, ces deux résultats ont exactement la même probabilité de se réaliser.
La difficulté que nous éprouvons à assimiler cette affirmation est due à notre vision faussée du hasard. En effet, les événements aléatoires devraient selon nous être dispersés de manière égale.
Par exemple, la probabilité de tirer à pile ou face est de 50% dans les deux cas. Notre logique voudrait donc que les valeurs finales soient non-seulement équivalentes à ce ratio, c'est-à-dire moitié pile et moitié face, mais en plus alternées entre elles sans paraître trop ordonnées.

Ce rapport est toutefois valable uniquement sur un très grand nombre de tirages, ce qui n'est pas le cas des événements de notre quotidien. Une série de faits peut donc nous paraître exceptionnelle alors qu'il s'agit en réalité d'un déroulement parfaitement ordinaire.

"Les coïncidences sont-elles dues au hasard ?",  intra-science.com

Document 2 :

UNE COMMUNICATION ?

MADELEINE QUI VEILLAIT

J'ai dîné chez mon ami peintre Jean Villeri. Il est plus de onze heures. Le métro me ramène à mon domicile. Je change de rame à la station Trocadéro. Alourdi par une fatigue agréable, j'écoute distraitement résonner mon pas dans le couloir des correspondances. Soudain une jeune femme, qui vient en sens inverse, m'aborde après m'avoir, je crois, longuement dévisagé. Elle m'adresse une demande pour le moins inattendue : « Vous n'auriez pas une feuille de papier à lettres, Monsieur ? » Sur ma réponse négative et sans doute devant mon air amusé, elle ajoute : « Cela vous paraît drôle ? » Je réponds non, certes, ce propos ou un autre... Elle prononce avec une nuance de regret : « Pourtant ! » Sa maigreur, sa pâleur et l'éclat de ses yeux sont extrêmes. Elle marche avec cette aisance des mauvais métiers qui est aussi la mienne. Je cherche en vain à cette silhouette fâcheuse quelque beauté. Il est certain que l'ovale du visage, le front, le regard surtout doivent retenir l'attention, troubler. Mais de là à s'enquérir ! Je ne songe qu'à fausser compagnie. Je suis arrivé devant la rame de Saint-Cloud et je monte rapidement. Elle s'élance derrière moi. Je fais quelques pas dans le wagon pour m'éloigner et rompre. Sans résultat. A Michel-Ange-Molitor je m'empresse de descendre. Mais le léger pas me poursuit et me rattrape. Le timbre de la voix s'est modifié. Un ton de prière sans humilité. En quelques mots paisibles je précise que les choses doivent en rester là. Elle dit alors : « Vous ne comprenez pas, oh non ! Ce n'est pas ce que vous croyez. » L'air de la nuit que nous atteignons donne de la grâce à son effronterie : « Me voyez-vous dans les couloirs déserts d'une station, que les gens sont pressés de quitter, proposer la galante aventure ? - Où habitez-vous ? - Très loin d'ici. Vous ne connaissez pas. » Le souvenir de la quête des énigmes, au temps de ma découverte de la vie et de la poésie, me revient à l'esprit. Je le chasse, agacé. « Je ne suis pas tenté par l'impossible comme autrefois (je mens). J'ai trop vu souffrir... (quelle indécence!) » Et sa réponse : « Croire à nouveau ne fait pas qu'il y aura davantage de souffrance. Restez accueillant. Vous ne vous verrez pas mourir. » Elle sourit : « Comme la nuit est humide ! » Je la sens ainsi. La rue Boileau, d'habitude provinciale et rassurante, est blanche de gelée, mais je cherche en vain la trace des étoiles dans le ciel. J'observe de biais la jeune femme : « Comment vous appelez-vous, mon petit ? - Madeleine. » A vrai dire, son nom ne m'a pas surpris. J'ai terminé dans l'après-midi Madeleine à la veilleuse, inspiré par le tableau de Georges de la Tour dont l'interrogation est si actuelle. Ce poème m'a coûté. Comment ne pas entrevoir, dans cette passante opiniâtre, sa vérification ? A deux reprises déjà, pour d'autres particulièrement coûteux poèmes, la même aventure m'advint. Je n'ai nulle difficulté à m'en convaincre. L'accès d'une couche profonde d'émotion et de vision est propice au surgissement du grand réel. On ne l'atteint pas sans quelque remerciement de l'oracle. Je ne pense pas qu'il soit absurde de l'affirmer. Je ne suis pas le seul à qui ces rares preuves sont parfois foncièrement accordées. « Madeleine, vous avez été très bonne et très patiente. Allons ensemble, encore, voulez-vous ? » Nous marchons dans une intelligence d'ombres parfaite. J'ai pris le bras de la jeune femme et j'éprouve ces similitudes que la sensation de la maigreur éveille. Elles disparaissent presque aussitôt, ne laissant place qu'à l'intense solitude et à la complète faveur à la fois, que je ressentis quand j'eus mis le point final à l'écriture de mon poème. Il est minuit et demi. Avenue de Versailles, la lumière du métro Javel, pâle, monte de terre. « Je vous dis adieu, ici » J'hésite, mais le frêle corps se libère. « Embrassez-moi, que je parte heureuse... » Je prends sa tête dans mes mains et la baise aux yeux et sur les cheveux. Madeleine s'en va, s'efface au bas des marches de l'escalier du métro dont les portes de fer vont être bientôt tirées et sont déjà prêtes.
Je jure que tout ceci est vrai et m'est arrivé, n'étant pas sans amour, comme j'en fais le récit, cette nuit de janvier.
La réalité noble ne se dérobe pas à qui la rencontre pour l'estimer et non pour l'insulter ou la faire prisonnière. Là est l'unique condition que nous ne sommes pas toujours assez purs pour remplir.
1948

