mardi 19 novembre 2013

Cette part de rêve : corrigé d'écriture personnelle

Serait-il souhaitable de vivre sans rêves ? 

Il y a quelques années, mon grand-père m'a raconté une histoire. Son oncle avait un rêve : celui de la richesse. Tous les jours il allait à l'hippodrome dans l'espoir de revenir le soir riche et d'avoir la vie qu'il a tant désirée. Ce rêve n'a jamais pu se réaliser et, à la fin de sa vie, en tirant le bilan de ses paris, il dit : " En économisant tout l'argent que j'ai depensé sur les champs de courses, j'aurais pu m'acheter une belle maison dans le sud et en faire profiter ma famille. " Nous pouvons donc nous demander s'il serait souhaitable de vivre sans rêves. Pour répondre à cette problématique, nous définirons dans un premier temps les notions clefs du sujet, nous travaillerons ensuite sur le lien rêve/réalité à travers la notion de plaisir, nous observerons par la suite les valeurs sociale et morale que le rêve peut avoir, avant d'exposer les conséquences d'une vie sans rêves.
Le mot "rêve" a deux sens principaux. D'une part il désigne les images et les pensées du sommeil, d'autre part il signifie rêverie ou aspiration. Il nous semble que nous devons nous concentrer sur le deuxième sens pour répondre à la question. En effet, le rêve du sommeil est en général aussitôt oublié et il n'a guère d'effet connu sur notre vie. Nous nous intéresserons donc au rêve éveillé. Il nous faut ensuite nous demander ce qui est souhaitable. En général, est souhaitable ce qui est bon. Une chose bonne peut l'être soit pour le plaisir qu'on en tire, soit pour sa valeur morale, soit pour son intérêt social. Nous nous demanderons donc si le rêve éveillé procure du plaisir, puis s'il s'accorde avec la morale, et enfin s'il est utile à la société. En effet, si le rêve est déplaisant, immoral et nuisible à la collectivité, alors il va de soi qu'on préférerait s'en passer. Au contraire, s'il n'est ni désagréable ni nuisible, on ne doit pas souhaiter s'en priver.
A première vue, il semble que le rêve éveillé donne du plaisir. Si je rêve d'être riche, par exemple, ou de vivre un grand amour, je me représente une possibilité agréable, je me figure quelque chose qui me paraît merveilleux. Je me complais à m'imaginer riche ou aimé. Cependant, si mon rêve ne correspond pas à mes possibilités, je serai amené à déplorer mon état réel et à éprouver une frustration plus ou moins douloureuse. On le voit dans Mme Bovary ainsi que dans Les Choses. Emma nourrit un rêve d'amour qui est une image stéréotypée, elle aspire à ressembler aux héroïnes de romans, au lieu de rêver l'accomplissement d'une disposition réelle. Si j'ai ce qu'il faut pour aimer, pour créer de la richesse, il est bon que j'en rêve. Mais si, comme les héros des Choses, je me figure ce que je désire posséder, sans me donner les moyens de me le procurer, alors je connaîtrai l'insatisfaction. Le problème d'Emma est que son rêve est l'imitation de ses lectures. De même, Sylvie et Jérôme ont des rêves qui ne sont que le reflet des magazines. Ces personnages ne rêvent pas de mener à son apogée une disposition personnelle, que ce soit celle de gagner de l'argent ou celle d'aimer. Sylvie et Jérôme finissent par se résoudre à travailler pour s'enrichir mais, c'est trop tard, ils ont perdu leurs rêves. Emma, elle, manque de chance et de patience dans ses expériences amoureuses. La réalité semble un moment ressembler à son rêve puis elle n'y correspond plus. Peut-être faut-il pour que le rêve aspiration donne de la satisfaction accepter de l'adapter un peu à la réalité quand on ne parvient pas à faire l'inverse. Au fond, c'est l'incompatibilité rêve réalité qui fait du tort. Don Quichotte, lui, par exemple, n'est pas insatisfait, car il adapte complètement la réalité à son rêve par le délire. Donc il est satisfaisant de rêver, à la condition que rêve et réalité s'ajustent l'un à l'autre.
Mais est-il bon de le faire, d'un point de vue moral ? Rêver en soi n'est qu'une pensée, une imagination, et ne peut donc être immoral si l'on borne la moralité aux actes. Mais si le rêve engendre l'action alors il faut qu'il se tienne dans les limites d'une morale pour être bon. Le rêve de Hitler, par exemple, d'une Allemagne supérieure aux autres nations et débarrassée des Juifs, est une aspiration que l'on souhaiterait supprimer. Cet exemple peut servir aussi à illustrer le caractère nuisible de certains rêves sur le plan social. Pour ce qui est de la moralité et de la valeur politique du rêve, on peut penser que ce n'est pas le fait de rêver en soi qui pose problème, c'est la teneur de l'aspiration qui détermine le caractère souhaitable ou non du rêve. Si le rêve criminel est à proscrire, c'est parce qu'il est un crime au moins en intention, et non parce qu'il est un rêve. Ainsi, il serait absurde de supprimer le rêve puisque ce n'est pas lui, c'est la méchanceté qui est en cause.
Pour finir, il serait intéressant d'examiner ce que pourrait être une vie sans rêves. Apporterait-elle à l'homme plus d'avantages qu'une existence peuplée de rêves ? Dans la littérature, un homme, Meursault, semble témoigner de ce genre de vie. Il n'imagine pas de vie idéale, il ne se promet aucune satisfaction à venir, il ne se figure pas ailleurs, plus fortuné, amoureux et aimé. Sa vie en est-elle plus enviable ? Apparemment, non, c'est une routine, le travail, le déjeuner chez Céleste, à peu près toujours les mêmes visages, les mêmes lieux, le dimanche chez soi, où l'on regarde par la fenêtre passer les gens. Qui échangerait son existence contre la sienne ? C'est la vie a minima, la plus limitée qui soit. Si l'on considère maintenant ce que serait l'absence de rêve pour l'humanité, et non plus seulement pour l'individu, on voit tout de suite que les Gandhi, les Martin Luther King, les Christophe Colomb, les apôtres et combattants d'un monde meilleur, tous disparaîtraient. Ce serait sans doute une perte regrettable.
Si le rêve éveillé était plus nuisible que bénéfique, alors il serait souhaitable de ne pas rêver. Mais nous avons vu qu'il apporte du plaisir. Il est toujours agréable d'imaginer ce à quoi on aspire. Pour que le plaisir ne soit pas suivi de déception, il faut avoir un rêve dont la réalisation, au moins partielle, est à notre portée. Nous avons vu également que rêver ne peut causer de tort aux autres. Ce sont les actes qui découlent de notre aspiration qui peuvent être mauvais. Il faut donc y veiller. Mais ce n'est pas l'aspiration elle-même qui peut nuire à autrui. Enfin, il nous a semblé que la vie d'un individu, comme l'histoire des hommes, serait appauvrie sans le rêve éveillé. Puisque les bénéfices du rêve paraissent plus répandus que ses dérives, nous pensons qu'il n'est pas souhaitable de le rejeter. 

(L'introduction est de Clément Bonato BAT1) 

dimanche 3 novembre 2013

Cette part de rêve : sujet de synthèse et d'écriture personnelle # 3

1) Vous ferez une synthèse concise, objective et ordonnée des documents suivants :

Document 1 :

