samedi 2 septembre 2017

Corps naturel, corps artificiel : sujet de culture générale n°1



1) Vous ferez des documents suivants une synthèse objective, concise et ordonnée :

Document 1 :

Ces capacités plus grandes que les transhumanistes appellent de leurs vœux tiennent en une formule : « Devenir plus forts, plus intelligents, plus heureux et vivre plus longtemps, voire indéfiniment ». Plus forts, par l’élaboration d’un corps plus résistant aux maladies, au stress, ou encore par l’amélioration de l’acuité de nos sens ou la création de nouveaux sens. En somme, une version 2.0 du corps humain (Kurzweil, 2003), telle que l’expérimentent aujourd’hui dans le domaine militaire les cyber-soldats appareillés d’exosquelettes. Plus intelligents, grâce au dopage cognitif que permettraient déjà certains médicaments – comme le Ritalin – ou l’implantation de puces électroniques et autres « brain boosters » (Bostrom & Sandberg, 2009 et 2006). Plus heureux, par un ensemble de procédés neuropharmacologiques par lesquels on atteindrait un état de « félicité perpétuelle », ainsi que le suggère le philosophe David Pearce dans son Manifeste Hédoniste (Pearce, 2006 ; Bostrom, 2003). Enfin, capables de vivre plus longtemps, voire indéfiniment. Par le biais de la médecine régénératrice notamment, la quête de l’immortalité constitue sans conteste la visée ultime de l’augmentation pour les transhumanistes (Kurzweil & Grossman, 2006).
Dans tous ces domaines, les transhumanistes prônent le plus grand libéralisme à l’égard de l’usage des technologies d’amélioration. Chacun devrait être selon eux parfaitement libre d’y recourir. L’augmentation technique de l’humain ne comporte en effet pour les transhumanistes aucun risque fondamental. Non seulement elle ne se démarquerait pas de pratiques déjà existantes, le simple fait de s’habiller représentant déjà selon eux une forme d’optimisation de notre état physique comme boire un café stimule nos capacités intellectuelles mais, plus radicalement encore, elle marquerait l’aboutissement naturel d’une histoire commencée à l’aube de l’humanité. Depuis toujours, l’humanité aurait cherché à améliorer ses performances : « We didn’t stay on the ground, we didn’t stay on the planet, we’re not staying within the limits of our biology », écrit en ce sens Ray Kurzweil (Kurzweil, 2003). Nous serions tous des êtres-nés-cyborgs (Clark, 2003).

Nicolas Le Dévédec and Fany Guis, "L’humain augmenté, un enjeu social", SociologieS

Document 2 :