René Char, Recherche de la base et du sommet, Gallimard, 1955.

Document 3 :

Le hasard ! Ce mot répond-il à une idée qui ait sa consistance propre, son objet hors de nous, et ses conséquences qu’il ne dépend pas de nous d’éluder, ou n’est-ce qu’un vain son, flatus vocis, qui nous servirait, comme l’a dit Laplace, à déguiser l’ignorance où nous serions des véritables causes ? À cet égard notre profession de foi est faite depuis longtemps, et déjà nous l’avons rappelée incidemment dans le cours des présentes études. Non, le mot de hasard n’est pas sans relation avec la réalité extérieure ; il exprime une idée qui a sa manifestation dans des phénomènes observables et une efficacité dont il est tenu compte dans le gouvernement du Monde ; une idée fondée en raison, même pour des intelligences fort supérieures à l’intelligence humaine et qui pénétraient dans une multitude de causes que nous ignorons. Cette idée est celle de l’indépendance et de la rencontre accidentelle de diverses chaînes ou séries de causes : soit que l’on puisse trouver, en remontant plus haut, l’anneau commun où elles se rattachent et à partir duquel elles se séparent ; soit qu’on suppose (car ce ne peut être qu’une hypothèse) qu’elles conserveraient leur mutuelle indépendance, si haut que l’on remontât. Une tuile tombe d’un toit, soit que je passe ou que je ne passe pas dans la rue ; il n’y a nulle connexion, nulle solidarité, nulle dépendance entre les causes qui amènent la chute de la tuile et celles qui m’ont fait sortir de chez moi pour porter une lettre à la poste. La tuile me tombe sur la tête et voilà le vieux logicien mis définitivement hors de service : c’est une rencontre fortuite ou qui a lieu par hasard. La proposition a un sens également vrai pour qui connaît et pour qui ne connaît pas les causes, qui ont fait tomber la tuile et celles qui m’ont fait sortir de chez moi. Les faits qui arrivent par hasard ou par combinaison fortuite, bien loin de déroger à l’idée de causalité, bien loin d’être des effets sans cause, exigent pour leur production le concours de plusieurs causes ou séries de causes. Le caractère de fortuité ne tient qu’au caractère d’indépendance des causes concourantes. Si la combinaison fortuite offre quelque singularité, cette singularité même a une cause, mais elle n’a pas de raison, et voilà pourquoi elle nous frappe, nous dont l’esprit est dès l’enfance habitué à chercher toujours et à trouver quelquefois la raison des choses. À un tirage d’obligations je gagne la prime de cent mille francs et je la gagne par hasard : car on s’était arrangé pour qu’il n’y eût nulle liaison entre les causes qui ont influé sur le placement des numéros et celles qui ont amené l’extraction du numéro gagnant. Cependant, comme il faut bien que quelqu’un gagne la prime, la combinaison fortuite qui me l’attribue, toujours fort remarquable pour moi, ne sera remarquée du public que si je suis, par un autre hasard, un pauvre diable ou un millionnaire, un savetier ou un financier. 