Ce qui paraît essentiel dans les diverses définitions qui ont pu être proposées de l’utopie (comme mentalité ou comme genre littéraire), c’est la coexistence d’une volonté protestataire et d’une espérance : désir et révolte seraient, selon Louis Quesnel, les « figures fondamentales de l’utopie ». Née du rejet de l’ordre social établi, l’utopie exprime l’aspiration à un changement radical de la société (radical au point d’envisager parfois de recréer jusqu’à la langue et jusqu’au corps humain, par le biais de l’eugénisme). Parce que le « rêve social » élaboré par l’utopie se construit en opposition à la réalité, elle fonctionne comme dispositif dénonciateur : la dimension critique lui est essentielle, elle est « pensée de l’écart ».
Un autre point sur lequel insistent souvent les définitions de l’utopie-texte est sa communauté de nature avec l’hypothèse : spéculative, l’utopie s’emploie à présenter un système rationnel d’organisation sociale, où ses idéaux puissent se concrétiser ; elle est volonté « d’expérimenter intellectuellement l’altérité sociale » (Baczko), « exercice mental sur les possibles latéraux » (Ruyer), « inventaire exploratoire » des différentes situations envisageables « dans la logique des virtualités » (Schlanger). On comprend l’intérêt accordé par les utopistes à la figure de l’insularité, grâce à laquelle ils peuvent bénéficier de l’isolement, de l’étanchéité nécessaire pour opérer leurs expériences avec toute l’asepsie d’un laboratoire, à l’abri du danger de contagion extérieure. (...)
L’accusation d’irréalisme s’est si bien associée à l’utopie que le terme a fini par prendre, dans l’usage courant, le sens péjoratif de « chimère » ou d’« illusion ». Baczko note que la question « Les utopies sont-elles réalisables ? » (question que pour sa part il estime peu pertinente) est paradoxalement imposée par les textes utopiques eux-mêmes : en fournissant une description détaillée de la société idéale, l’utopiste invite en effet son lecteur à chercher des correspondances entre la cité fictive et la société actuelle, et par là même il lui suggère de les envisager comme deux réalités comparables. Si Backzo trouve peu fructueux de se focaliser sur la « vérification » des utopies, c’est parce que l’œuvre utopique, exprimant l’imagination sociale de son époque, a pour vocation spécifique de formuler « l’image d’une extériorité à son propre espace et à son propre temps », si bien qu’elle est à la fois produit de l’histoire et refus de l’histoire, ou pour reprendre une formule de Joseph Gabel, « plan humain pour sauter hors de l’histoire et parvenir à une perfection stable ».
On touche là au deuxième grief formulé à l’encontre de l’utopie, son caractère fixiste et totalitaire, que manifeste la double fermeture du temps (figé dans un éternel présent) et de l’espace (l’utopie est très souvent une île, en tout cas un lieu clos : elle est une « structure de défense »). C’est aussi un univers strictement encadré par un système contraignant de règles qui soumettent l’individu à un contrôle social permanent : l’utopiste rêve en effet d’une coïncidence parfaite entre individu et collectivité – d’où le contrôle exercé sur la famille, susceptible de saper la solidarité communautaire, et sur la culture livresque, ferment d’individualisme. Le rêve utopique d’un homme tout social explique l’intérêt porté aux repas communs, aux fêtes, aux rituels, et la prédilection de l’architecture utopique pour des matériaux transparents comme le cristal, qui favorisent la disparition de tout espace privé, et partant celle de la liberté individuelle. C’est précisément là que réside la pierre d’achoppement de toutes les utopies, comme nous le rappelle ironiquement Dostoïevski (1821-1881) qui, condamné à cause de ses accointances avec les fouriéristes à cinq ans de travaux forcés en Sibérie (1849-1854), avait quelques comptes à régler avec les mouvements utopistes, et nous a laissé, dans Les Possédés, une savoureuse caricature de rêveur social en la figure de Chigaliov, qui présente en ces termes son « système d’organisation du monde » :
"Je dois vous prévenir que mon système n’est pas complètement achevé. Je me suis embrouillé dans mes propres données et ma conclusion se trouve en contradiction directe avec l’idée fondamentale du système. Partant de la liberté illimitée, j’aboutis au despotisme illimité."

Corinne Jouanno, "L’utopie, état de la question", Unicaen.

Document 2 :

Selon Diodore, un certain Iambulus, partant d'Ethiopie, arriva, après quatre mois de navigation, dans une île fortunée dont il décrit les habitants et les usages :


Les habitants sont distribués en familles ou en tribus, dont chacune ne se compose que de quatre cents personnes au plus. Ils vivent dans des prairies, où ils trouvent tout ce qui est nécessaire à l'entretien de la vie, car la bonté du sol et la température du climat produisent, plus de fruits qu'il ne leur en faut. Il croît surtout dans cette île une multitude de roseaux portant un fruit semblable à l'orobe blanche. Les habitants le recueillent et le laissent macérer dans l'eau chaude jusqu'à ce qu'il acquière la grosseur d'un oeuf de pigeon ; après l'avoir moulu et pétri avec leurs mains, ils en cuisent des pains d'une saveur très douce. On y trouve aussi beaucoup de sources dont les unes, chaudes, sont employées pour les bains de délassement; les autres, froides, agréables à boire, sont propres à entretenir la santé. Les insulaires s'appliquent à toutes les sciences, et particulièrement à l'astrologie ; leur alphabet se compose de sept caractères, mais dont la valeur équivaut à vingt-huit lettres, chaque caractère primitif étant modifié de quatre manières différentes. Les habitants vivent très longtemps ; ils parviennent ordinairement jusqu'à l'âge de cent cinquante ans et sans avoir éprouvé de maladies. Une loi sévère condamne à mourir tous ceux qui sont contrefaits ou estropiés. Leur écriture consiste à tracer les signes, non pas comme nous transversalement, mais perpendiculairement de haut en bas. Lorsque les habitants sont arrivés à l'âge indiqué, ils se donnent volontairement la mort par un procédé particulier. Il croît dans ce pays une plante fort singulière : lorsqu'on s'y couche, on tombe dans un sommeil profond, et l'on meurt. Le mariage n'est point en usage parmi eux; les femmes et les enfants sont entretenus et élevés à frais communs et avec une égale affection. Les enfants encore à la mamelle sont souvent changés de nourrices, afin que les mères ne reconnaissent pas ceux qui leur appartiennent. Comme il ne peut y avoir ni jalousie ni ambition, les habitants vivent entre eux dans la plus parfaite harmonie. Chaque tribu d'insulaires nourrit une espèce particulière de très grands oiseaux qui servent à découvrir les dispositions naturelles de leurs enfants. A cet effet ils mettent les enfants sur le dos de ces oiseaux, qui les enlèvent aussitôt dans les airs ; les enfants qui supportent cette manière de voyager sont conservés, et on les élève, tandis que ceux auxquels ce voyage aérien donne le mal de mer et qui se laissent choir de frayeur, sont abandonnés comme n'étant pas destinés à vivre longtemps et comme dépourvus des bonnes qualités de l'âme. Le plus âgé est le chef de chaque tribu ; il a l'autorité d'un roi auquel tous les autres obéissent; lorsqu'il atteint cent cinquante ans, il renonce, suivant la loi, volontairement à la vie, et le plus ancien le remplace immédiatement dans sa dignité. (...) La manière de vivre des habitants est soumise à des règles fixes, et on ne se sert pas tous les jours des mêmes aliments. Il y a des jours déterminés d'avance pour manger du poisson, de la volaille ou de la chair d'animaux terrestres; enfin, il y a des jours où l'on ne mange que des olives ou d'autres aliments très simples. Les emplois sont partagés, les uns vont à la chasse, les autres se livrent à quelques métiers mécaniques; d'autres s'occupent d'autres travaux utiles ; enfin, à l'exception des vieillards, ils exercent tous, alternativement et pendant un certain temps, les fonctions publiques.
Diodore de Sicile, La Bibliothèque historique, livre II, Ier siècle av. J.-C.


Document 3 :

Une des facettes de l’utopie est la volonté d’ordonner les choses, d’ordonner la société, d’ordonner l’Homme. Or dans ces constructions ordonnées (voire hyper-ordonnées), il n’y a pas de place pour la différence de vision, l’opposition ou tout au moins les divergences des classes sociales, les contradictions d’intérêt, l’opposition des idées.
Il ne peut y avoir d’exception dans une société utopique : tous sont soumis à un type d’organisation et à un seul.
L’utopie est une pensée de la plénitude au sens où elle règle les détails de toute chose, cela en s’appuyant sur des individus a priori de bonne volonté, cherchant par nature et de facto le bien de tous, pour tous et par tous.
Seulement, la réalité tend à se rappeler, celle qui fait s’interroger sur un homme qui serait naturellement bon. L’homme naturellement bon relèverait plus du mythe, de ce qui devrait être, voire finalement d’une utopie. Rousseau lui-même, avec son image du "bon sauvage", reconnaît qu’il s’agit d’une construction de l’esprit. En ce sens, l’homme comme animal social s’approcherait d’avantage de l’individu chez Machiavel, agissant uniquement selon son propre intérêt même dans les apparences de vertus.
En tout état de cause, l’appréhension utopique tend à surestimer l’homme ou à simplifier, réduire sa nature (voire le jeu d’opposition entre les bons et les mauvais Troglodytes dans les Lettres Persanes de Montesquieu).
Toute réflexion sur la cité idéale suppose cette approche d’un homme bon, c’est à dire tel qu’il devrait être non pas tel qu’il est.
Or pour Machiavel, puisque l’homme est naturellement méchant, il ne va pas suffire de simplement modifier les lois de la cité par des lois qui semblent justes pour obtenir la cité idéale. Ce n’est pas la sagesse, l’équilibre, la justesse des institutions qui pourra rendre les hommes meilleurs dans la mesure où cette sagesse leur est extérieure et que reste en eux cette tendance naturelle à la méchanceté.
C’est par la connaissance de la "marche des choses", par une rationalité technique et non pas par une morale raisonnable que les hommes et la cité sont gouvernables.
Ainsi pour Machiavel, l’utopie est inutile voire nuisible puisque se plaçant en son fondement même en dehors de la réalité humaine, elle n’en permet aucune compréhension donc maîtrise.

