Document 1 :
Remettre les plus démunis dans le jeu de la vie par une compétition sportive internationale, c'est l'objectif de la Coupe du monde de football des sans-abri qui commence ce week-end à Paris. Après Rio de Janeiro l'an dernier, qui a vu la victoire finale du Brésil, la compétition née il y a cinq ans fait étape au Champ-de-Mars du 21 au 28 août, au pied de la tour Eiffel. Avec, pour la première fois, une compétition féminine. Parrainée par les footballeurs champions du monde Emmanuel Petit et Lilian Thuram, la Homeless World Cup Paris 2011, son appellation internationale (www.homelessworldcup.org), sera lancée samedi par une cérémonie au Stade de France, à Saint-Denis. On y attend soixante-quatre délégations venues de cinquante-trois pays, quarante-huit équipes masculines ou mixtes et seize équipes féminines. "Les sans-abri, on les croise tous les jours sans savoir forcément qui ils sont", dit Benoît Danneau, directeur du comité d'organisation. "L'idée est de s'adresser au grand public pour donner une image différente des personnes en grande difficulté, une image positive, collective, entreprenante via une démarche de valorisation de la pratique sportive", ajoute-t-il.
Les six cent quarante joueurs et accompagnateurs attendus seront encadrés par quatre cents bénévoles pour un événement dont le budget, bouclé grâce à l'Etat, les collectivités locales et les instances du football, est évalué à moins de un million d'euros. Outre des stars du football, les secrétaires d'Etat au sport et au logement, Chantal Jouanno et Benoist Apparu, devraient apporter leur soutien à la manifestation. Les équipes sont composées de huit joueurs ou joueuses choisis selon des critères propres à chaque pays. Le profil des participants, recrutés à partir de 16 ans et âgés pour la plupart entre 18 et 35 ans, est large.
Seule condition : être ou avoir été sans abri dans les douze derniers mois. Il peut s'agir de personnes vivant dans la rue mais aussi dans une voiture, un hôtel au mois ou un centre d'hébergement. "On cherche des gens de bon niveau qui soient dans une phase ascendante de leur insertion, des personnes qui ont déjà enclenché une vitesse. Le sport ajoute une dimension complémentaire à leur réinsertion", dit Benoît Danneau. L'entrée est gratuite et les organisateurs attendent environ quarante mille spectateurs au total, soit cinq mille par jour, pour assister aux matches et visiter le village d'associations installé sur le site et où seront organisés des débats. Les personnes à la rue viendront y peindre, y chanter, présenter leurs œuvres et s'exprimer sous différentes formes.
« Paris accueille le Mondial de football des sans-abris », Le Monde, 20.08.2011.
Document 2 :
Le sport est-il un vecteur d’intégration ?
Les exemples de Michel Platini, Luis Fernandez ou Zinedine Zidane, puisque l’actualité est dominée par le football, nous suggèrent que le sport, mieux que l’économie ou la politique, peut fonctionner comme un ascenseur social pour des jeunes adultes issus de l’immigration. Que le sport permette à des jeunes défavorisés socialement de trouver une reconnaissance est une réalité. Pour certains jeunes dotés d’aptitudes physiques, c’est dans le sport qu’ils trouvent une promotion sociale de substitution. Moins riches en ressources économiques et culturelles, possédant de surcroît un capital symbolique « négatif » lié à la stigmatisation, ils trouvent dans le sport de haut niveau un espace qui reconnaît leur compétence et qui tire profit de dispositions, qualités et savoirs pratiques valorisés dans les milieux populaires. Un moment clé de leur itinéraire est alors l’entrée en formation, qui constitue à la fois constitue à la fois une promotion sportive élective, marquée par un rapprochement avec l’espace strictement professionnel, et une rupture, plus ou moins nette, avec le cadre de la pratique et la façon de jouer antérieurs. En tant que « rite d’institution », pour reprendre une formule de Bourdieu, le recrutement au centre de formation des apprentis footballeurs participe à la construction de la vocation, c’est-à-dire la croyance dans le fait « d’être fait pour ça ».