A. A. Cournot, Matérialisme, vitalisme, rationalisme, 1875. (source : http://archipope.over-blog.com/article-12023717.html)

Document 4 :

Dans la multitude de faits vécus ou d'informations perçues, il se produit naturellement des coïncidences de temps en temps, c'est-à-dire des rencontres fortuites ou des événements simultanés présentant une ressemblance. De telles coïncidences sont en général d'une grande banalité et explicables par le calcul des probabilités.
Ainsi, vous rencontrez des voisins ou des amis pendant vos vacances ou vous remarquez en parlant à un inconnu que vous avez un ami commun. Autres exemples : vous pensez à votre cousine Céline qui vous téléphone tous les mois environ, et elle vous appelle à ce moment-là ; vous prononcez un mot et vous l'entendez au même moment à la télévision.
La loi des séries :
La loi des séries ou sérialité a été étudiée par le biologiste Kammerer. Elle peut être définie comme la répétition d'événements, choses, ou symboles identiques ou analogues dans le temps et/ou dans l'espace, par exemple :
- l'annonce le même jour de plusieurs accidents de même nature ;
- une suite d'événements vécus par une personne, soit heureux (période de chance), soit défavorables (série noire) ;
- la répétition de faits inopinés semblables. Ainsi, vous êtes invité à dîner et la  maîtresse de maison vous sert du bœuf miroton. Or, l'avant-veille, vous aviez déjà mangé ce plat chez vous et la veille chez des parents.
- au loto, la sortie d'un même numéro plusieurs tirages de suite (sérialité dans le temps) ou de plusieurs numéros voisins au même tirage (sérialité dans l'espace).
Les coïncidences et la sérialité font partie de notre jardin secret. Pour nous-mêmes, elles paraissent avoir une grande importance, mais il n'est pas toujours facile d'en faire partager l'intérêt par les autres. Cette observation est valable également pour la synchronicité.
Les coïncidences signifiantes ou synchronicités :
Il nous arrive parfois de rencontrer une coïncidence présentant un caractère mystérieux, nous laissant un sentiment troublant et indéfinissable. Il s'agit d'une sorte de «clin d’œil» du destin que Jung a appelé synchronicité. On dit alors que la coïncidence est chargée de sens, qu'elle est signifiante. Celle-ci se caractérise également par le fait que le psychisme de la personne est plus impliquée que dans le cas d'une simple coïncidence, et, qu'en outre, la probabilité de sa survenue est plus faible. Nous nous sentons alors prendre une certaine importance dans l'immense univers habituellement indifférent à notre modeste personnage.
Jung définit comme suit la synchronicité : coïncidence temporelle sans lien causal entre un état psychique donné et un ou plusieurs événements extérieurs objectifs offrant un parallélisme de sens avec cet état subjectif du moment, l'inverse pouvant aussi se produire.
Un exemple :
Je demeure à Nice depuis quelques mois et, en ce moment, je souffre d'un torticolis très douloureux. Voilà longtemps que je n'ai pas eu une telle crise, la dernière remontant à l'époque où j'habitais Paris.
Ce matin, je me souviens de mon docteur parisien qui m'avait soigné pour une arthrose cervicale. Je vais faire quelques achats avenue Jean Médecin et, soudain, je tombe nez à nez avec ce praticien qui se trouve à Nice à l'occasion d'un congrès.
Non seulement, je pense à mon médecin  parisien et je le rencontre une heure après à Nice, mais cela se passe avenue Jean Médecin.

