1) Vous
ferez une synthèse concise, objective et ordonnée des documents suivants :
Document 1 :
Quand vous écoutez une chanson qui déclenche des souvenirs,
votre cortex préfrontal, qui garde les informations relatives à votre vie
personnelle et à vos relations avec les autres, se met en action.
Mais sans émotions, les souvenirs n’ont aucun sens – et
mis à part l’amour et la drogue, rien ne déclenche une réaction émotionnelle
aussi efficacement que la musique. Les travaux sur l'imagerie cérébrale
montrent que nos chansons préférées stimulent les circuits du plaisir, qui
libèrent un flot de dopamine, de sérotonine, d’ocytocine et autres hormones qui
nous font nous sentir bien. (...)
Si la musique allume ces étincelles d’activité
neuronale chez tout le monde, chez les jeunes, elles se transforment en
festival pyrotechnique. Entre 12 et 22 ans, notre cerveau connaît un
développement neurologique rapide, et la musique que nous aimons pendant cette
période semble s’incruster définitivement dans nos lobes. Lorsque nous formons
des connexions neuronales en écoutant une chanson se crée une forte trace
mnésique qui se charge d’émotions exacerbées dues en partie à un déferlement
d’hormones de croissance propre à la puberté. Ces hormones disent à notre
cerveau que tout est d’une extrême importance – et surtout les
chansons qui composent la bande-son de nos rêves (et de nos hontes)
d’adolescents.
Ce feu d’artifice neuronal suffirait à lui seul à
imprimer certaines chansons dans notre cerveau. Mais d’autres éléments
interviennent pour graver pour toujours ou presque dans votre mémoire cette
chanson passée pendant la boum de 4e. Daniel Levitin, auteur
de De la note au cerveau, souligne que la musique de nos années
d’adolescence est fondamentalement liée à notre vie sociale. «C’est à cette
période de notre jeunesse que nous découvrons de la musique seuls pour la
première fois», m’a-t-il expliqué. «Souvent par le biais de nos amis.
Ecouter la musique qu’ils écoutent est une forme de revendication, une marque
d’appartenance à un certain groupe social. Musique et sentiment d’identité
fusionnent.»
Petr Janata, psychologue à l’université de
California–Davis, abonde dans le sens de cette théorie de la sociabilité et
explique que notre musique préférée «s’incruste dans les souvenirs
particulièrement émotionnels de nos années formatrices».
Il ajoute qu’un autre facteur entre peut-être en jeu: le
pic de réminiscence, phénomène selon lequel nous nous rappelons bien mieux de
nos années de jeune adulte que des autres et conservons ces souvenirs bien
avant dans notre sénescence. Selon la théorie du pic de réminiscence, nous
disposons tous d’un «scénario de vie» conditionné par notre culture, qui, dans
notre mémoire, nous sert à raconter notre histoire. Lorsque nous nous tournons
vers notre passé, nous constatons que les souvenirs qui dominent ce récit de
vie ont deux choses en commun: ils sont heureux et sont regroupés autour de
la période de notre adolescence et de notre vie de jeune adulte.
Pourquoi les souvenirs de ces années sont-ils si
vivaces et persistants? Les chercheurs de l’université de Leeds ont proposé en
2008 une explication assez séduisante: les années mises en relief par le pic de
réminiscence coïncident avec «l’émergence d’une identité stable et durable».
En d’autres termes, c’est entre 12 et 22 ans que vous devenez qui vous
êtes. Il est par conséquent logique que les souvenirs qui contribuent à ce
processus prennent une importance hors du commun pour le restant de votre vie.
Ils ne font pas que contribuer au développement de l’image que vous avez de
vous-même; ils deviennent une composante de cette image – ils font
partie intégrante de votre sentiment d’identité.
La musique joue un double rôle dans ce processus. Tout
d’abord, certaines chansons deviennent des souvenirs par et pour elles-mêmes
tant elles s’immiscent avec force dans notre mémoire. Nombre d’entre nous se
souviennent très bien de cette première chanson des Beatles (ou
des Backstreet Boys) que, des décennies plus tard, nous continuons de
chanter à chaque soirée karaoké.
Ensuite, ces chansons forment la bande-son de ce qui
semble être, sur le moment, les années les plus vitales et capitales de notre
existence. La chanson de notre premier baiser, de notre première boum, de notre
première taffe, reste attachée à ce souvenir et s’approprie une parcelle de sa
profondeur. Certes, avec le recul, on peut admettre que cette boum n’était pas
si profonde que ça. Mais si le souvenir en lui-même finit par perdre de son
importance, l’écho émotionnel qui colle à la musique persiste.
(...) Quel que soit le niveau de maturité que nous
pouvons atteindre, la musique reste pour nos cerveaux d’adultes une issue de
secours qui nous permet de replonger dans la passion brute et sans mélange de
notre jeunesse.
La nostalgie qui accompagne nos chansons préférées ne
se réduit pas au souvenir fugace d’une époque révolue; c’est un tunnel
spatio-temporel neurologique qui nous offre un aperçu de l’époque où notre
cerveau bondissait de joie en entendant la musique qui en est venue à définir
qui nous sommes. Ces années sont derrière nous, c’est vrai. Mais à chaque fois
que nous entendons les chansons que nous aimions, la joie qu’elles nous
procuraient autrefois nous inonde à nouveau.
Document 2 :
[En entendant la sonate du musicien
Vinteuil, Le héros de ce roman, Swann, se souvient de la naissance et du
développement de son amour pour Odette.]