Il existe donc des parcours, une reconnaissance, de la réussite. Mais il ne faut pas oublier que le racisme reste présent dans les stades et sur les terrains, et que des joueurs d’origine étrangère peuvent très fréquemment être renvoyés à leur différence. Par ailleurs, la réussite des quelques footballeurs sélectionnés dans l’équipe de France de football, si elle contribue au mythe du « salut social » par le sport, fait aussi écran à la réalité de l’impasse dans laquelle se trouvent nombre de jeunes issus de l’immigration en difficulté d’insertion socioprofessionnelle. Il faut donc prendre garde à la dimension mythique de la représentation du sport intégrateur : elle amène par ailleurs à sous-estimer les logiques de ségrégation, d’entre-soi, de ghettoïsation qui sont aussi présents dans le monde du sport.
Comment s’est construit ce mythe ?
Il vient en droite ligne de ce que l’on pourrait nommer l’« idéologie sportive », promue par les pères fondateurs du sport moderne. Très tôt, dans l’Angleterre des années 1830, on a reconnu et valorisé ses vertus morales et éducatives. Norbert Elias y voit un élément du processus de la « civilisation des mœurs », contribuant à maîtriser la violence en lui substituant des affrontements symboliques et pacifiques. Dans un registre plus critique, Pierre Bourdieu note que l’affrontement réglé des sports modernes permet l’expression de valeurs bourgeoises comme le fair-play et le self government.
Mais on interroge peu, en définitive, le consensus autour des fonctions sociales d’un sport « naturellement » intégrateur. Cela peut s’expliquer. On notera ainsi que le schème des vertus sociales et éducatives du sport est suffisamment vague pour emporter une adhésion peu critique : de la pacification des banlieues à la sociabilité et la réalisation de soi, chacun peut s’y retrouver, en quelque sorte. Et cette doxa est relayée par un « cercle de croyants » bien plus large que les seuls représentants du mouvement sportif. Parmi ceux-ci, on peut repérer les industriels paternalistes de la première moitié du XXe siècle, attentifs à prévenir les tensions sociales, mais aussi les acteurs de l’éducation. Je pense par exemple aux enseignants-promoteurs de la « République des Sports » des années 1960, et à l’alliance formée entre les ministres gaullistes de la Jeunesse et des Sports et les militants communistes de la Fédération sportive et gymnique du travail dans les années 60. Tous ont contribué à promouvoir et consolider la vision du sport (de compétition) intrinsèquement vertueux et éducatif. La droite républicaine et les communistes se retrouvent pour reconnaître et promouvoir l’aspect socialisant du sport.
À partir des années 1980, dans un contexte marqué par des tensions politiques et sociales sur le modèle de l’intégration, cette vision est réactivée et trouve une nouvelle formulation. On voit émerger des discours sur la participation du sport à la lutte contre la « crise du lien social » (notamment dans les quartiers populaires). Le sport est convoqué, plus souvent qu’à son tour, pour lutter contre les nouvelles exclusions sociales. Il devient « social » et les dispositifs sont désormais « socio-sportifs », alors que la jeunesse des quartiers populaires devient progressivement le groupe cible de l’action publique. Cela fait apparaître de nouveaux acteurs. En effet, dès la fin des années quatre-vingts, un nouvel espace politico-professionnel se structure autour de la question de l’intégration sociale par le sport sous le double effet des politiques publiques et des stratégies d’institutions et d’agents dont les carrières sont en partie liées à la transformation de cet espace. Face à la concurrence des politiques de la ville et des nouvelles politiques sportives des collectivités territoriales (depuis la décentralisation), le ministère de la Jeunesse et des Sport trouve ainsi dans « l’insertion » puis « l’intégration par le sport » une nouvelle compétence susceptible de perpétuer son existence. Des équipements sportifs de proximité et des animations sportives de quartiers voient progressivement le jour. Des éducateurs, des animateurs « socio-sportifs » mais aussi des policiers font vivre cette logique. Sur un mode social, c’est bien l’idée d’une pacification déjà avancée par Norbert Elias que l’on retrouve ici.
La victoire de l’équipe de France de football lors de la coupe du monde 1998 vient donner corps à une représentation qui illustre et justifie ces politiques, avec l’idée que la France aurait, tout au long du XXe siècle et notamment grâce au sport, naturellement intégré des hommes issus des différentes vagues d’immigration. Or, des événements comme l’interruption du match France-Algérie en 2001 viennent rappeler que tout n’est pas si simple, et qu’il n’y a au fond guère de raison pour que le sport passe à travers les tensions qui traversent la société française. On a eu tendance, historiquement, à voir dans le sport une réponse aux tensions sociales, ou du moins un espace qui y échappait : nous apprenons aujourd’hui à repérer en quoi il est lui aussi touché par ces questions et tensions.