Jean Moisset, "Mystère des coïncidences", science-et-magie.com

2) Écriture personnelle :

L'imprévisible est-il extraordinaire ?

dimanche 12 juin 2016

l'extraordinaire : sujet de synthèse et d'écriture personnelle n° 2



1) Vous ferez une synthèse concise, objective et ordonnée des documents suivants :

Document 1 :

Une robe de cuir comme un fuseau
Qu'aurait du chien sans l' faire exprès
Et dedans comme un matelot
Une fille qui tangue un air anglais
C'est extra
Un Moody Blues qui chante la nuit
Comme un satin de blanc marié
Et dans le port de cette nuit
Une fille qui tangue et vient mouiller

C'est extra, c'est extra
C'est extra, c'est extra

Des cheveux qui tombent comme le soir
Et d' la musique en bas des reins
Ce jazz qui jazze dans le noir
Et ce mal qui nous fait du bien
C'est extra
Ces mains qui jouent de l'arc-en-ciel
Sur la guitare de la vie
Et puis ces cris qui montent au ciel
Comme une cigarette qui brille

C'est extra, c'est extra
C'est extra, c'est extra

Ces bas qui tiennent hauts perchés
Comme les cordes d'un violon
Et cette chair que vient troubler
L'archet qui coule ma chanson
C'est extra
Et sous le voile à peine clos
Cette touffe de noir jésus
Qui ruisselle dans son berceau
Comme un nageur qu'on n'attend plus

C'est extra, c'est extra
C'est extra, c'est extra

Une robe de cuir comme un oubli
Qu'aurait du chien sans l' faire exprès
Et dedans comme un matin gris
Une fille qui tangue et qui se tait
C'est extra
Les Moody Blues qui s'en balancent
Cet ampli qui n' veut plus rien dire
Et dans la musique du silence
Une fille qui tangue et vient mourir

C'est extra, c'est extra
C'est extra, c'est extra

Léo Ferré, "C'est extra", 1969.

Document 2 :




Tout commence le 3 mai dernier, lorsque Taylor, envoyé en Afghanistan avec l'armée américaine, marche sur une mine anti-personnel... En une fraction de seconde, le jeune homme de 23 ans perd ses quatre membres (ses deux jambes au niveau des genoux, son bras gauche au niveau du coude et pareil pour son bras droit).
L'explosion, le vol plané, l’atterrissage, la douleur, Taylor n'a rien oublié de tout ça. Il se souvient même avoir vu que ses membres avaient disparu !
Malgré son état plus que critique, il parvient à appeler de l'aide et à être évacué par ses coéquipiers. Les jours qui suivent, il est rapatrié aux USA pour être soigné. 
Quand elle apprend cette nouvelle terrible, Danielle, sa petite amie est effondrée. Comment une chose aussi cruelle peut-elle leur arriver à eux ? Elle raconte : "On pense que ce sont toujours les autres qui se retrouvent dans ce genre de situation, mais cette fois-ci c'était bien nos vies qui ont été touchées."
Mais malgré la peine, la colère et les cauchemars, l'amour est sorti grand vainqueur de cette épreuve ! Les deux tourtereaux s'aiment autant si ce n'est encore plus qu'avant. La preuve, ils se sont même mariés !

Clément P., "L'histoire d'amour la plus incroyable du monde", demotivateur.fr


Document 3 :

L’amour n’est qu’une parenthèse pour les âmes exaltées.