Claire Mélanie, "L’utopie : critiques des utopies", eclairement.com.


Document 4 :

Si l'idéologie préserve et conserve la réalité, l'utopie la met essentiellement en question. L'utopie, en se sens, est l'expression de toutes les potentialités d'un groupe qui se trouve refoulé par l'ordre existant. L'utopie est un exercice de l'imagination pour penser autrement. L'histoire des utopies nous montre qu'aucun domaine de la vie en société n'est épargné par l'utopie; elle est le rêve d'un autre mode d'existence familiale, d'une autre manière de s'approprier les choses et de consommer les biens, d'une autre manière d'organiser la vie politique, d'une autre manière de vivre la vie religieuse. Il ne faut pas s'étonner, dès lors, que les utopies n'aient cessé de produire des projets opposés les uns aux autres; car elles ont en commun de miner l'ordre social sous toutes ses formes. Or, l'ordre a nécessairement plusieurs contraires. Ainsi, concernant la famille, on trouve des utopies en grand nombre allant depuis l'hypothèse de la continence monacale jusqu'à celle de la promiscuité, de la communauté et de l'orgie sexuelle; au plan proprement économique, les utopies varient de l'apologie de l'ascétisme le plus rigoureux jusqu'à celle de la consommation somptuaire et festive; le politique lui-même est contesté aussi bien par les rêveries anarchisantes que par les projections d'un ordre social géométriquement conçu et impitoyablement coercitif; au plan religieux, l'utopie oscille entre l'athéisme et la festivité culturelle en des rêves de christianisme nouveau ou de sacralité primitive. Il n'est pas étonnant que l'on ne puisse pas définir l'utopie par son contenu, et que la comparaison des utopies entre elles soit si décevante; c'est que l'unité du phénomène utopique ne résulte pas de son contenu, mais de sa fonction qui est toujours de proposer une société alternative. (...)
Au moment même où l'utopie engendre des pouvoirs, elle annonce des tyrannies futures qui risquent d'être pires que celles qu'elle veut abattre. Ce paradoxe déroutant tient à une lacune fondamentale de ce que Karl Mannheim appelait la mentalité utopique, à savoir l'absence de toute réflexion de caractère pratique et politique sur les appuis que l'utopie peut trouver dans le réel existant, dans ses institutions et dans tout ce que j'appelle le croyable disponible d'une époque. L'utopie nous fait faire un saut dans l'ailleurs, avec tous les risques d'un discours fou et éventuellement sanguinaire. Une autre prison que celle du réel est construite dans l'imaginaire autour de schémas d'autant plus contraignants pour la pensée que toute contrainte du réel en est absente. Il n'est dès lors pas étonnant que la mentalité utopique s'accompagne d'un mépris pour la logique de l'action et d'une incapacité foncière à désigner le premier pas qu'il faudrait faire en direction de sa réalisation à partir du réel existant. (...) L'utopie fait évanouir le réel lui-même au profit de schémas perfectionnistes, à la limite irréalisables. Une sorte de logique folle du tout ou rien remplace la logique de l'action, laquelle sait toujours que le souhaitable et le réalisable ne coïncident pas et que l'action engendre des contradictions inéluctables, par exemple, pour nos sociétés modernes, entre l'exigence de justice et celle d'égalité. La logique de l'utopie devient alors une logique du tout ou rien qui conduit les uns à fuir dans l'écriture, les autres à s'enfermer dans la nostalgie du paradis perdu, les autres à tuer sans discrimination.
Mais je ne voudrais pas m'arrêter sur cette vision négative de l'utopie; bien au contraire, je voudrais retrouver la fonction libératrice de l'utopie dissimulée par ses propres caricatures. Imaginer le non lieu, c'est maintenir ouvert le champ du possible. Ou, pour garder la terminologie que nous avions adoptée dans notre méditation sur le sens de l'histoire, l'utopie est ce qui empêche l'horizon d'attente de fusionner avec le champ de l'expérience. C'est ce qui maintient l'écart entre l'espérance et la tradition.

Paul Ricoeur, "L'idéologie et l'utopie : deux expressions de l'imaginaire social", Cahiers du CPO.

2) Selon vous, l'utopie dit-elle une vérité ?

lundi 7 octobre 2013

Cette part de rêve : sujet de synthèse et d'écriture personnelle # 2

1) Vous ferez une synthèse concise, objective et ordonnée des documents suivants :

Document 1 :

Les bonnes affaires sont-elles toujours celles qui procurent le plus de satisfaction ? En cette période de soldes, une étude scientifique américaine qui vient d’être publiée bouscule les idées reçues. Elle montre le pouvoir du marketing. Le prix le plus bas n’est pas toujours ce qui séduit le plus le consommateur.
Si vous trouvez plus cher ailleurs, venez nous payer la différence ! Ça n’est pas encore le nouveau slogan publicitaire des hypermarchés, mais effectivement, le travail effectué par des chercheurs de l’Institut d’économie de Californie, démontre qu’un prix élevé peut être un critère positif pour apprécier un produit. Il s’agit d’un test effectué sur une vingtaine de volontaires. Une dégustation de vins à l’aveugle : des bouteilles de Cabernet Sauvignon californien. Seule information donnée aux cobayes : le prix des bouteilles. La ruse a consisté à proposer des séries avec deux fois le même vin, une fois en indiquant son prix réel, une autre avec un faux prix. Par exemple une bouteille à 90 dollars a été présentée comme valant 10 dollars. On a aussi fait passer un vin à 5 dollars comme valant 45 dollars. Pendant la dégustation, les scientifiques ont scanné le cerveau des volontaires, analysé une zone qui enregistre les plaisirs liés aux goûts. Résultat : quand le consommateur est persuadé qu’un vin est plus cher, son cerveau le ressent comme meilleur, le plaisir est plus grand. La force de cette expérience, c’est qu’on n’a pas seulement demandé aux cobayes leur avis. On a essayé de mesurer objectivement leur perception. Et cela montre qu’un élément qui n’a rien à voir avec les qualités du produit – le prix – influe très fortement sur la satisfaction qu’il procure. Mais alors que faut-il conclure de cette expérience ; que l’on peut faire avaler n’importe quoi au consommateur ? Non, mais que l’acte d’achat est déterminé par des facteurs multiples, qu’il fait intervenir des critères qui ne sont pas seulement liés à des qualités objectives. C’est cette dimension qui est va être exploitée dans le marketing et la publicité, et sur laquelle le prix entre en jeu. Surtout pour des produits complexes, qu’il est difficile d’apprécier par soi même quand on n’est pas expert. C’est le cas du vin. Sauf à être œnologue, on entre chez un caviste en ayant en tête, si on ne s’y connaît pas, qu’un prix plus élevé est gage de qualité. Moins le consommateur est informé, plus le prix apparaît comme une garantie. Ou comme la porte d’entrée dans un univers où l’on se trouve valorisé. Grands crus, café en dosettes haut de gamme, ou jeans de grandes marques, le deuxième enseignement, c’est que la consommation se détermine non seulement en fonction de besoins parfaitement rationnels, mais aussi de nos désirs, c’est-à-dire de notre imaginaire. Mêlés aux qualités d’un produit, il y a l’univers qu’il évoque, le sentiment qu’il procure d’appartenir à certains groupes sociaux, d’atteindre le luxe. Le prix que l’on paie, c’est aussi le prix du rêve.

Emmanuel Kessler, "Le prix, ça fait aussi partie du rêve", franceinfo.fr, 2008.