Mais tout à coup ce fut comme si elle était entrée1,
et cette apparition lui fut une si déchirante souffrance qu’il dut porter la
main à son cœur. C’est que le violon était monté à des notes hautes où il
restait comme pour une attente, une attente qui se prolongeait sans qu’il
cessât de les tenir, dans l’exaltation où il était d’apercevoir déjà l’objet de
son attente qui s’approchait, et avec un effort désespéré pour tâcher de durer
jusqu’à son arrivée, de l’accueillir avant d’expirer, de lui maintenir encore
un moment de toutes ses dernières forces le chemin ouvert pour qu’il pût
passer, comme on soutient une porte qui sans cela retomberait. Et avant que
Swann eût eu le temps de comprendre, et de se dire : ” C’est la petite phrase
de la sonate de Vinteuil, n’écoutons pas ! ” tous ses souvenirs du temps où
Odette était éprise de lui, et qu’il avait réussi jusqu’à ce jour à maintenir
invisibles dans les profondeurs de son être, trompés par ce brusque rayon du
temps d’amour qu’ils crurent revenu, s’étaient réveillés et, à tire-d’aile,
étaient remontés lui chanter éperdument, sans pitié pour son infortune
présente, les refrains oubliés du bonheur. Au lieu des expressions abstraites ”
temps où j’étais heureux “, ” temps où j’étais aimé “, qu’il avait souvent
prononcées jusque-là et sans trop souffrir, car son intelligence n’y avait
enfermé du passé que de prétendus extraits qui n’en conservaient rien, il
retrouva tout ce qui de ce bonheur perdu avait fixé à jamais la spécifique et
volatile essence; il revit tout, les pétales neigeux et frisés du chrysanthème
qu’elle lui avait jeté dans sa voiture, qu’il avait gardé contre ses lèvres -
l’adresse en relief de la “Maison Dorée ” sur la lettre où il avait lu ” Ma
main tremble si fort en vous écrivant ” - le rapprochement de ses sourcils
quand elle lui avait dit d’un air suppliant: ” Ce n’est pas dans trop longtemps
que vous me ferez signe ? “; il sentit l’odeur du fer du coiffeur par lequel il
se faisait relever sa ” brosse ” pendant que Lorédan allait chercher la petite ouvrière,
les pluies d’orage qui tombèrent si souvent ce printemps-là, le retour glacial
dans sa victoria, au clair de lune, toutes les mailles d’habitudes mentales,
d’impressions saisonnières, de réactions cutanées, qui avaient étendu sur une
suite de semaines un réseau uniforme dans lequel son corps se trouvait repris.
A ce moment-là, il satisfaisait une curiosité voluptueuse en connaissant les
plaisirs des gens qui vivent par l’amour. Il avait cru qu’il pourrait s’en
tenir là, qu’il ne serait pas obligé d’en apprendre les douleurs; comme
maintenant le charme d’Odette lui était peu de chose auprès de cette formidable
terreur qui le prolongeait comme un trouble halo, cette immense angoisse de ne
pas savoir à tous moments ce qu’elle avait fait, de ne pas la posséder partout
et toujours !
1. Comme si elle était
entrée : il s'agit d'Odette.
Marcel
Proust, Un Amour de Swann, 1913.
Document 3 :
Les mélomanes le savent: réécouter certains morceaux
de musique pour revivre intérieurement son passé ne veut pas forcément dire que
l'on est dépressif. Pourtant, à notre époque éprise du moment présent, la
nostalgie, sentiment subtil et universel, n'a pas vraiment la côte. Considérée
comme une maladie cérébrale au XVIIe siècle, puis longtemps confondue avec la
mélancolie, la nostalgie est enfin réhabilitée grâce à différents chercheurs en
psychologie qui s'attachent aujourd'hui à en montrer tous les aspects positifs.
A l'université du Nord Dakota, le Dr. Clay Routledge
et ses collègues du laboratoire de psychologie sociale ont mené différentes
études durant lesquelles ils induisaient l'état nostalgique chez certains
participants pris au hasard. Ceux-ci devaient consulter la définition de la
nostalgie dans un dictionnaire - «remémoration et regret du passé» - puis
penser durant une dizaine de minutes à un épisode de leur vie qui éveillait ce
sentiment en eux, avant d'écrire brièvement sur celui-ci. Dans d'autres
recherches, et pour atteindre les mêmes fins, le Dr Routletge et ses collègues
utilisaient la musique. Le chercheur a livré ses conclusions dans un article du
site scientifique de référence Scientific American Mind.
Bien loin d'augmenter les sentiments négatifs, la
nostalgie au contraire intensifie la bonne humeur puisqu'elle s'appuie sur des
expériences passées le plus souvent heureuses (mariages, fêtes familiales,
voyages…). Même si elle surgit souvent à un moment où l'individu ressent une
émotion négative (un sentiment d'isolement ou de vide), la nostalgie vient
booster l'estime de soi et promouvoir l'idée que la vie est pleine de sens. Le
Dr Routledge la considère donc comme «une ressource psychologique que l'on
emploie pour contrer des émotions négatives et des sentiments de vulnérabilité.
Elle permet aux gens d'utiliser les expériences passées pour les aider à affronter
les défis du présent», écrit-il.
Pascal Senk, "Les bons côtés de la
nostalgie", lefigaro.fr.
Document 4 :
Raphaël Mengs, Apollon,
Mnémosyne et les Muses, 1750-1761
Mnémosyne (ici accoudée près d'Apollon et drapée de pourpre) était pour les Grecs anciens la déesse de la
mémoire. Elle s'accoupla à Zeus et engendra les neuf Muses. La poésie et la
musique sont donc filles de mémoire comme l'histoire, la danse et l'astronomie.
2) Écriture
personnelle :
Pensez-vous que la musique soit le meilleur moyen de
donner au souvenir toute sa richesse ?
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