« Au galop de quatre chevaux, elle était emportée depuis huit jours vers un pays nouveau. » Plus son mari ronfle fort à ses côtés et plus elle se réveille en d’autres rêves. Pétrie de lectures romanesques, elle se résigne pourtant à épouser le réel, elle choisit Bovary, le bovin qui engraisse et glousse en avalant sa soupe. Pourvu qu’il l’emmène au bal et si, là-bas, au milieu du luxe flamboyant des candélabres, le pantalon le serre au ventre et les sous-pieds le gênent pour danser, elle, au contraire, se glisse dans sa robe de barège comme elle entre dans le grand monde, si bien qu’elle y troque son être contre des « gouttes d’eau factices ». Au moment où Charles l’embrasse, elle l’en empêche : « Laisse-moi, tu me chiffonnes » et non pas « tu chiffonnes ma robe ». Par métonymie, elle ne se distingue plus du costume, du rôle, des illusions dont le bal, dont toute fête est porteuse. Haletante, elle « atten(d) le coup d’archet pour partir ». Partir où ? Le texte reste elliptique sur la destination, l’évasion est un non-retour.
Cependant « la soupe est servie », et « il fa(ut) descendre, il fa(ut) se mettre à table » ! La destinée tragique d’Emma réside dans la tournure impersonnelle, dans la chute qui succède toujours à l’envol, et surtout, dans cette assiette qui réduit toutes ses aspirations à une vie domestique sans désir. Demeurer auprès de Charles dont la « conversation est plate comme un trottoir de rue », s’enfermer dans les ronds de serviette que Binet fabrique pour se distraire, elle, la force qui va, bondit, exulte à chaque seconde ! La schwärmerei1 d’Emma se heurte aux circonstances ordinaires, avec son homme ce sera toujours la vacuité de la campagne, mais on ne revient pas sur son mariage. On pense que l’âge est venu de s’assagir, de se reposer dans des draps tièdes, des bras amis. 
On a beau se raisonner, l’extraordinaire continue à gronder à coups de bélier dans le sang. Et l’élan irrépressible rejaillit à la première occasion. Quand l’amant arrive, on se jette goulûment sur lui, on devient aveugle à toute vertu, on vend presque son âme pour payer un frisson. Le narrateur adopte le point de vue de celle qui se sent enfin femme dans la volupté là où le procureur Pinard blâme « la couleur lascive » du personnage : « J’ai un amant ! J’ai un amant ! Elle allait donc posséder enfin ces joies de l’amour, cette fièvre du bonheur dont elle avait désespéré. Elle entrait dans quelque chose de merveilleux où tout serait passion, extase, délire. » Le discours indirect libre, procédé encore inconnu des lecteurs, ne permet pas de déterminer l’origine des propos et, pendant le célèbre procès de 1857, Pinard les met au compte de l’auteur, il tient cette glorification de l’adultère comme plus dangereuse que le péché lui-même. La morale accusatrice ignore les feux follets qui lèchent l’amour « sans remords, sans inquiétude, sans trouble ».

1. Enthousiasme.

Gérard Bejjani, "Madame Bovary de Gustave Flaubert", lorientlitteraire.com

Document 4 :

Chercher l'extraordinaire, c'est chercher la plus grande intensité dans l'accomplissement de son désir. Il peut s'agir d'un désir de battre un record, de réussir socialement, de créer une œuvre, de s'enrichir, de s'unir à quelqu'un, etc. L'amour romantique présente les caractères de l'extraordinaire. Il est imprévu, d'une probabilité très faible (le philtre que Tristan boit avec Iseut par erreur), soit parce que la chance de tomber sur l'autre moitié est mince, soit parce que le coup de foudre s'oppose aux circonstances (Roméo et Juliette s'aiment alors que leur appartenance familiale devrait en faire des ennemis). Le deuxième caractère, la modification importante de la situation d'un ou plusieurs, est également présent. L'amour passion bouleverse la vie au point, souvent, d'entraîner une issue fatale (Roméo et Juliette, Manon Lescaut, Kleist1 et Henriette Vogel, Werther, etc.). Enfin, cette modification est accompagnée d'une émotion très forte. Selon un sondage L'Express-Science et Vie Junior de 2000, pour 10 % des adolescents, être amoureux veut dire vivre quelque chose d'extraordinaire. Pour la plupart d'entre nous, sans doute, l'expérience du grand amour est suffisamment rare et émouvante pour être jugée extraordinaire à l'échelle d'une vie.
La mort est un événement banal ("Il n'y a pas de plus grande banalité parmi les hommes que la mort", dit Nietzsche). Mais notre propre mort est un événement extraordinaire, le seul que nous commencerons à vivre sans jamais finir et sans le vivre avec certitude. Le seul (avec la naissance) qui ne peut jamais se répéter. Le seul qui excède la commune mesure de tout ce qui nous arrive, le fait d'exister. Dans la vie quotidienne, on a peine à y croire. Aimer c'est accepter cet événement car c'est trouver quelqu'un à qui on n'a pas envie de survivre (Pyrame et Thisbé, Roméo et Juliette). C'est accepter l'extraordinaire.