Document 2 :

Afin de motiver le public, la communication (au sens large : publicité, design du produit, choix des textures, discours de la marque, logotype ...) doit créer autour de l'objet un univers symbolique fort et immédiatement reconnaissable. Le consommateur doit vouloir et pouvoir s'identifier à cet univers et à ces valeurs. L'acte d'achat devient alors presque une "profession de foi". Le discours fondé sur les qualités du produit n'existe plus que lorsqu'il y a innovation technologique, et donc unicité de l'offre. Dans les autres cas, on ne présente plus une voiture, mais "l'instrument incontournable de votre liberté". Le produit devient un prétexte pour parler au consommateur de ce qui l'intéresse par dessus tout : lui-même. Un produit ou un service ne sont donc plus présentés tels quels au public, mais re-présentés symboliquement pour provoquer l'adhésion.
Par cette représentation, la communication insiste sur "le bénéfice consommateur" et non sur les qualités du produit, (ce qui constitue la différence fondamentale entre la publicité actuelle et la réclame d'antan.) La représentation est définie par le fait de "rendre sensible un objet ou un concept au moyen d'une image, d'une figure, d'un signe." (Petit Robert) La communication manipule l'utilisation des images et des signes, pour nous les rendre plus séduisants, et transformer "la part du produit" en "part de rêve". Dans La Société de consommation, Baudrillard précise : "On ne consomme jamais l'objet en soi ( dans sa valeur d'usage ) - on manipule toujours les objets (au sens le plus large) comme signes qui vous distinguent soit en vous affiliant à votre groupe pris comme référence idéale, soit en vous démarquant de votre groupe par référence à un groupe de statut supérieur" .
Consommer, c'est donc "être en représentation" : se faire valoir, se montrer et montrer des préférences qu'on exhibe comme signes distinctifs ...Une représentation bien ciblée est stratégique pour la survie d'une marque : elle fédère le public autour de ses valeurs, et crée un imaginaire qui se transforme en pulsions d'achats. Elle tient compte d'un imaginaire collectif bien établi (sur les notions de "terroirs" par exemple), de valeurs consensuelles en adéquation avec l'époque (l'écologie, la diversité ethnique...), et de spécificités liées à la marque (son historique par exemple : certaines marques se construisent d'ailleurs de toutes pièces un historique afin de se rendre crédibles).
Finalement, ce ne sont plus les produits qui sont représentés, mais les valeurs qu'ils doivent communiquer. Ainsi, une crème cosmétique, un yaourt, une voiture ou un téléphone, deviendraient nos meilleurs alliés et nous rendraient "libres", "heureux", "beaux" ... et "sexy".
En 2002, les idéaux de bonheur, de liberté, de fraternité, et plus généralement de réussite individuelle et collective sont véhiculés en permanence par la publicité avec plus d'efficacité que par les religions, la philosophie ou les programmes politiques.
Dans la consommation, un individu ne satisfait pas un manque (contrairement au mythe récurrent), il échange des signes : "On jouit seul, mais la consommation, elle, n'est jamais solitaire, c'est un système de communication, elle implique toujours le regard et l'évaluation des autres. Elles brassent des standards et des représentations collectives. La réorganisation des besoins en signes est la façon dont la société entière communique et se parle." (Baudrillard, La Société de consommation)
Il faut donc admettre que le besoin n'est jamais le besoin de tel objet mais bien plutôt le besoin de distinction "valorisante" et c'est pour cette raison qu'il n'y a jamais de sentiment de satisfaction définitif ni d'ailleurs de définition objective du besoin (on entre ainsi dans la logique du désir -au sens social- qui implique le regard et la reconnaissance des autres). Rousseau nomme ce processus "l'amour-propre" : "L'homme, à l'état de société, vit en dehors de lui-même, dans l'opinion des autres"... L'homme vit donc dans la représentation des autres, au double sens du génitif. C'est pour cela qu' il n'y a pas de limite aux besoins de l'homme en tant qu'être social : la logique du prestige et le souci de distinction sont les moteurs de la consommation et non pas la sensation d'un manque objectif.
Paradoxalement, ce désir de reconnaissance et de distinction produit des êtres standardisés puisque, dans la pratique de la consommation, se différencier c'est toujours s'affilier à des modèles artificiellement démultipliés (comme les marques de lessive ! ) . Il y a une production industrielle de différences stéréotypées : la petite note claire dans les cheveux qui "nous rend plus que jamais nous-mêmes", le dernier modèle de vase ou d'essuie-main qui "personnalise" notre maison, annulent au contraire toute différence réelle... Au lieu de marquer un être singulier, ces stratégies de personnalisation marquent au contraire l'obéissance à un code qui entretient l'économie de production par les jeux artificiels des représentations. "Le système ne joue jamais sur les différences réelles (singulières, irréductibles) entre des personnes [...] Il élimine le contenu propre, l'être propre de chacun (forcément différent) pour y substituer la forme différentielle, industrialisable et commercialisable des "signes distinctifs"." (Baudrillard, La Société de consommation)

"Représentation et communication publicitaire", philophil.com

Document 3 :
[Les personnages principaux du roman vivent dans l’unique préoccupation de réussir matériellement.]
Ils auraient aimé être riches. Ils croyaient qu’ils auraient su l’être. Ils auraient su s’habiller, regarder, sourire comme des gens riches. Ils auraient eu le tact, la discrétion nécessaires. Ils auraient oublié leur richesse, auraient su ne pas l’étaler. Ils ne s’en seraient pas glorifiés. Ils l’auraient respirée. Leurs plaisirs auraient été intenses. Ils auraient aimé marcher, flâner, choisir, apprécier. Ils auraient aimé vivre. Leur vie aurait été un art de vivre.
Ces choses-là ne sont pas faciles, au contraire. Pour ce jeune couple, qui n’était pas riche, mais qui désirait l’être, simplement parce qu’il n’était pas pauvre, il n‘existait pas de situation plus inconfortable. Ils n’avaient que ce qu’ils méritaient d’avoir. Ils étaient renvoyés, alors que déjà ils rêvaient d’espace, de lumière, de silence, à la réalité, même pas sinistre, mais simplement rétrécie - et c’était peut-être pire – de leur logement exigu, de leurs repas quotidiens, de leurs vacances chétives. C’était ce qui correspondait à leur situation économique, à leur position sociale. C’était leur réalité, et ils n’en avaient pas d’autre. Mais il existait, à côté d’eux, tout autour d’eux, tout au long des rues où ils ne pouvaient pas ne pas marcher, les offres fallacieuses, et si chaleureuses pourtant, des antiquaires, des épiciers, des papetiers. Du Palais-Royal à Saint-Germain, du Champ-de-Mars à l’Étoile, du Luxembourg à Montparnasse, de l’île Saint-Louis au Marais, des Ternes à L’Opéra, de la Madeleine au parc Monceau, Paris entier était une perpétuelle tentation. Ils brûlaient d’y succomber, avec ivresse, tout de suite et à jamais. Mais l’horizon de leurs désirs était impitoyablement bouché ; leurs grandes rêveries impossibles n’appartenaient qu’à l’utopie..

Georges Perec, Les Choses, I, 2, 1965.

Document 4 :


Publicité pour Nike.

2) Écriture personnelle :

Pensez-vous que le rêve déclenché par les objets de consommation soit celui d'une satisfaction des sens ou d'une valorisation de soi? 

Une esquisse de corrigé de la synthèse se trouve ici.  

dimanche 29 septembre 2013

Cette part de rêve : sujet de synthèse et d'écriture personnelle #1

1) Vous ferez une synthèse concise, objective et ordonnée des documents suivants :  

Document 1 :

Quand le cerveau rêvasse, il travaille vraiment...

