1) Vous
ferez une synthèse objective, concise et ordonnée des documents suivants :
Document
1 :
Le XIXe siècle,
maladivement pudibond (la tenue féminine – corset + jupon + jupe
longue – doit tout cacher, la masturbation est accusée des pires maux…), n’en
voit pas moins le nombre de baignoires publiques passer de 500 à 5 000 à
Paris entre 1800 à 1850, même si le bain est jugé immoral. Bref, le souci de
soi n’est pas né avec la seconde moitié du XXe siècle et la
révolution sexuelle des années 1960. Et « l’histoire de l’Occident
est ponctuée de découvertes successives du corps, de ses sensations et de ses
apparences », dit Georges Vigarello.
Pour autant, comment expliquer que le corps, subi,
redouté et refoulé par puritanisme il n’y a pas si longtemps, ait changé de
fond en comble de statut en quelques décennies au point de devenir un objet de
culte, un capital à préserver coûte que coûte, un repère identitaire
central ? Semblable (r)évolution ne s’est pas faite en un instant.
D’abord, depuis le milieu du XIXe s, grâce aux progrès de la
médecine et de la technique, le corps n’a cessé de livrer ses secrets. « Il
est de mieux en mieux connu, entretenu, soigné, réparé et appareillé,
analyse Isabelle Queval, du Centre Edgar Morin. Le recul de la maladie et
l’allongement continu de l’espérance de vie dans les pays riches font que l’on
vit mieux avec son corps. “Mieux vivre son corps” devient “être son corps”.
Autrement dit, on peut agir sur lui, le contrôler, le planifier, le
perfectionner, le renouveler… »
Si le corps se taille de nos jours la part du lion
dans la culture occidentale, c’est aussi parce que la démocratie, en
s’enracinant dans nos sociétés, « a amené les sujets à exister de plus
en plus sur le mode de la décision individuelle, insiste Georges Vigarello.
En disposant d’une part croissante d’autonomie, chacun peut s’interroger
plus finement sur ce qu’il est et ce qu’il a envie de faire. De façon générale,
plus une société va dans le sens d’une conquête individuelle, plus elle donne
de place au plaisir, au désir et donc à tout ce qui touche à la sphère
corporelle ». De la disparition du corset à l’essor des salles de
remise en forme et de la chirurgie esthétique, de la découverte du
« soleil plaisir » dans les années 1920 à la mise en culture du
corps via la fécondation in vitro, de la banalisation des moyens
contraceptifs grâce auxquels la féminité n’est plus systématiquement liée à la
maternité au succès des produits cosmétiques pour les deux sexes, en passant
par les nouveaux rituels hédonistes (massages, spas, thalassothérapies…), le
boom de l’alimentation « bio » et celui de la DHEA promesse de
jouvence éternelle…, tout concourt, depuis plus d’un siècle, à faire de
l’apparence corporelle « le vaisseau amiral de l’identité »,
assure Isabelle Queval.
Philippe
Testard-Vaillant, « Le diktat des apparences », lejournal.cnrs.fr
Document
2 :
Il s'est passé quelque chose avec notre corps dont
nous n'avons pas encore pris toute la mesure. Il était le « tombeau de
l'âme » pour Socrate, la source du péché pour les chrétiens, ce dont il
fallait apprendre à se détacher parce qu'il nous voue à la souffrance, à la
maladie et à la mort. Il est aujourd’hui le siège de toutes les attentions et
de tous les plaisirs. Les progrès scientifiques et techniques de ces cent
dernières années permettent de resituer ce changement profond dans la longue
durée. Marcel Gauchet le décrit remarquablement dans Conditions de l’Education
(p 89). Pour lui, la dévalorisation de
la connaissance dans notre monde contemporain ne peut être comprise sans la
mettre en parallèle avec ce changement de statut du corps : « Plus
profondément encore, c’est le socle anthropologique sur lequel reposait la
valorisation de la connaissance qui paraît s’être dérobé. Il s’est produit, à
cet égard, une inversion capitale, qui pourrait être l’un des évènements
fondamentaux de notre vie culturelle récente. D’une expérience millénaire, le
corps était tenu pour le lieu de la souffrance et du malheur intimes. En
regard, l’esprit faisait figure de moyen de s’élever au-dessus de notre propre
misère ; il proposait notre seule voie d’accès aux vrais plaisirs, ceux qui
durent et dont on est maître ; il s’offrait comme l’instrument de notre bonheur
en ce monde et de notre éventuelle félicité dans l’autre. Or nous voici
devenus, par la grâce de la médecine, de l’hygiène et de l’abondance, les
premiers dans l’histoire pour lesquels le corps est le siège d’un bien-être
habituel, sans parler des jouissances promises par une culture hédoniste et
permissive (…) [Ainsi] Que faire de savoirs qui « prennent la tête »,
dans un monde où l’aspiration primordiale est à être « bien dans sa
peau » ? Marcel Gauchet se réfère au livre de Hervé Juvin
(« l’Avènement du corps ») qui traite spécifiquement de cette
transformation. Ce dernier dit notamment dans sa présentation : « Ce
corps inventé est le cadeau que nous laisse un siècle de fer et de sang – le
cadeau d’une vie qui a doublé. Et ce corps s’est installé en surplomb de nos
choix individuels et collectifs. Il a pris le pouvoir ». Faisant un
parallèle avec le corps de nos ancêtres (le début du XXème siècle), il
dit : « Leur corps de misère et de souffrance est devenu notre
corps de performance, de plaisir et d’une initiation qui n’en finit pas à
toutes les joies de vivre ». Jugeant que ce nouveau corps a bouleversé
notre condition humaine, il annonce en quelque sorte un salut par ce nouveau
dieu : « Après les dieux, après les révolutions, après les marchés
financiers, le corps devient notre système de vérité. Lui seul dure, lui seul
demeure. En lui nous plaçons tous nos espoirs, de lui nous attendons une
réalité qui ailleurs échappe. Il est devenu le centre de tous les pouvoirs,
l’objet de toutes les attentes, et même celles du salut. Nous sommes ces
étranges, ces inconnus, les hommes du corps. ».