1. Ecrivain allemand de l'époque romantique qui s'est donné a mort avec sa bien-aimée Henriette Vogel condamnée par un cancer.

J. d'Astier, "L'Amour est-il extra ?", btsfrançais2010.com

2) Écriture personnelle :

L'amour est-il extraordinaire ?

vendredi 27 mai 2016

l'extraordinaire : sujet de synthèse et d'écriture personnelle n° 1




1) Vous ferez une synthèse concise, objective et ordonnée des documents suivants :

Document 1 :

Mais si l’étonnement nourrit la philosophie, les sciences ne travaillent-elles pas à le réduire, en fabriquant un monde sans surprise possible, où l’on connaît la loi des choses ? Imitant l’idée qu’elles se faisaient des sciences dures, les sciences humaines ont pu aspirer à la réduction de l’étonnement. Il s’agit là encore de dénoncer une façon pour les sujets de l’histoire de subir les événements, de s’en étonner, c’est-à-dire d’être pris dans leur flux et dans les émotions. Au contraire, le scientifique, historien, sociologue, anthropologue, réduirait l’étonnement, ramènerait l’extraordinaire à un ordre, une série causale, refusant l’idée de rupture qui provoquerait l’étonnement. Il s’agit alors de rapporter ce qui étonne au commencement d’une autre série ou de le replacer dans la continuité de celle qui précède. Dans cette perspective, l’extraordinaire n’existe pas, il n’est rien d’autre que le choix inadapté d’une certaine focale : les sujets contemporains de l’événement ne peuvent qu’en subir le choc, car ils ne connaissent assurément ni la série à venir ni même vraiment la série passée ; les scientifiques, eux, se doivent de tracer les justes liaisons. Ainsi, les Français de 1789 ont-ils cru « se façonner autrement que leurs pères ; ils n’ont rien oublié enfin pour se rendre méconnaissables », ils se sont cru les auteurs d’un événement extraordinaire qu’ils ont nommé Révolution française ; mais Tocqueville1 replace, lui, cet événement et ses diverses facettes dans la continuité de l’Ancien Régime passé, il est convaincu « qu’à leur insu [les révolutionnaires] avaient retenu de l’ancien régime la plupart des sentiments, des habitudes, des idées mêmes à l’aide desquelles ils avaient conduit la Révolution qui le détruisit et que, sans le vouloir, ils s’étaient servi de ses débris pour construire l’édifice de la société nouvelle. » ( Alexis de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1967). Exit, donc, l’étonnement. Exit l’extraordinaire.
1. Alexis de Tocqueville (1805-1859), écrivain et philosophe français.