Richard Robert, « Mythes et réalités de l’intégration par le sport », entretien avec William Gasparini.
Document 3 :
Dessin publié par Lepost.fr
Document 4 :
Une défaite au premier tour du tournoi de la ville lui assurant malgré lui du temps libre, Kylh marche dans une rue de Stockholm quand un enfant, un adolescent, lui roule dans les jambes, projeté là comme un paquet par un employé de McDonald's fou de rage. Kylh commence à s'indigner mais le jeune garçon se relève souriant, sans un cri contre son expéditeur, disant au promeneur mêlé par hasard à cette histoire « Laissez, ce con est dans son droit ». Déconcerté, Kylh interrompt sa dispute naissante avec l'employé qui, l'expulsion accomplie, rentre dans le fast-food. « Pardon », lui dit l'enfant quand Kylh, par réflexe, examine son pantalon au cas où le choc en aurait dérangé le pli. « Pourquoi as-tu volé ? », dit l'adulte, gêné que la conversation se close sur cette excuse imméritée. « C'est très facile. Il suffit de commander quelque chose qui est prêt et autre chose qui ne l'est pas encore. Le temps qu'on vous prépare les frites ou le milk-shake qu'ils n'avaient pas d'avance, vous avez déjà mangé votre big mac. Après, tant pis qu'ils vous flanquent dehors, vous n'avez plus faim. - Tes parents ne te nourrissent pas ? Non », dit le gamin, laissant Kylh de plus en plus mal à l'aise. L'enfant est proprement vêtu, trop légèrement, toutefois. « Tu n'as pas froid ? - Votre attention me réchauffe. » Kylh comprend qu'il n'en tirera aucune plainte. Le garçon est joyeux, séduisant, il ressemble à un voyou poli. Kylh souhaite l'aider, lui-même quitte Stockholm le lendemain, ça ne l'engage pas à grand-chose. « Tu m'accompagnes ? » L'adolescent accepte d'un battement de paupières. « Comment t'appelles-tu ?, dit Kylh. - Ximon, dit Ximon. - Je peux faire quelque chose pour toi ? », demande Kylh après lui avoir offert un déjeuner plus conséquent et un pull mais sans avoir percé la discrétion de son compagnon, toujours sans comprendre sa situation exacte, estimant en réalité en avoir terminé avec lui, faisant ainsi ses adieux. « Entraînez-moi, dit Ximon. - Pardon ? » Kylh croit que sa propre passion pour le tennis lui provoque une hallucination auditive. « S'il vous plaît, entraînez-moi. Ça, dit Ximon, je ne peux pas le faire tout seul. » Kylh est estomaqué d'avoir été reconnu, il est alors cent douzième joueur mondial, classement qui ne provoque généralement pas l'enthousiasme des adolescents. Il ne trouve à répondre que « Je suis joueur, pas entraîneur. - Arrêtez de jouer, dit le gamin, votre carrière est derrière vous. Aujourd'hui cent douzième, vous ne remonterez plus notablement. Entraîneur, vous restez dans cet univers, et ensemble on gagnera tout, on sera champion du monde. - Champion du monde, ça n'existe pas au tennis », dit Kylh à côté de la plaque, comme si l'absence de championnats du monde officiels était le premier argument à opposer à Ximon. « Vous verrez », dit celui-ci avec la même indifférence qu'il a manifestée jusqu'à présent à l'égard de tout et que Kylh interprète comme une confiance exagérée. « Tu sais déjà jouer au tennis ? - Bien sûr », répond Ximon, comme si Kylh était un imbécile pour poser une telle question. « Je pense que j'y arriverai, ajoute-t-il contradictoirement. Je sais perdre et je sais gagner », conclut-il, convainquant Kylh sur ces deux points. Alors Kylh, estimant avoir trouvé le moyen de mettre fin à l'histoire où il commence à perdre pied « Quel âge as-tu ? - Bientôt majeur, dit Ximon qui n'a de toute évidence pas seize ans. Ne vous inquiétez de rien, je m'occupe de l'administratif. »
Mathieu Lindon, Champion du monde, 1994.
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