lundi 7 octobre 2013

Cette part de rêve : sujet de synthèse et d'écriture personnelle # 2

1) Vous ferez une synthèse concise, objective et ordonnée des documents suivants :

Document 1 :

Les bonnes affaires sont-elles toujours celles qui procurent le plus de satisfaction ? En cette période de soldes, une étude scientifique américaine qui vient d’être publiée bouscule les idées reçues. Elle montre le pouvoir du marketing. Le prix le plus bas n’est pas toujours ce qui séduit le plus le consommateur.
Si vous trouvez plus cher ailleurs, venez nous payer la différence ! Ça n’est pas encore le nouveau slogan publicitaire des hypermarchés, mais effectivement, le travail effectué par des chercheurs de l’Institut d’économie de Californie, démontre qu’un prix élevé peut être un critère positif pour apprécier un produit. Il s’agit d’un test effectué sur une vingtaine de volontaires. Une dégustation de vins à l’aveugle : des bouteilles de Cabernet Sauvignon californien. Seule information donnée aux cobayes : le prix des bouteilles. La ruse a consisté à proposer des séries avec deux fois le même vin, une fois en indiquant son prix réel, une autre avec un faux prix. Par exemple une bouteille à 90 dollars a été présentée comme valant 10 dollars. On a aussi fait passer un vin à 5 dollars comme valant 45 dollars. Pendant la dégustation, les scientifiques ont scanné le cerveau des volontaires, analysé une zone qui enregistre les plaisirs liés aux goûts. Résultat : quand le consommateur est persuadé qu’un vin est plus cher, son cerveau le ressent comme meilleur, le plaisir est plus grand. La force de cette expérience, c’est qu’on n’a pas seulement demandé aux cobayes leur avis. On a essayé de mesurer objectivement leur perception. Et cela montre qu’un élément qui n’a rien à voir avec les qualités du produit – le prix – influe très fortement sur la satisfaction qu’il procure. Mais alors que faut-il conclure de cette expérience ; que l’on peut faire avaler n’importe quoi au consommateur ? Non, mais que l’acte d’achat est déterminé par des facteurs multiples, qu’il fait intervenir des critères qui ne sont pas seulement liés à des qualités objectives. C’est cette dimension qui est va être exploitée dans le marketing et la publicité, et sur laquelle le prix entre en jeu. Surtout pour des produits complexes, qu’il est difficile d’apprécier par soi même quand on n’est pas expert. C’est le cas du vin. Sauf à être œnologue, on entre chez un caviste en ayant en tête, si on ne s’y connaît pas, qu’un prix plus élevé est gage de qualité. Moins le consommateur est informé, plus le prix apparaît comme une garantie. Ou comme la porte d’entrée dans un univers où l’on se trouve valorisé. Grands crus, café en dosettes haut de gamme, ou jeans de grandes marques, le deuxième enseignement, c’est que la consommation se détermine non seulement en fonction de besoins parfaitement rationnels, mais aussi de nos désirs, c’est-à-dire de notre imaginaire. Mêlés aux qualités d’un produit, il y a l’univers qu’il évoque, le sentiment qu’il procure d’appartenir à certains groupes sociaux, d’atteindre le luxe. Le prix que l’on paie, c’est aussi le prix du rêve.

Emmanuel Kessler, "Le prix, ça fait aussi partie du rêve", franceinfo.fr, 2008.

Document 2 :