Marc Aymes, Charles Ruelle, Élodie Cassan, Déborah Cohen, Benoît Fliche, Héloïse Hermant, Bérengère Hurand et Laurence Marie, « Penser par extraordinaire », Labyrinthe  URL : http://labyrinthe.revues.org/4153

Document 2 :

Pour l’exprimer plus rapidement, la Shoah serait un repoussoir de la pensée. On aurait même envie d’en faire un accident de l’Histoire, un genre d’arythmie de l’esprit, comme si quelque chose avait subitement dégénéré et nous avait embarrassés, sans que l’on ne sache vraiment pourquoi. Par conséquent il serait vain de vouloir entretenir à partir de la Shoah une réflexion intelligible. C’était horrible, n’en parlons plus, sinon en établissant une chronologie scolaire pour apprendre aux élèves l’existence des chambres à gaz et leur passage à la non-existence, manière d’évoquer le surgissement des ténèbres et leur dissipation tout aussi foudroyante par l’entremise du jeu politique. On sait du reste que la pédagogie de la Shoah continue de faire débat. Comment enseigner ce qui semble proprement étranger à toute forme de pensée ? Peut-on dégager de la Shoah autre chose que des annales de la monstruosité ?
(...)
La thèse centrale de ce livre, outre ce que nous avons précédemment illustré, c’est qu’une aberration telle qu’Auschwitz n’a rien de commun avec une irruption accidentelle. Il y a dans Auschwitz la marque d’une longue et détestable rumination. Auschwitz n’est pas un accident qui préserverait l’essence humaine d’une transformation radicale, comme on dirait que le fait d’être assis ou debout ne modifie pas l’essence d’un homme, Auschwitz se présente à l’inverse sous les traits d’une consécration de l’homme de la modernité, en l’occurrence une apothéose de l’homme-technique, de l’homme des systèmes et des méthodologies.

"Philosophie de la Shoah de Didier Durmarque", par Gregory Mion, http://www.juanasensio.com

Document 3 :

« Tout a commencé quand j’ai assisté au procès Eichmann1 à Jérusalem. Dans mon rapport, je parle de la « banalité du mal ». Cette expression ne recouvre ni thèse, ni doctrine bien que j’aie confusément senti qu’elle prenait à rebours la pensée traditionnelle – littéraire, théologique, philosophique – sur le phénomène du mal. Le mal, on l’apprend aux enfants, relève du démon ; il s’incarne en Satan (qui « tombe du ciel comme un éclair » (saint Luc, 10,18), ou Lucifer, l’ange déchu (« Le diable lui aussi est ange » – Miguel de Unamuno) dont le péché est l’orgueil (« orgueilleux comme Lucifer »), cette superbia2 dont seuls les meilleurs sont capables : ils ne veulent pas servir Dieu, ils veulent être comme Lui. Les méchants, à ce qu’on dit sont mus par l’envie (...). Ils peuvent aussi être guidés par la faiblesse (Macbeth). Ou, au contraire, par la haine puissante que la méchanceté ressent devant la pure bonté (...) ou encore par la convoitise, « source de tous les maux » (...). Cependant, ce que j’avais sous les yeux, bien que totalement différent, était un fait indéniable. Ce qui me frappait chez le coupable, c’était un manque de profondeur évident, et tel qu’on ne pouvait faire remonter le mal incontestable qui organisait ses actes jusqu’au niveau plus profond des racines ou des motifs. Les actes étaient monstrueux, mais le responsable – tout au moins le responsable hautement efficace qu’on jugeait alors – était tout à fait ordinaire, comme tout le monde, ni démoniaque ni monstrueux. Il n’y avait en lui trace ni de convictions idéologiques solides, ni de motivations spécifiquement malignes, et la seule caractéristique notable qu’on décelait dans sa conduite, passée ou bien manifeste au cours du procès et au long des interrogatoires qui l’avaient précédé, était de nature entièrement négative : ce n’était pas de la stupidité, mais un manque de pensée. Dans le cadre du tribunal israélien et de la procédure carcérale, il se comportait aussi bien qu’il l’avait fait sous le régime nazi mais, en présence de situations où manquait ce genre de routine, il était désemparé, et son langage bourré de clichés produisait à la barre, comme visiblement autrefois, pendant sa carrière officielle, une sorte de comédie macabre. Clichés, phrases toute faites, codes d’expression standardisés et conventionnels ont pour fonction reconnue, socialement, de protéger de la réalité, c’est-à-dire des sollicitations que faits et événements imposent à l’attention, de par leur existence même. On serait vite épuisé à céder sans cesse à ces sollicitations ; la seule différence entre Eichmann et le reste de l’humanité est que, de toute évidence, il les ignorait totalement. »
1. Haut fonctionnaire nazi, l'un des principaux exécutants de l'holocauste.
2. Mot latin signifiant orgueil, superbe.

