dimanche 11 novembre 2012

Piégé sur Chatroulette, un lycéen se pend

Un nouveau suicide, après celui d'Amanda Todd, repose de façon tragique le problème de l'exposition de soi sur Internet et des risques de manipulation. 

Les adolescents sont particulièrement vulnérables. 

 "New danger online for teenagers", un article court et synthétique sur la question, en anglais (pour s'entraîner à la traduction, excellent exercice d'écriture)

Voici l'opinion d'un psy interviewé par une journaliste du Figaro :

INTERVIEW - Selon Michael Stora, psychologue et spécialiste des mondes numériques, certains adolescents ne supportent pas que leurs proches découvrent une autre facette d'eux-mêmes.

LE FIGARO. - Comment certains jeunes internautes peuvent-ils arriver à se suicider?
Michael STORA. - Ce sont vraisemblablement des personnes qui devaient déjà vivre dans cette pression sociale. Et à partir du moment où il y a transgression et que des images «interdites» passent de la sphère privée à celle publique, alors la honte et la culpabilité surgissent. Il est insupportable pour l'adolescent de réaliser que son entourage familial et amical puisse découvrir cette facette de lui, même si cela se cantonne à un simple dérapage (note du blog : on appréciera le mot "dérapage" à propos d'une exhibition sexuelle sur Chatroulette). Le suicide est ainsi un acte fou, dicté par l'image non assumée que l'on donne de soi. Et plus la pression sociale est forte, plus le passage à l'acte est fort.
En quoi la sphère virtuelle est-elle un lieu de désinhibition?
Internet est un espace à l'abri du regard où l'on peut s'affranchir d'une pression sociale, de l'interdit en général. Dans notre société qui, je trouve, d'ailleurs, revient à un certain puritanisme, le sexe est ce qu'il y a de plus transgressif. C'est tout le paradoxe que l'on retrouve aux États-Unis, pays le plus puritain et qui pourtant a vu naître la pornographie : on parle beaucoup de sexe, mais il reste tabou et culpabilisant.
Aujourd'hui, les adolescents découvrent donc de plus en plus le sexe via Internet, que cela passe par le visionnage de sites pornographiques ou bien par l'exhibitionnisme sur des chats et des sites comme Chatroulette, où des internautes, qui ne se connaissent pas, dialoguent par webcams. La sphère virtuelle constitue un lieu d'expérimentation sexuelle, un laboratoire de recherche, où l'on s'autorise beaucoup plus de choses que dans la vie dite «réelle». On assiste à un phénomène de désinhibition où les jeunes se sentent à l'abri de certains interdits psychologiques ou sociétaux.
L'internaute peut-il avoir l'illusion d'être protégé par l'écran?
Complètement, et il oublie parfois qu'il y a un autre de l'autre côté. D'autre part, beaucoup de personnes ne cherchent pas à chercher à savoir à qui elles ont affaire. Ces histoires révèlent un problème: les jeunes doivent être attentifs à l'image qu'ils donnent, dans le sens où ils doivent faire attention. Et, dans le même temps, il y a une nécessité de vivre au travers de l'image qu'on donne et donc d'être dans la provocation et la surenchère.
Y a-t-il un profil type de l'agresseur?
Il est extrêmement manipulateur et détecte très rapidement les failles de l'internaute. Les adolescents peuvent par exemple être en position de vulnérabilité par rapport à la sexualité. Ils sont à une période pendant laquelle ils apprivoisent leur corps, et certains peuvent avoir du mal à gérer leurs pulsions. Et dans une situation de manque, leur crédulité peut être très forte. Ils peuvent ainsi se laisser embobiner par des personnes malveillantes.
 Par Anne-Laure filhol, Le Figaro

Ne parlons pas du cas particulier du lycéen en question, ni de celui d'Amanda Todd. Restons sur un plan général. Quel enseignement peut-on tirer de cette série de faits? 

Ce n'est pas Internet qu'il faut incriminer, comme certains sont tentés de le faire, ni même des sites comme Chatroulette ou Bazoocam. C'est, à mon avis, le manque d'information et la solitude dont bien des jeunes pâtissent.

Comment remédier à ce manque d'information? 

Dans la presse, sur les blogs, bien sûr. Il faut mettre en garde. Mais on devrait aller plus loin. Un enseignement modeste mais efficace devrait être dispensé aux lycéens dans des domaines que les programmes ignorent. Nos lycéens ne savent quasiment rien du droit. Ils devraient être informés au minimum de certains points du code civil et du code pénal. Autre domaine impliqué dans ces affaires malheureuses, la sexualité. Le ministère de l'Education nationale prévoit "au moins trois séances annuelles d'éducation à la sexualité" qui "relient et complètent les différents enseignements dispensés en cours". Le problème est que cet enseignement est réduit à presque rien, une sensibilisation au VIH et à la contraception dans le meilleur des cas. Le tabou de la sexualité dont parle Michael Stora est responsable du malheur de ces jeunes piégés sur des sites internet. La honte, le sentiment de culpabilité, la peur, tels sont les dangers. Un adolescent qui s'exhibe avec sa webcam devant une personne sexuellement majeure et consentante ne devrait pas croire qu'il accomplit un acte coupable et déshonorant. Il ne devrait pas être épouvanté par la menace de diffuser sur Internet des images vidéos enregistrées sur Chatroulette ou ailleurs. Ce qui me paraît anormal n'est pas de se masturber devant sa webcam ou de montrer son corps mais de croire que c'est anormal ou honteux de le faire.

Si jamais il vous arrivait d'être piégés, parlez-en avant toute chose, à vos parents (s'ils sont assez ouverts et proches pour comprendre), à un ou une amie, ou à défaut sur un forum fiable. Ne restez pas seul avec votre peur. Et dites-vous que la meilleure réaction face au chantage ou au harcèlement est de rejeter le sentiment de culpabilité. Faire des choses sexuelles entre personnes majeures et consentantes n'est ni un crime ni une faute.

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