Serait-ce la réhabilitation de l’image du savant distrait et rêveur, dans le plus pur style du professeur Tournesol ? Une équipe de scientifiques canadiens vient de démontrer que l’état de rêverie stimule significativement l’activité cérébrale, aidant ainsi à la résolution de problèmes complexes.
Plusieurs réseaux cognitifs se partagent la tâche dans notre cerveau, selon qu’il s’agisse d’accomplir des actes de routine, comme marcher, appuyer sur un bouton… ou résoudre des problèmes plus complexes. Le premier, qui peut être appelé « réseau par défaut » car son activité est permanente à l’état d’éveil, est ainsi secondé en cas de besoin par le « réseau exécutif ».
Ce dernier s’identifie comme étant le cortex préfrontal moyen et forme le lobe frontal du cerveau, situé en avant des régions prémotrices. De lui dépendent les fonctions cognitives supérieures, comme le raisonnement, mais aussi le langage et la mémoire. Jusqu’à présent, les scientifiques pensaient que l’une ou l’autre de ces deux zones était activée de préférence, en fonction de la nature de la tâche accomplie.
L’équipe de chercheurs, dirigée par Kalina Christoff, directrice du laboratoire de sciences neurologiques de l'Université Bristish Columbia de Vancouver, a examiné par IRMF (Imagerie par résonance magnétique fonctionnelle) le cerveau de plusieurs sujets, alors qu’ils accomplissaient différents travaux ne relevant que de la routine (comme appuyer sur une touche), ou rêvassaient. Les conclusions de cette étude, inattendues, pourraient être la plus grande découverte neuroscientifique de la décennie…
Si le « réseau par défaut » reste relativement actif dans toutes les situations, en revanche, le « réseau exécutif », correspondant aux fonctions cognitives supérieures, s’active intensément lorsque le sujet se met à rêvasser. Autrement dit, comme le démontre l’étude publiée dans les Pnas, la rêverie stimule le cerveau et lui permet de réfléchir plus. « Il s'agit d'une découverte étonnante que de voir ces deux réseaux du cerveau activés en même temps, commente Kalina Christoff. Jusqu'à présent, les scientifiques pensaient que quand l’un fonctionnait l’autre était en dormance ».
Cette étude démontre que pour résoudre des problèmes complexes, il vaut mieux laisser son esprit vagabonder plutôt que de s’acharner inutilement. « Quand on rêve éveillé, on peut ne pas atteindre son objectif immédiat (par exemple la lecture d'un livre ou suivre les cours en classe) mais l'esprit prend le temps de régler des questions plus importantes, comme la promotion de sa carrière ou ses relations personnelles », conclut Kalina Christoff.

Jean Etienne, "Quand le cerveau rêvasse", Futura-Sciences, 2009.

Document 2 :

Si je prends le dictionnaire et que je consulte la définition du mot “rêverie” je trouve ceci :
- nf. Pensées vagues auxquelles se laisse aller l’imagination.
Il est clair que de nos jours, avoir des pensées vagues, laisser voguer son imagination ne sont pas des activités qui sont très appréciées, surtout dans les entreprises. Et pourtant, à partir d’une rêverie, des déclics peuvent se produire. Je dirais même que l’art de la rêverie est important, si dans notre monde nous voulons rester sain d’esprit.
C’est en lisant un livre de Jean-Jacques Rousseau que je me suis demandé si nous accordions encore du temps à la rêverie. Ainsi, le philosophe né à Genève et un peu parano, raconte qu’il passe quelques semaines dans une petite île située sur le lac de Bienne en Suisse. Le temps est beau et Rousseau aime à se promener en barque sur cette étendue d’eau d’un calme exceptionnel. Même mieux, il adore se coucher dans son embarcation, les yeux au ciel, se laissant aller au gré du courant, en rêvant, tout simplement.
Oui, c’est bien du philosophe célébré pour Le contrat social et ses Confessions dont je parle. Pas de quelqu’un qui passait son temps à procrastiner et qui n’a pas fait grand chose de sa vie. Le citoyen de Genève, que je soupçonne d’avoir été un scanneur notoire nous donne au-delà du temps une belle leçon. Celle qu’il est nécessaire d’aérer sa vie professionnelle par des plages de repos complet. Tim Ferriss devrait être content.
Comme d’habitude, prenons exemple sur les enfants. Ne sont-ils pas les rois de la rêverie ? Ils ont une grande habilité à se créer des mondes imaginaires riches et colorés. Pour ça d’ailleurs, pas besoin de jouets coûteux ou de Nintendo. Seul l’imagination suffit. Si de nos jours, nous empêchons les plus jeunes de rêver en leur offrant trop d’activités pré-mâchées, il est certain que leur évolution en subira les conséquences. Les métiers de l’avenir seront de plus en plus tournés vers la création et s’ils n’ont pas développé et habitué leur cerveau à imaginer des scénarios, des options, des solutions possibles, certains d’entre eux risquent d’être moins épanouis dans leur future vie professionnelle.
En fait, tout cela, nous le savons bien car, un jour, il y a longtemps, nous étions nous aussi des enfants. Fouillez un peu dans vos souvenirs et remémorez-vous un de ces moments délicieux où, allongé quelque part dans la nature, seul ou seule, vous vous sentiez bien, où tout allait de soi, où tout était à sa place. Vous y êtes ?
Pour moi, c’était dans un petit bosquet qui se trouvait à la campagne dans le Bugey, une petite région de l’Ain, où en m’allongeant sur le dos, dans l’herbe, je voyais devant moi la cime des arbres et derrière, le ciel bleu, pur, où patrouillaient de petits nuages fragiles. Ce sont ces derniers qui déclenchaient mon imaginaire. Que cachaient-ils ? Où allaient-ils ? Combien étaient-ils ? Tout un scénario se développait dans cette rêverie interrompue seulement par l’appel de mes parents pour le dîner à la maison, là-bas.
Tentez maintenant de retrouver ces sensations en vous allongeant sur la moquette, à côté de votre bureau. Vous verrez la réaction de votre chef de service qui viendra vous dire, en posant une main sur votre épaule : “Je sais mon ami, je sais… [soupir] …la barque, le lac, Rousseau… continuez votre rêverie. Elle est bénéfique pour notre chiffre d’affaire.”
Et pourtant.
Des études scientifiques l’ont prouvé à plusieurs reprises. C’est bien en offrant à ses employés des plages libres où ils peuvent s’exprimer librement qu’une entreprise bénéficie de leur créativité. Un système comme celui de Google qui laisse à son personnel 20% de son temps de travail pour se concentrer sur des projets de son choix en est un bel exemple. On va me dire que Google avec ses moyens peut se permettre cela. En fait, c’est le contraire qui est vrai. C’est parce qu’ils ont autorisé ce système que les patrons de Google en recueillent aujourd’hui les bénéfices. Environ 50% des innovations de l’entreprise américaine viennent de ces projets libres.
Mais comme il est interdit de s’adonner à la rêverie au bureau, on le fait où l’on peut, car c’est un besoin vital, et souvent c’est dans la voiture, au milieu des embouteillages, là où l’on se sent faussement isolé et protégé, qu’on se shoote secrètement à la rêverie. Bien entendu, elle ne peut pas être de la qualité de celle créée dans un décor naturel et finit souvent par tourner au négatif, aux pires scénarios, aux angoisses, aux factures non payées, à la peur du futur.
D’où l’importance de faire des coupures. Partir, pour aller se régénérer seul(e) ou avec son ou sa partenaire. Ne rien prévoir de compliqué. Pas de rush touristique. Juste la paix, la nature et vous. Beau programme, non ?
Regardez les animaux. Ils prennent le temps de se relaxer. Observez un chat. Ne vous est-il jamais arrivé d’envier son rythme de vie ? Dans leur état naturel, les animaux ne sont pas stressés et vaquent tranquillement à leurs occupations, se ménageant de longues plages d’immobilité, les yeux dans le vague, contents.
L’homme, qui fondamentalement est comme eux, devrait faire de même. Je sais que j’insiste beaucoup sur ce point dans mes articles mais n’attendez pas que quelqu’un vienne vous donner une autorisation pour le faire. Prenez-la !
Choisissez un coin de nature isolé et goûtez à cette solitude régénératrice. Si ce n’est pas possible, isolez-vous chez vous, en écoutant de la musique douce. Laissez aller vos pensées. La rêverie, ce n’est pas comme la méditation où là, si j’ai tout compris, on fait le vide. Non, le but de la rêverie c’est de laisser aller vos pensées, de voir où elles vous conduisent, de les taquiner, de les chatouiller pour voir ce qui se produit.
Les chercheurs ont démontré que lorsque nous nous laissons aller à cette activité, les lobes temporaux, partie de notre cerveau associée à la mémoire, redoublent d’activité. Le cortex préfrontal lui, n’est pas en reste et s’active aussi. C’est grâce à lui que nous trouvons des solutions à nos problèmes.