Selon Georges Vigarello, la vieille expérience de la
transcendance semble s'être rabattue sur l'expérience du corps, cet espace
intime totalement retravaillé, indéfiniment réinterrogé dont la présence a
grandi avec l'affaissement des " au-delà " et des futurs idéalisés.
De ce point de vue l’idéal de perfection dévolu au corps pourrait signifier cet
effacement des anciens repères venus du ciel au profit de la performance et/ou
de l’esthétisme corporels. Le corps, ou du moins son image, est effectivement
magnifié, mais au prix d’une instrumentalisation contraignante : le corps
doit se travailler, se modeler à notre guise. Il peut être entièrement voué à
la performance (sports de haut niveau, goût pour l’aventure de l’extrême, les
raids …etc.). Chacun veut se dépasser pour être mieux et plus. On est de plus
en plus dans son apparaître, le langage du corps étant au service d’une
incarnation de ce que je suis. Le langage corporel définit une incarnation
signifiante. « Le corps décoré, estampé, orné, rehaussé est vécu comme
une chair signifiante ». N’y a-t-il pas une certaine contradiction
entre l’hédonisme parfois revendiqué, et ce qu’il faut bien appeler une forme
d’ascétisme ? L’utopie du corps parfait fait appel à beaucoup de
contraintes, d’effort, de renoncement. Le corps devient le lieu de
« l’illimité du travail possible » (il n’y a pas vraiment de terme
aux efforts permanents que nous pouvons déployer pour notre corps), sans doute
à la place de l’illimité traditionnel assuré par les anciennes transcendances.
L’illimité de la quête spirituelle, s’est rabattu désormais sur l’illimité de
la perfection corporelle.
Document
3 :
« Sous les pavés la plage », « faites
l’amour, pas la guerre », « interdit d’interdire », « vivre sans
temps morts, jouir sans entraves » …, dans le mouvement de prise de parole
qui se fait jour en 68, les slogans sont plus souvent poétiques que politiques
et non dénués d’humour. La liberté, la fête, le plaisir, voilà ce que réclame
une jeunesse impertinente, lassée de la « chape moraliste » qui pèse sur les
rapports sociaux et sur la sexualité… Si la révolte a, jusqu’en 1973, des
visées politiques portées par des groupuscules d’étudiants trotskistes,
maoïstes, communistes, toutes les analyses s’accordent à mentionner la
dimension festive, ludique et hédoniste de Mai 68. Tout un courant disparate à
tendance libertaire, proche de la mouvance situationniste, s’attaque à la morale et aux institutions au nom de la
libération du désir et de l’épanouissement des individus, explique le
sociologue Jean-Pierre Le Goff.
Minijupes, seins nus et monokinis pour les filles, cheveux longs et
chemises à fleurs pour les garçons, relations sexuelles hors mariage et amour
libre revendiqué, rock’n’roll et pop music…, de nouvelles pratiques sont en
germe depuis les années 1960. Durant le printemps chaud de 1968, les « pelouses
interdites » des parcs parisiens se couvrent subitement de corps plus ou moins
dénudés, enlacés ou simplement relaxés…
Car c’est aussi à travers les corps que se manifeste la contre-culture qui
signale, selon l’historienne Florence Rochefort, « l’imbrication du culturel
et du politique ». La transgression est le mot d’ordre de cette
« culture jeune » qui apparaît, identifiée par le sociologue Edgar Morin.
Si la société de consommation récupère cette inventivité et cette
marginalité dont la presse, le cinéma, la mode se font l’écho, c’est en fait
toute une discipline des corps qui est alors contestée. Michel Foucault en
montrera, dans Surveiller et punir (1975), la présence centrale dans le
fonctionnement des sociétés bourgeoises de l’école, de la famille, de l’usine,
des prisons. En 1975 également, la revue Quel corps ? lancée par
Jean-Marie Brohm, développe un positionnement radical qui fait « du corps un
point central de la critique du capitalisme » …
Un ensemble de mutations d’ordre socioculturel est en marche et tous les domaines de la société sont touchés. Le pouvoir médical et son mandarinat est contesté mais aussi les pratiques. La vogue des médecines douces, venues d’un Orient que certains prônent comme exemple de la sagesse et de la connaissance, grandit. De leur côté, des médecins militants prennent l’initiative d’avorter les femmes, au risque d’une répression pour pratique illégale…
Un ensemble de mutations d’ordre socioculturel est en marche et tous les domaines de la société sont touchés. Le pouvoir médical et son mandarinat est contesté mais aussi les pratiques. La vogue des médecines douces, venues d’un Orient que certains prônent comme exemple de la sagesse et de la connaissance, grandit. De leur côté, des médecins militants prennent l’initiative d’avorter les femmes, au risque d’une répression pour pratique illégale…
Plus radicalement, l’apparition du mouvement féministe va engendrer une
profonde remise en question des normes sexuelles.
Document 4 :
Manifestation féministe des années 1970
Abrogeant la loi en vigueur depuis 1920 qui interdisait « la
propagande et l’utilisation des moyens de contraception », la loi
Neuwirth du 28 décembre 1967 a autorisé la pilule et légalisé ainsi la
contraception.
2) Ecriture personnelle :
Le culte du corps
dans notre société est-il une libération ou un diktat de l’apparence ?
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