Au cours des dernières décennies, un étrange mouvement de libération s'est développé dans le monde développé. Ses croisés visent beaucoup plus que les militants des droits civils, les féministes ou les défenseurs des droits des homosexuels. Ils ne veulent rien de moins que de libérer la race humaine de ses contraintes biologiques. Comme les «transhumanistes» le voient, les humains doivent arracher leur destinée biologique du processus aveugle évolutif de variation aléatoire et d'adaptation et passer à l'étape suivante en tant qu'espèce.
Il est tentant de rejeter les transhumanistes comme une sorte de culte étrange, rien de plus que de la science-fiction prise trop au sérieux: En témoignent leurs sites Web et les communiqués de presse récents («Les penseurs de Cyborg pour aborder l'avenir de l'humanité», proclame l'un d'eux). Les plans de certains transhumanistes de se congeler cryogéniquement dans l'espoir d'être ressuscités dans un âge futur ne semblent que confirmer la place du mouvement dans une marginalité intellectuelle.
Mais le principe fondamental du transhumanisme - que nous allons utiliser un jour la biotechnologie pour nous rendre plus forts, plus intelligents, moins enclins à la violence et capables de vivre plus longtemps - est-il vraiment tellement bizarre? Le transhumanisme est d'une certaine manière implicite dans une grande partie du programme de recherche de la biomédecine contemporaine. Les nouvelles procédures et technologies émergeant des laboratoires de recherche et des hôpitaux - qu'il s'agisse de médicaments psychotropes, de substances pour augmenter la masse musculaire ou d'effacement sélectif de la mémoire, de dépistage génétique prénatal ou de thérapie génique - peuvent aussi facilement être utilisées pour «améliorer» les espèces que pour pallier ou guérir la maladie.
Bien que les progrès rapides de la biotechnologie nous laissent souvent mal à l'aise, la menace intellectuelle ou morale qu'ils représentent n'est pas toujours facile à identifier. La race humaine, après tout, est un gâchis désolant, avec nos maladies obstinées, nos limites physiques et nos courtes vies. Ajoutez les rivalités au sein de l'humanité, la violence et les angoisses constantes, et le projet transhumaniste commence à être carrément raisonnable. Si cela était possible sur le plan technologique, pourquoi ne voudrions-nous pas transcender nos espèces actuelles? Le caractère apparemment raisonnable du projet, en particulier lorsqu'il est considéré en petites améliorations, fait partie de son danger. Il est peu probable que la société tombe soudain sous le charme de la vision du monde transhumaniste. Mais il est très possible que nous grignotions les offres tentantes de la biotechnologie sans nous rendre compte qu'elles ont un coût moral terrible.
La première victime du transhumanisme pourrait être l'égalité. La Déclaration d'indépendance des États-Unis affirme que «tous les hommes sont créés égaux», et les combats politiques les plus sérieux de l'histoire des États-Unis ont porté sur le droit à être considéré comme un être humain. Les femmes et les noirs n'ont pas été qualifiés en 1776 lorsque Thomas Jefferson a écrit la déclaration. Lentement et douloureusement, les sociétés avancées se sont rendues compte que le seul fait d'être humain donne à une personne le droit à l'égalité politique et juridique. En effet, nous avons tracé une ligne rouge autour de l'être humain et nous avons dit que c'était sacro-saint.
Sous cette idée de l'égalité des droits se trouve la conviction que nous possédons tous une essence humaine qui éclipse les différences de couleur de peau, de beauté et même d'intelligence. Cette essence, et la vision selon laquelle les individus ont une valeur inhérente, est au cœur du libéralisme politique. Mais la modification de cette essence est au cœur du projet transhumaniste. Si nous commençons à nous transformer en quelque chose de supérieur, quels droits revendiqueront ces créatures améliorées, et quels droits posséderont-elles par rapport à celles laissés en arrière? Si certains avancent, quelqu'un peut-il se permettre de ne pas suivre? Ces questions sont assez troublantes dans les sociétés riches et développées. Ajoutez les implications pour les citoyens des pays les plus pauvres du monde - pour qui les merveilles de la biotechnologie seront probablement hors de portée - et la menace contre l'idée d'égalité devient encore plus grande.
Les défenseurs du Transhumanisme pensent qu'ils savent ce qui constitue un bon être humain et ils sont heureux de laisser derrière eux les êtres limités, mortels et naturels qu'ils voient autour d'eux, en faveur de quelque chose de mieux. Mais savent-ils vraiment quelles sont les qualités humaines ultimes? (...)
Personne ne sait quelles possibilités technologiques apparaîtront pour l'auto-modification humaine. Mais nous pouvons déjà voir les mouvements des désirs prométhéens dans la façon dont nous prescrivons des drogues pour modifier le comportement et les personnalités de nos enfants. Le mouvement environnemental nous a appris l'humilité et le respect de l'intégrité de la nature non-humaine. Nous avons besoin d'une humilité semblable à propos de notre nature humaine. Si nous ne la développons pas rapidement, nous pouvons involontairement inviter les transhumanistes à défigurer l'humanité avec leurs bulldozers génétiques et leurs centres commerciaux psychotropiques.

Francis Fukuyama, "Transhumanisme", Foreignpolicy.com, 2009

Document 3 :