Hannah Arendt, La Vie de l’esprit, p.20-21

Document 4 :

Peut-être que ce qui s’est passé ne peut pas être compris, et même ne doit pas être compris, dans la mesure où comprendre, c’est presque justifier. En effet, « comprendre » la décision ou la conduite de quelqu’un, cela veut dire (et c’est aussi le sens étymologique du mot) les mettre en soi, mettre en soi celui qui en est responsable, se mettre à sa place, s’identifier à lui. Eh bien, aucun homme normal ne pourra jamais s’identifier à Hitler, à Himmler, à Goebbels, à Eichmann, à tant d’autres encore. Cela nous déroute et nous réconforte en même temps, parce qu’il est peut-être souhaitable que ce qu’ils ont dit – et aussi, hélas, ce qu’ils ont fait – ne nous soit plus compréhensible. Ce sont là des paroles et des actions non humaines, ou plutôt anti-humaines, sans précédents historiques, et qu’on pourrait à grand-peine comparer aux épisodes les plus cruels de la lutte biologique pour l’existence. Car si la guerre peut avoir un rapport avec ce genre de lutte, Auschwitz n’a rien à voir avec la guerre, elle n’en constitue pas une étape, elle n’en est pas une forme outrancière. La guerre est une réalité terrible qui existe depuis toujours : elle est regrettable, mais elle est en nous, elle a sa propre rationalité, nous la « comprenons ».
Mais dans la haine nazie, il n’y a rien de rationnel : c’est une haine qui n’est pas en nous, qui est étrangère à l’homme, c’est un fruit vénéneux issu de la funeste souche du fascisme, et qui est en même temps au-dehors et au-delà du fascisme même. Nous ne pouvons pas la comprendre ; mais nous pouvons et nous devons comprendre d’où elle est issue, et nous tenir sur nos gardes. Si la comprendre est impossible, la connaître est nécessaire, parce que ce qui est arrivé peut recommencer, les consciences peuvent à nouveau être déviées et obscurcies : les nôtres aussi.
C’est pourquoi nous avons tous le devoir de méditer sur ce qui s’est produit. Tous nous devons savoir, ou nous souvenir, que lorsqu’ils parlaient en public, Hitler et Mussolini étaient crus, applaudis, admirés, adorés comme des dieux. C’étaient des « chefs charismatiques », ils possédaient un mystérieux pouvoir de séduction qui ne devait rien à la crédibilité ou à la justesse des propos qu’ils tenaient mais qui venait de la façon suggestive dont ils les tenaient, à leur éloquence, à leur faconde d’histrions, peut-être innée, peut-être patiemment étudiée et mise au point. Les idées qu’ils proclamaient n’étaient pas toujours les mêmes et étaient en général aberrantes, stupides ou cruelles ; et pourtant ils furent acclamés et suivis jusqu’à leur mort par des milliers de fidèles. Il faut rappeler que ces fidèles, et parmi eux les exécuteurs zélés d’ordres inhumains, n’étaient pas des bourreaux-nés, ce n’étaient pas – sauf rares exceptions – des monstres, c’étaient des hommes quelconques. Les monstres existent, mais ils sont trop peu nombreux pour être vraiment dangereux ; ceux qui sont plus dangereux, ce sont les hommes ordinaires, les fonctionnaires prêts à croire et à obéir sans discuter, comme Eichmann, comme Höss, le commandant d’Auschwitz, comme Stangl, le commandant de Treblinka, comme, vingt ans après, les militaires français qui tuèrent en Algérie, et comme, trente ans après, les militaires américains qui tuèrent au Viêt-nam.

Primo Levi, Si c'est un homme.


2) Ecriture personnelle :

Y a-t-il des événements historiques extraordinaires ?