Jean-Philippe Touzeau, "L'art de la rêverie", révolutionpersonnelle.com

Document 3 :

« La rêverie ne mène à rien; elle développe la sensibilité et enveloppe de tristesse, quand elle ne fait rien de pire. La seule rêverie qui fait du bien, c’est celle qui se rapproche de l’infini en contemplant l’étendue de l’océan ou la profondeur des cieux. »
Lettre de direction à une jeune femme, Léopold Beaudenom, vers 1900.
Les directeurs de conscience adressent fréquemment des mises en garde au sujet de la rêverie, dans les lettres de conseil spirituel qu’ils envoient aux femmes. Au fil du 19e siècle, ce désir de contrôle des rêves et de «l’imagination »,  selon leurs termes, ne cesse de s’accroître. Je n’ai pas trouvé de discours équivalent dans les lettres destinées aux hommes. Le rêve et la rêverie sont des activités jugées « féminines » : les femmes, et particulièrement les jeunes femmes, se laisseraient déborder par leur imagination, et l’on craint les effets néfastes de tels débordements. Quels effets néfastes ? Cela peut nous paraître surprenant. : aujourd’hui, on considère que le fait de rêver (endormi ou éveillé) est normal pour un être humain ; on valorise d’ailleurs les «grands rêves » comme les signes d’une vie intérieure riche et stimulante.
 Il n’en est pas de même à la fin du XIXe siècle : le rêve est un risque, rêver est un danger. Les éducateurs (mères, clergé) ne cessent d’insister sur l’inutilité de la rêverie, dans un monde où toute la vie n’est que « devoir ». En réalité, ce souci de limiter les rêves des femmes, au nom du devoir, cache des réalités plus concrètes : elles doivent se conformer au destin traditionnel des femmes des milieux bourgeois : la mariage et la maternité. Si le mariage forcé n’existe pas, bien des pressions sont possibles pour faire accepter aux jeunes femmes des conjoints correspondant aux projets patrimoniaux de leurs parents. Dans ce contexte, le rêve porte en lui les germes d’une révolte potentielle contre l’injonction du mariage et de la maternité, contre le fiancé choisi par la famille. D’ailleurs, les « mauvais livres » sont déconseillés car ils ouvrent la porte à la rêverie. La lecture des romans est particulièrement visée, pour des raisons dont les auteurs des manuels de formation ne se cachent pas : si les femmes s’identifient aux personnages et à leurs trajectoires amoureuses romanesques, elles risquent de vouloir conformer leur vie aux romans. Il ne s’agit pas que les femmes ressemblent à Emma Bovary ! Surveiller l’imaginaire des femmes, c’est surveiller les émotions amoureuses et les désirs charnels : en réalité, on surveille les effets de l’imaginaire sur le corps.
La rêverie des femmes doit donc être contrôlée sous peine de troubles dans l’ordre social : parce que le rêve est une évasion symbolique, il porte en lui le risque d’une évasion réelle. La rêverie mènerait ainsi au refus du mariage, à l’adultère, à des projets aventureux. Comme le montre l’extrait de la lettre de Léopold Beaudenom, les directeurs cherchent alors à canaliser la rêverie dans le sens du sacré. Il établit, en quelque sorte, les « rêves autorisés » : ceux qui renvoient à Dieu.  En conséquence, « La seule rêverie qui fait du bien, c’est celle qui se rapproche de l’infini en contemplant l’étendue de l’océan ou la profondeur des cieux. ». Une logique précise sous-tend ces conseils, que l’on trouve reproduits dans de nombreuses lettres. Si l’on inscrit le rêve dans le sacré, on exclut de la rêverie tout ce qui n’a pas sa place dans le sacré : le corps et les émotions humaines. Le rêve devient dès lors inoffensif !
Les éducateurs vont encore plus loin dans cette volonté de contrôle de l’imaginaire féminin : ils prétendent même influencer le contenu des rêves des femmes endormies. Des prescriptions très précises concernent le coucher et le lever : la dernière pensée du soir doit aller à Dieu, comme la première pensée du matin. Il est préférable de dormir face à un crucifix (quand on ne peut pas le tenir dans ses mains !). Ces consignes sont d’ordinaire destinées à des religieuses mais, au fil du siècle, elles concernent progressivement les femmes mariées et les jeunes femmes. Le sommeil, par le relâchement qu’il implique, est une activité dangereuse. Les examens de conscience imposent d’ailleurs le récit des rêves. Certains rêves sont ainsi condamnés à deux titres : la morale et la religion.
Ce tableau doit vous sembler bien pessimiste. Si l’on s’en tient aux discours normatifs et aux prescriptions, l’emprisonnement mental des femmes ne fait aucun doute, les éducateurs prétendant s’immiscer jusque dans les tréfonds de la vie intérieure : le rêve. Il faut cependant prendre garde à ne pas confondre les discours et le réel. Les femmes continuent de s’adonner à la rêverie en dépit du contrôle grandissant qui s’exerce sur elles. Elles construisent des échappatoires, s’adaptent, rusent consciemment ou inconsciemment.

Caroline Muller, "Rêves autorisés", Histoire(s) de direction spirituelle au XIXe, 2012.

Document 4 :

La Soupe et les nuages

Ma petite folle bien-aimée me donnait à dîner, et par la fenêtre ouverte de la salle à manger je contemplais les mouvantes architectures que Dieu fait avec les vapeurs, les merveilleuses constructions de l'impalpable. Et je me disais, à travers ma contemplation: "- Toutes ces fantasmagories sont presque aussi belles que les yeux de ma belle bien-aimée, la petite folle monstrueuse aux yeux verts."
Et tout à coup je reçus un violent coup de poing dans le dos, et j'entendis une voix rauque et charmante, une voix hystérique et comme enrouée par l'eau-de-vie, la voix de ma chère petite bien-aimée, qui disait: "- Allez-vous bientôt manger votre soupe, s...b... de marchand de nuages?"

Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris, 1869.

2) Écriture personnelle :

Pensez-vous que la rêverie soit menacée par la vie actuelle?

Un corrigé partiel de la synthèse (plan et rédaction d'une partie) se trouve ici. 


dimanche 25 août 2013

Cette part de rêve : plan de travail

Le rêve :

I) Etude lexicale :
Dégagez l'essentiel de l'article Rêve du TLF.

II) Le rêve du sommeil

1. Le rêve communication avec le divin :

La Bible :
Arrivé en Égypte, Joseph est revendu comme serviteur à Potiphar, officier du roi, Il fait prospérer les affaires de celui-ci et devient rapidement son intendant ; pendant plusieurs années il gère ses biens. Un jour, Joseph refuse les avances de la femme de Potiphar ; elle raconte alors à son époux qu’il a tenté de la séduire. Joseph est envoyé en prison.
Joseph partage sa cellule avec le maître-échanson et le maître-panetier de Pharaon. Un matin, ses deux compagnons se réveillent en ayant fait chacun un rêve. Joseph interprète leurs rêves. Il prédit au maître-échanson qu’il sera innocenté et qu'il retrouvera ses fonctions auprès du roi : il prédit au maître-panetier qu'il sera pendu et mangé par les oiseaux. Trois jours plus tard, ces prédictions se réalisent.
Le maître-échanson ne se souvient de Joseph que trois ans plus tard lorsque Pharaon fait un rêve interprété de différentes façons : Un mage dit que les sept épis et les vaches représentent sept provinces perdues et sept provinces gagnées. Un autre dit encore que sept princes seront tués par sept princes mariés à sept princesses qui tueront leurs sept maris puis seront tuées par leurs sept fils qui seront tués par sept princes. Le maître-échanson raconte alors au Pharaon comment Joseph a interprété son rêve et lui demande de le faire sortir de prison. Joseph dit alors au Pharaon que les sept beaux épis et vaches sont des années d'abondance et que les sept maigres épis et vaches sont des années de famine. Il lui demande ensuite de choisir un homme sage et juste pour veiller à ceci. Pharaon dit alors : C'est toi qui t'en occuperas. Je suis le Pharaon, mais nul en Égypte ne lèvera le pied sans ton consentement. Joseph défile alors en Égypte entouré des Grands du pays et est acclamé par la foule.
Des découvertes archéologiques prouvent que les Égyptiens de la Xe dynastie croyaient déjà qu'un rêve pouvait révéler l'avenir et avaient recours à des clés des songes. Le songe comme message divin existe également dans la mythologie grecque, à travers les rêves que Zeus envoie à Agamemnon ou les visions qu'accorde Apollon à Delphes, notamment à Oreste. Dans l'orphisme et l'école de Pythagore on enseigne que la communication avec le Ciel s'effectue uniquement pendant le sommeil, moment où l'âme s'éveille, doctrine identique qu'on retrouve chez les écrivains juifs et arabes du Moyen Âge. Ibn Khaldoun évoque la pratique ritualisée des rêves mantiques chez les musulmans. L'oniromancie babylonienne n'avait rien à apprendre de la Grèce. Le songe prophétique est bien connu chez les Sémites, ce dont témoigne l'Ancien Testament. On s'intéressait déjà aux rêves à Sumer vers -3000, et dans l'Égypte ancienne (-2500).


Grèce antique :
Dans la mythologie grecque, les songes ont leurs propres divinités, les Oneiroi, la plus connue est Morphée, dieu des rêves prophétiques. Aussi bien les philosophes que les médecins grecs se sont intéressés aux rêves et à leur sens. Ils y ont répondu de manière différente allant d'un événement sans conséquences (Aristote) à l'aide au diagnostic d'une maladie (Hippocrate) ou encore à un outil de divination.
  • Le médecin grec Hippocrate (460 av. J.-C.-370 av. J.-C.) est l'auteur du Traité d'hygiène d'Hippocrate ou l'Art de prévoir les maladies du corps humain par l'état du sommeil. Suivant l'état du soleil, de la lune ou des astres vus en rêve, Hippocrate disait savoir si le sujet était en bonne santé, ou au contraire malade. Les rêves avaient qualité de prodromes concernant l'état de santé d'une personne. Le traité étudie aussi les rapports entre les contenus oniriques et les diverses maladies. Ainsi, voir en rêve une mer agitée pronostique l'affection du ventre ; voir du rouge témoigne d'une surabondance de sang, etc.
  • Aristote (-384 à -322) traite les rêves dans son Petits Traités d’histoire naturelle (titre latin : Parva naturalia). Il les considère comme un phénomène somatique lié au vécu de la journée.
  • Artémidore de Daldis développe un système d'interprétation des rêves très élaboré au IIe siècle av. J.-C. dans l’Onirocriticon (Ỏνειροκριτικόν).
  • L'incubation, du latin incubatio (sommeil du temple en latin) qui signifie « dormir dans le sanctuaire », se pratiquait dans des grottes. Dans l'incubation thérapeutique, les malades se rendaient dans un temple dédié au dieu de la médecine et s'étendaient sur une peau d'animal, dans l'adyton, pour y dormir, après avoir reçu les instructions des prêtres leur recommandant d'être particulièrement attentifs à l'aspect qu'aurait le visage du dieu si celui-ci leur apparaissait en rêve.
  • Enéide, chant IV :
    « Quant à Énée, assuré désormais de partir, il sommeillait, en haut de sa poupe ; tout était prêt déjà, bien au point. Alors dans son sommeil il vit se présenter à lui l'image du dieu revenant sous les mêmes traits et l'avertissant de nouveau. En tous points semblable à Mercure, il avait sa voix, son teint, ses  cheveux blonds et son corps éclatant de jeunesse. « Fils de déesse, peux-tu dormir, en un moment comme celui-ci ? Ne vois-tu pas les périls qui t'entourent désormais, pauvre fou, n'entends-tu pas les souffles favorables des Zéphyrs ? Elle retourne en son cœur rusé un abominable sacrilège, résolue à mourir, ballottée en tous sens au gré des vagues de sa colère. Ne vas-tu pas fuir d'ici, en hâte, tant qu'il t'est possible de te précipiter ? Bientôt tu verras ses navires s'agiter sur la mer, tu verras luire des torches cruelles ; bientôt des flammes embraseront le rivage, si l'Aurore te trouve en train de t'attarder sur ces terres. Va-t-en donc ! Arrête de tergiverser ! La femme est chose qui toujours varie et change ! » Sur ce, il se mêla à la sombre nuit. »
Moyen-âge :
Pape en 590, Grégoire le Grand distingue trois grands types de rêves : ceux dus à la nourriture et à la faim, ceux envoyés par les démons et ceux d'origine divine. À sa suite, seuls les rêves d'origine divine seront tolérés. L'oniromancie devient en effet une pratique interdite
D'après Jacques Le Goff, le savoir sur le rêve commence à s'affirmer à partir du XIIe siècle, s'affranchissant de ses origines divine et satanique. C'est l'ouvrage Liber de spiritu et anima (L'Esprit et l'âme), rédigé par un moine cistercien au XIIe siècle, Alcher de Clairvaux, qui permet cette transition. Assez semblable aux conceptions de Macrobe, il existe, selon Alcher de Clairvaux, cinq types de rêves.
  • l' oraculum, rêve que Dieu envoie à ses émissaires
  • la visio, rêve prophétique clair
  • le somnium, rêve nécessitant une interprétation
  • l' insomnium, rêve commun et sans intérêt
  • le phantasma, apparitions fantomatiques, pendant les premières phases du sommeil, dont fait partie le cauchemar ou l' éphialtès.

2. Le rêve cryptogramme du désir : Freud

" Le rêve est un moyen de suppression d'excitations (psychi­ques) venant troubler le sommeil, cette suppression s'effectuant à l'aide de la satisfaction hallucinatoire. " Freud, Introduction à la psychanalyse, IIe partie, 1916.
Il existe selon Freud deux sortes de rêve : le rêve clair et le rêve déformé. Le premier manifeste un désir qui n'est pas censuré, le deuxième traduit un désir refoulé.

3. Le rêve selon les neurosciences :

Les caractéristiques neuropsychologiques du rêve varient continûment du sommeil lent au sommeil paradoxal: le rêve s'apparentant à la pensée à l'état de veille lors du sommeil profond, puis devenant de plus en plus comparable à un état hallucinatoire sensori-moteur lors du sommeil paradoxal.
En 1953, Aserinsky émit l'hypothèse que les périodes de mouvements oculaires rapides survenant pendant le sommeil et enregistrés grâce à un électro-oculogramme correspondaient aux périodes des rêves. Cette activité oculaire fut nommée « PMO » (pour « phase de mouvements oculaires ») ou « REM » (« rapid eye movements ») par opposition aux mouvements oculaires lents et ondulants observés pendant la phase d'endormissement. W. Dement constata que 80 % des dormeurs réveillés pendant les phases REM se rappelaient leurs rêves, contre 7 % seulement pendant les périodes de sommeil profond. Le rêve survenait par périodes de 20 à 25 min, séparées par des intervalles de 90 minutes, et il était caractérisé par une activité corticale similaire à celle de l'endormissement et des mouvements oculaires rapides. Ces travaux furent confirmés par Michel Jouvet chez le chat. Il découvrit en outre que pendant les phases REM existait une disparition du tonus musculaire axial, associée à une activité cérébrale intense, proche de l'éveil les yeux ouverts, et de l'endormissement les yeux fermés (soit une durée de 6 min toutes les 25 min chez le chat). C'est ce qui le conduisit à introduire la notion de sommeil paradoxal, faisant ainsi du rêve le troisième état physiologique du cerveau. Ces critères d'atonie, d'activité cérébrale, et des mouvements oculaires se retrouvèrent également chez l'homme.

Problème que pose le rêve du sommeil : il suscite des croyances sans fondement scientifique.


III) Le rêve éveillé :

1. Définition :
Représentation d'un objet imaginaire et en général de la satisfaction imaginaire d'un désir. Il faut ajouter sans doute que le désir doit être impossible à satisfaire dans l'immédiat. On ne dira pas qu'on rêve de jouer aux cartes ou de boire un café si c'est aussitôt réalisable. Ou alors ce sera une expression hyperbolique, car le rêve est un désir orienté vers une satisfaction d'une grande valeur.

2. Finalités :
a) Se donner du plaisir.
b) Orienter son action pour se modifier soi-même ou modifier son environnement. (Il faut distinguer le rêve qui inspire l'action de la rêverie qui s'accompagne en général de solitude et d'inaction.)
c) Élaborer le sujet d'une œuvre artistique.
d) Élaborer l'objet d'une croyance religieuse. (Le paradis est-il rêve ou réalité ? Cela dépend des points de vue.)
Pour Freud, le rêve éveillé est, comme le jeu d'enfant, la satisfaction d'un désir soit sexuel soit d'ambition dont la source se trouve dans l'enfance. La différence c'est que le jeu d'enfant s'appuie sur des objets réels (jouets, bouts de bois, etc.) et qu'il ne se cache pas. Le rêve éveillé ou fantasme, au contraire, se dissimule en général (à cause de la honte sociale) et ne donne pas lieu à une mise en scène extérieure. Tout se joue dans l'esprit du rêveur éveillé. Freud développe très clairement sa théorie du rêve éveillé, expression d'un désir égoïste ou sexuel comme le rêve du sommeil, dans un bref texte que vous trouverez ici.