Afin de motiver le public, la communication (au sens large : publicité, design du produit, choix des textures, discours de la marque, logotype ...) doit créer autour de l'objet un univers symbolique fort et immédiatement reconnaissable. Le consommateur doit vouloir et pouvoir s'identifier à cet univers et à ces valeurs. L'acte d'achat devient alors presque une "profession de foi". Le discours fondé sur les qualités du produit n'existe plus que lorsqu'il y a innovation technologique, et donc unicité de l'offre. Dans les autres cas, on ne présente plus une voiture, mais "l'instrument incontournable de votre liberté". Le produit devient un prétexte pour parler au consommateur de ce qui l'intéresse par dessus tout : lui-même. Un produit ou un service ne sont donc plus présentés tels quels au public, mais re-présentés symboliquement pour provoquer l'adhésion.
Par cette représentation, la communication insiste sur "le bénéfice consommateur" et non sur les qualités du produit, (ce qui constitue la différence fondamentale entre la publicité actuelle et la réclame d'antan.) La représentation est définie par le fait de "rendre sensible un objet ou un concept au moyen d'une image, d'une figure, d'un signe." (Petit Robert) La communication manipule l'utilisation des images et des signes, pour nous les rendre plus séduisants, et transformer "la part du produit" en "part de rêve". Dans La Société de consommation, Baudrillard précise : "On ne consomme jamais l'objet en soi ( dans sa valeur d'usage ) - on manipule toujours les objets (au sens le plus large) comme signes qui vous distinguent soit en vous affiliant à votre groupe pris comme référence idéale, soit en vous démarquant de votre groupe par référence à un groupe de statut supérieur" .
Consommer, c'est donc "être en représentation" : se faire valoir, se montrer et montrer des préférences qu'on exhibe comme signes distinctifs ...Une représentation bien ciblée est stratégique pour la survie d'une marque : elle fédère le public autour de ses valeurs, et crée un imaginaire qui se transforme en pulsions d'achats. Elle tient compte d'un imaginaire collectif bien établi (sur les notions de "terroirs" par exemple), de valeurs consensuelles en adéquation avec l'époque (l'écologie, la diversité ethnique...), et de spécificités liées à la marque (son historique par exemple : certaines marques se construisent d'ailleurs de toutes pièces un historique afin de se rendre crédibles).
Finalement, ce ne sont plus les produits qui sont représentés, mais les valeurs qu'ils doivent communiquer. Ainsi, une crème cosmétique, un yaourt, une voiture ou un téléphone, deviendraient nos meilleurs alliés et nous rendraient "libres", "heureux", "beaux" ... et "sexy".
En 2002, les idéaux de bonheur, de liberté, de fraternité, et plus généralement de réussite individuelle et collective sont véhiculés en permanence par la publicité avec plus d'efficacité que par les religions, la philosophie ou les programmes politiques.
Dans la consommation, un individu ne satisfait pas un manque (contrairement au mythe récurrent), il échange des signes : "On jouit seul, mais la consommation, elle, n'est jamais solitaire, c'est un système de communication, elle implique toujours le regard et l'évaluation des autres. Elles brassent des standards et des représentations collectives. La réorganisation des besoins en signes est la façon dont la société entière communique et se parle." (Baudrillard, La Société de consommation)
Il faut donc admettre que le besoin n'est jamais le besoin de tel objet mais bien plutôt le besoin de distinction "valorisante" et c'est pour cette raison qu'il n'y a jamais de sentiment de satisfaction définitif ni d'ailleurs de définition objective du besoin (on entre ainsi dans la logique du désir -au sens social- qui implique le regard et la reconnaissance des autres). Rousseau nomme ce processus "l'amour-propre" : "L'homme, à l'état de société, vit en dehors de lui-même, dans l'opinion des autres"... L'homme vit donc dans la représentation des autres, au double sens du génitif. C'est pour cela qu' il n'y a pas de limite aux besoins de l'homme en tant qu'être social : la logique du prestige et le souci de distinction sont les moteurs de la consommation et non pas la sensation d'un manque objectif.
Paradoxalement, ce désir de reconnaissance et de distinction produit des êtres standardisés puisque, dans la pratique de la consommation, se différencier c'est toujours s'affilier à des modèles artificiellement démultipliés (comme les marques de lessive ! ) . Il y a une production industrielle de différences stéréotypées : la petite note claire dans les cheveux qui "nous rend plus que jamais nous-mêmes", le dernier modèle de vase ou d'essuie-main qui "personnalise" notre maison, annulent au contraire toute différence réelle... Au lieu de marquer un être singulier, ces stratégies de personnalisation marquent au contraire l'obéissance à un code qui entretient l'économie de production par les jeux artificiels des représentations. "Le système ne joue jamais sur les différences réelles (singulières, irréductibles) entre des personnes [...] Il élimine le contenu propre, l'être propre de chacun (forcément différent) pour y substituer la forme différentielle, industrialisable et commercialisable des "signes distinctifs"." (Baudrillard, La Société de consommation)

"Représentation et communication publicitaire", philophil.com

Document 3 :
[Les personnages principaux du roman vivent dans l’unique préoccupation de réussir matériellement.]
Ils auraient aimé être riches. Ils croyaient qu’ils auraient su l’être. Ils auraient su s’habiller, regarder, sourire comme des gens riches. Ils auraient eu le tact, la discrétion nécessaires. Ils auraient oublié leur richesse, auraient su ne pas l’étaler. Ils ne s’en seraient pas glorifiés. Ils l’auraient respirée. Leurs plaisirs auraient été intenses. Ils auraient aimé marcher, flâner, choisir, apprécier. Ils auraient aimé vivre. Leur vie aurait été un art de vivre.
Ces choses-là ne sont pas faciles, au contraire. Pour ce jeune couple, qui n’était pas riche, mais qui désirait l’être, simplement parce qu’il n’était pas pauvre, il n‘existait pas de situation plus inconfortable. Ils n’avaient que ce qu’ils méritaient d’avoir. Ils étaient renvoyés, alors que déjà ils rêvaient d’espace, de lumière, de silence, à la réalité, même pas sinistre, mais simplement rétrécie - et c’était peut-être pire – de leur logement exigu, de leurs repas quotidiens, de leurs vacances chétives. C’était ce qui correspondait à leur situation économique, à leur position sociale. C’était leur réalité, et ils n’en avaient pas d’autre. Mais il existait, à côté d’eux, tout autour d’eux, tout au long des rues où ils ne pouvaient pas ne pas marcher, les offres fallacieuses, et si chaleureuses pourtant, des antiquaires, des épiciers, des papetiers. Du Palais-Royal à Saint-Germain, du Champ-de-Mars à l’Étoile, du Luxembourg à Montparnasse, de l’île Saint-Louis au Marais, des Ternes à L’Opéra, de la Madeleine au parc Monceau, Paris entier était une perpétuelle tentation. Ils brûlaient d’y succomber, avec ivresse, tout de suite et à jamais. Mais l’horizon de leurs désirs était impitoyablement bouché ; leurs grandes rêveries impossibles n’appartenaient qu’à l’utopie..

Georges Perec, Les Choses, I, 2, 1965.

Document 4 :


Publicité pour Nike.

2) Écriture personnelle :

Pensez-vous que le rêve déclenché par les objets de consommation soit celui d'une satisfaction des sens ou d'une valorisation de soi? 

Une esquisse de corrigé de la synthèse se trouve ici.