samedi 9 janvier 2016

Je me souviens : corrigé rédigé de la synthèse n° 1

(Le corpus est ici.)


Le titre du célèbre roman de Marcel Proust exprime une quête à laquelle nous cédons tous plus ou moins. Il suffit de voir le succès de sites tels que Copains d'avant. Il suffit de prendre part à une conversation familiale ou amicale pour le constater : l'évocation du passé fait recette. "Tu te souviens du jour où...?" Qui n'a prononcé ou entendu semblable question ? En outre, aujourd'hui, les moyens techniques favorisent cette évocation : photos rassemblées en album, vidéos, musiques enregistrées. Le passé collectif est lui aussi à l'honneur. On ne savoure pas seulement le souvenir des événements de la vie personnelle mais aussi celui des époques révolues. Quelles sont exactement la nature et la raison de cette fascination pour le passé ? Les quatre documents du corpus nous apportent des éléments de réponse. Dans un premier temps, nous verrons qu'il s'agit d'une nostalgie qui embellit le passé. Dans un deuxième temps, nous verrons qu'il existe plusieurs explications à ce phénomène.
Les quatre documents mettent en lumière la fascination qu'exerce le passé. Tout d'abord, ce phénomène n'est pas nouveau. Machiavel en fait état dans le Discours sur la première décade de Tite-Live. C'est, dit-il, une habitude très répandue et souvent erronée que de préférer au présent le passé, celui qu'on a connu ou celui que racontent les historiens. Et cette habitude se retrouve à notre époque. Eric Dupin a souvent rencontré le regret d'une époque révolue chez les Français de condition modeste. Cette nostalgie du bon vieux temps, associée à la ringardise, a souvent été traitée par le mépris. Selon Dupin, la croyance au progrès (qui fait partie de l'idéologie des classes dominantes) est le principal argument contre ce passéisme. On l'a vu en particulier dans la querelle du mariage homosexuel. C'était essentiellement par les personnes âgées, nous dit le journaliste, que le passé était surestimé. Dans les yeux souriants du couple de Woodstock photographié quarante ans plus tard transparaît une sorte d'émerveillement. Mais aujourd'hui, ajoute Dupin, la nostalgie se répand dans les autres classes d'âge. En effet, explique-t-il, 60% des Français âgés de 25 ans à 34 ans pensent qu'ils auront moins d'avantages que leurs parents. L'aura du passé devient, selon Anne-Laure Gannac, un bon argument de vente, aussi bien pour des produits alimentaires que pour certains sites Internet ou des chanteurs sur le retour. Le passé profite de l'agrément du souvenir. En effet, dit-elle, même s'il n'est pas rose, se le rappeler est un plaisir. Cette idée nous amène justement à l'explication de la nostalgie et de la surestimation du passé.
En effet, on voit à travers ce corpus qu'il y a deux raisons principales pour faire l'éloge du passé. D'une part, le passé peut avoir effectivement des qualités objectives. Par exemple, nous dit Dupin, la précarité, le chômage et les problèmes écologiques n'étaient pas à l'ordre du jour auparavant. Ces nouveaux fléaux donnent de la crédibilité aux propos nostalgiques. Woodstock nous fournit un autre exemple de ces qualités objectives du passé. Il est certain que ce fut un événement majeur tant par le nombre que par l'enthousiasme de la jeunesse et la qualité musicale. Mais ce qui rend le passé si attirant, c'est surtout l'effet du souvenir. La réalité disparue subit une transfiguration. Cela se fait de plusieurs manières, nous dit Machiavel. D'une part, le passé est moins bien connu donc plus facile à embellir. D'autre part, on a tendance à prêter aux riches, en quelque sorte. Les historiens font un tableau flatteur des époques anciennes. Pour magnifier les grands hommes, ils rehaussent même leurs adversaires, dit le philosophe florentin. Enfin, toujours selon lui, le passé ne suscite ni crainte ni envie, donc il n'est pas un objet de haine comme peut l'être le présent. Les jeux sont faits, on peut le contempler plus sereinement. Dupin cite Laura Carstensen, psychologue qui a étudié le biais cognitif du souvenir. Avec l'âge, explique-t-elle, la mémoire choisit de préférence les bons souvenirs. Ce tri contribue à rendre le passé plus attractif. L'embellissement du passé se fait donc par une tendance à surenchérir sur le positif et à négliger le négatif. Les psychologues que cite Anne-Laure Gannac complètent cette explication par deux idées. D'une part, le souvenir personnel est d'une certaine façon narcissique. Il nous donne le plaisir de  rejoindre l'être que nous étions. D'autre part, on aurait tendance à projeter sur le passé le fantasme d'un état de complétude que l'on désire et que l'on croit avoir connu dans l'enfance. Il y a donc dans l'éloge du passé une grande part de subjectivité, d'embellissement de la réalité disparue, même si cette réalité mérite parfois l'éloge.
Ce corpus nous montre clairement qu'il existe une tendance à retenir de préférence les bons aspects du passé. Mais ce n'est pas seulement sur ces aspects que se fonde notre fascination et notre regret. Au fond, c'est surtout le souvenir que l'on aime, c'est lui qui transfigure les époques antérieures. En effet, le souvenir implique un certain détachement qui permet la sérénité. A cette sérénité s'ajoute le plaisir de vaincre le temps en retrouvant intérieurement et en paroles ce qui est perdu. Peut-être est-ce pour cela que le souvenir porte le fantasme d'une complétude que la réalité nous refuse toujours.