Êcueils :

1. Orienter son action selon le rêve de l'impossible (Don Quichotte, Nerval).
2. Se désintéresser de son environnement au point d'exposer sa vie à des dégradations (précarité et solitude). Oblomov. "La laitière et le pot au lait". La Recherche de l'absolu. Le rêve comme opium (du peuple ou de l'individu). "La Chambre double" de Baudelaire. Karl Marx, Critique de la philosophie du droit de Hegel.
3. Entraîner les hommes dans un rêve collectif qui induit en erreur (le rêve religieux a dans une certaine mesure freiné la recherche de la vérité).
4. Réaliser son rêve et se rendre compte qu'il ne donne pas le bonheur (La révolution russe).
5. Rêver à la place d'autrui (le père qui rêve que son fils soit avocat et qui gâche la vie de son fils).
6. Réaliser pour tous le rêve d'un seul ou de certains (le rêve d'une Europe allemande, nazie et débarrassée des Juifs). La République.
En somme le rêve peut être illusion aliénante ou levain du progrès.

Le problème est d'éviter ces écueils. Quelles sont les solutions?

Sujets d'écriture personnelle :
Est-il souhaitable de vivre sans rêves ?
Faut-il rêver avec modération ? 
Le rêve du sommeil a-t-il une influence sur la vie des hommes ?
Qu'entend-on par "se couper de la réalité" ?
Faut-il opposer rêve et réalité ?
Nos rêves sont-ils toujours ceux d'autrui ?
Pensez-vous que le rêve témoigne du désir de l'homme de donner un sens ?
Dites si vous partagez ou non l'opinion de Baudelaire qui écrit dans Le Spleen de Paris : "Relativement au rêve pur, à l'impression non analysée, l'art défini, l'art positif est un blasphème."
Pensez-vous, comme Margaret Mead, que le rêve des uns peut être le cauchemar des autres ?
Les rêves sont-ils trompeurs ?
Nos rêves portent-ils l'empreinte de notre famille, de notre milieu, de la société tout entière ? 

Exposés :
L'histoire de Joseph
La cité idéale d'après La République (III-IV-V)
Utopia de Thomas More
"La laitière et le pot au lait"
Don Quichotte
1984 
La tour de Babel
Christophe Colomb
L'homme qui vole (D'Icare aux frères Wright)
"Le Rêve d'un homme ridicule" de Dostoievski
Madame Bovary
Martin Luther King
Gandhi
Freud
Le rêve de la Résistance
Aurélia
Les Rêveries du promeneur solitaire
Le marketing du rêve
Le rêve féministe
Le rêve de la vie extra-terrestre
Le rêve (réalisé) d'Auroville

Pour les exposés, adopter le plan suivant :
1. Quel est le rêve en question ?
2. D'où vient-il ? (les causes)
3. S'est-il réalisé ? (les conséquences)
4. Quels effets a-t-il produits sur le rêveur et la société ? (les conséquences)

Cette part de rêve que chacun porte en soi

Thème n° 2 - Cette part de rêve que chacun porte en soi  
Problématique : 
Le rêve se définit spontanément par opposition à la réalité. Il est généralement tenu pour une parenthèse de la conscience, une phase particulière du sommeil. Mais il renvoie aussi à la représentation idéale de ce que chacun désire et voudrait peut-être réaliser. La part de rêve que chacun porte en soi semble pouvoir libérer de réalités douloureuses, monotones ou ennuyeuses et aider ainsi à orienter autrement sa vie, à la redessiner dans un ailleurs et un futur plus ou moins proches. Le rêve stimule l'individu qui ne se satisfait pas de ce qu'il est et de ce qu'il a. Il élargit les possibles.  Multiples sont les éveilleurs de rêves (lieux, objets, personnes, sensations, etc.). Les œuvres d'imagination sont aussi propices à la rêverie, elles permettent de se transporter dans d'autres espaces, d'autres époques, d'autres personnages. Cependant, le rêve risque de couper du réel et d'amener à ne vivre que de chimères ou de fantasmes qui empêchent d'agir dans le monde et de mener sa vie. En ce sens, il est parfois dénigré comme perte de temps, fuite des responsabilités. Quelle part de rêve préserver dans un monde soumis à l'efficacité et à la rentabilité immédiates ?  C'est tout autant l'être que l'avoir qui sont concernés par le rêve : rêves d'objets de consommation, rêves de luxe, rêves de ce que les nouvelles technologies autorisent, rêves d'une identité autre, plus belle, plus forte, plus grande. Ces aspirations induisent un idéal porté par le rêve, facteur d'élévation et de sublimation de chacun, force de création et d'innovation. Cet idéal n'est cependant pas le même pour tous. Tel individu ne pourra-t-il pas trouver médiocre ce que tel autre pense être à sa mesure ?  Quelle est la part intime et vraiment personnelle de ce rêve qui nous porte ? Partagé par un groupe ou par l'ensemble d'une société, le rêve peut devenir utopie et donner à chacun comme à tous des raisons de vivre et d'espérer. Mais l'optimisme utopique ne risque-t-il pas de porter atteinte à la part de rêve et de liberté que chacun porte au plus profond de soi ?

En bref : 

Comme d'habitude la problématique présente des jugements contradictoires sur le thème : positif, négatif. Ici, il y a deux points de tension

1) Le rêve enrichit le réel mais il risque de nous en couper. 

2) L'utopie (rêve collectif) donne de l'espoir mais elle risque de porter atteinte à la liberté individuelle.

Il y a donc deux dangers soulevés par cette problématique : le danger de la déréalisation (vision erronée de la réalité) et le danger de l'oppression.

vendredi 14 juin 2013

corrigé de l'écriture personnelle du sujet de Culture générale 2013

Le développement des nouveaux modes de communication améliore-t-il notre dialogue avec autrui ?

Analyse :
canaux : téléphone portable, ordinateur
modes : communication orale synchrone (téléphone ou ordinateur), communication écrite synchrone (messagerie instantanée), communication écrite asynchrone (courrier électronique, forums, messages sur sites web), communication orale/écrite et visuelle synchrone (webcam)
dialogue : communication verbale ou non
améliorer : selon quels critères évaluer la qualité d'une communication ?
on peut évaluer le dialogue en fonction de la satisfaction des besoins :
critères propres au canal :
- vitesse de la transmission
- sûreté de la transmission : degré du risque de non acheminement, d'altération du message, d'interruption du contact, d'interception du message
- disponibilité du moyen de communication
- coût de la transmission
- authenticité (degré de falsifiablité du message)
critère propre au code et au message :
- intelligibilité (degré du risque d'incompréhension ou d'erreur de compréhension)

Résumé de l'écriture (argumentation à développer avec des faits, des références culturelles, des exemples et des explications) :
En somme, idéalement un bon dialogue est efficace : rapide, sûr, il peut être établi à volonté, il coûte peu, il exclut le faux, l'incompréhension ou l'erreur de compréhension. Ces critères font abstraction de la teneur du message.
Les NTIC apportent la vitesse, la sûreté, la disponibilité du canal, une réduction du coût, une certaine garantie d'authenticité (il est plus facile d'envoyer une fausse lettre qu'un faux mail). L'intelligibilité du message semble ni moindre ni plus grande qu'avec les moyens traditionnels (après tout les mésinterprétations dues à l'effacement de la présence physique ne sont pas plus probables avec les mails qu'avec les lettres).
Les NTIC augmentent le nombre de messages et de destinataires, mais les messages sont souvent plus brefs que les lettres manuscrites ou les conversations de vive voix. En somme, elles nous amènent apparemment à dialoguer plus fréquemment et avec plus de gens. En outre, elles élargissent notre choix d'interlocuteurs en nous permettant de communiquer avec des personnes que nous n'aurions jamais rencontrées hors ligne. En ce sens, elles accroissent notre liberté et nous donnent plus de chances d'engager des relations fondées sur des critères conformes à nos préférences (centres d'intérêt, langue, orientation sexuelle et affective, etc.).
Il semble donc que les NTIC apportent une amélioration de la transmission, une amélioration de la fréquence des échanges et un enrichissement du choix des interlocuteurs.