Le transhumanisme, qui nous vient des États-Unis, est encore mal connu en Europe. Largement financé par Google, il a pris outre-Atlantique une importance considérable, suscité des milliers de publications et de colloques, engendré des débats passionnés avec des penseurs de tout premier plan comme Francis Fukuyama, Michael Sandel ou Jürgen Habermas. Il s’agit d’abord pour les transhumanistes de passer d’une médecine thérapeutique classique – dont la finalité depuis des millénaires était de soigner, de « réparer » les corps accidentés ou malades – au modèle de « l’augmentation » du potentiel humain.
De là l’ambition de combattre le vieillissement et d’augmenter la longévité humaine, non seulement en éradiquant les morts précoces, mais en recourant à la technomédecine, à l’ingénierie génétique et à l’hybridation homme/machine, pour faire vivre les humains vraiment plus longtemps. Pour le moment, rien de réel ne prouve que c’est possible pour l’homme, mais Google a déjà investi des centaines de millions de dollars dans le projet.
Il s’agit aussi de corriger volontairement la loterie génétique qui distribue injustement les qualités naturelles et les maladies. C'est là ce que signifie le slogan transhumaniste « From chance to choice » : passer du hasard aveugle au choix éclairé afin de lutter contre les inégalités naturelles. Nous en sommes encore loin, mais qui peut dire à quoi ressembleront la technomédecine, les nanotechnologies, l’intelligence artificielle et la biochirurgie au siècle prochain ? Il faut, comme le disent Fukuyama, Sandel et Habermas, anticiper dès maintenant les problèmes éthiques que cette nouvelle approche de la médecine va poser.
(...)
Le transhumanisme s’inscrit dans le mouvement le plus profond des démocraties depuis la fin du XVIIIe siècle, une lame de fond qui consiste à passer sans cesse de ce qui nous détermine de l’extérieur de manière aveugle (hétéronomie) à ce que nous pouvons librement décider (autonomie). C’est comme ça qu’on est passé en Europe de la monarchie à la République ou encore du mariage imposé par les parents et les villages au mariage d’amour choisi librement par les individus. Le transhumanisme parie sur le fait que l’humain est perfectible, que la nature n’est pas une loi morale, qu’on peut et qu’on doit passer autant qu’il est possible du déterminisme naturel injuste et aveugle – quand la maladie génétique vous « tombe » littéralement dessus – à une lutte librement consentie contre les inégalités non seulement sociales mais aussi naturelles. A priori, il n’y a rien là de choquant pour un démocrate...

Luc Ferry, "Le transhumanisme parie sur le fait que l'homme est perfectible", propos recueillis par Camille Tassel, Le Monde des religions.fr

Document 4 :

Aujourd’hui, près de cinquante ans plus tard, la réalité a largement confirmé la teneur prophétique des propos d’Hubczejak1 – à un point, même, que celui-ci n’aurait probablement pas soupçonné. Il subsiste quelques humains de l’ancienne race, en particulier dans les régions restées longtemps soumises à l’influence des doctrines religieuses traditionnelles. Leur taux de reproduction, cependant, diminue d’année en année, et leur extinction semble à présent inéluctable. Contrairement à toutes les prévisions pessimistes, cette extinction se fait dans le calme, malgré quelques actes de violence isolés, dont le nombre va constamment décroissant. On est même surpris de voir avec quelle douceur, quelle résignation, et peut-être quel secret soulagement les humains ont consenti à leur propre disparition.
Ayant rompu le lien filial qui nous rattachait à l’humanité, nous vivons. À l’estimation des hommes, nous vivons heureux ; il est vrai que nous avons su dépasser les puissances, insurmontables pour eux, de l’égoïsme, de la cruauté et de la colère ; nous vivons de toute façon une vie différente. La science et l’art existent toujours dans notre société, mais la poursuite du Vrai et du Beau, moins stimulée par l’aiguillon de la vanité individuelle, a de fait acquis un caractère moins urgent. Aux humains de l’ancienne race, notre monde fait l’effet d’un paradis. Il nous arrive d’ailleurs parfois de nous qualifier nous-mêmes – sur un mode, il est vrai, légèrement humoristique – de ce nom de « dieux » qui les avait tant fait rêver.
L’histoire existe, elle s’impose, elle domine, son empire est inéluctable. Mais au-delà du strict plan historique, l’ambition ultime de cet ouvrage est de saluer cette espèce infortunée et courageuse qui nous a créés. Cette espèce douloureuse et vile, à peine différente du singe, qui portait cependant en elle tant d’aspirations nobles. Cette espèce torturée, contradictoire, individualiste et querelleuse, d’un égoïsme illimité, parfois capable d’explosions de violence inouïes, mais qui ne cessa jamais pourtant de croire à la bonté et à l’amour. Cette espèce aussi qui, pour la première fois de l’histoire du monde, sut envisager la possibilité de son propre dépassement ; et qui, quelques années plus tard, sut mettre ce dépassement en pratique. Au moment où ses derniers représentants vont s’éteindre, nous estimons légitime de rendre à l’humanité ce dernier hommage, hommage qui, lui aussi, finira par s’effacer et se perdre dans les sables du temps ; il est cependant nécessaire que cet hommage, au moins une fois, ait été accompli. Ce livre est dédié à l’homme.

1. Frédéric Hubczejak, biochimiste dont les travaux conduisent à la création en 2029 d'une espèce humaine génétiquement modifiée, "asexuée et immortelle", qui se reproduit par clonage.

Michel Houellebecq, Les Particules élémentaires, 1998


2) Ecriture personnelle :

Pensez-vous que la possibilité de créer un être humain au corps amélioré doit susciter de la crainte ou de l'espoir ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire