Serait-il souhaitable de vivre sans rêves ?
Il y a
quelques années, mon grand-père m'a raconté une histoire. Son
oncle avait un rêve : celui de la richesse. Tous les jours il allait
à l'hippodrome dans l'espoir de revenir le soir riche et d'avoir la
vie qu'il a tant désirée. Ce rêve n'a jamais pu se réaliser et, à
la fin de sa vie, en tirant le bilan de ses paris, il dit : " En
économisant tout l'argent que j'ai depensé sur les champs de
courses, j'aurais pu m'acheter une belle maison dans le sud et en
faire profiter ma famille. " Nous pouvons donc nous demander
s'il serait souhaitable de vivre sans rêves. Pour répondre à cette
problématique, nous définirons dans un premier temps les notions
clefs du sujet, nous travaillerons ensuite sur le lien rêve/réalité
à travers la notion de plaisir, nous observerons par la suite les
valeurs sociale et morale que le rêve peut avoir, avant d'exposer
les conséquences d'une vie sans rêves.
Le mot
"rêve" a deux sens principaux. D'une part il désigne les
images et les pensées du sommeil, d'autre part il signifie rêverie
ou aspiration. Il nous semble que nous devons nous concentrer sur le
deuxième sens pour répondre à la question. En effet, le rêve du
sommeil est en général aussitôt oublié et il n'a guère d'effet
connu sur notre vie. Nous nous intéresserons donc au rêve éveillé.
Il nous faut ensuite nous demander ce qui est souhaitable. En
général, est souhaitable ce qui est bon. Une chose bonne peut
l'être soit pour le plaisir qu'on en tire, soit pour sa valeur
morale, soit pour son intérêt social. Nous nous demanderons donc si
le rêve éveillé procure du plaisir, puis s'il s'accorde avec la
morale, et enfin s'il est utile à la société. En effet, si le rêve
est déplaisant, immoral et nuisible à la collectivité, alors il va
de soi qu'on préférerait s'en passer. Au contraire, s'il n'est ni
désagréable ni nuisible, on ne doit pas souhaiter s'en priver.
A première
vue, il semble que le rêve éveillé donne du plaisir. Si je rêve
d'être riche, par exemple, ou de vivre un grand amour, je me
représente une possibilité agréable, je me figure quelque chose
qui me paraît merveilleux. Je me complais à m'imaginer riche ou
aimé. Cependant, si mon rêve ne correspond pas à mes possibilités,
je serai amené à déplorer mon état réel et à éprouver une
frustration plus ou moins douloureuse. On le voit dans Mme Bovary
ainsi que dans Les
Choses. Emma nourrit un rêve d'amour qui est une image
stéréotypée, elle aspire à ressembler aux héroïnes de romans,
au lieu de rêver l'accomplissement d'une disposition réelle. Si
j'ai ce qu'il faut pour aimer, pour créer de la richesse, il est bon
que j'en rêve. Mais si, comme les héros des Choses, je me
figure ce que je désire posséder, sans me donner les moyens de me
le procurer, alors je connaîtrai l'insatisfaction. Le problème
d'Emma est que son rêve est l'imitation de ses lectures. De même,
Sylvie et Jérôme ont des rêves qui ne sont que le reflet des
magazines. Ces personnages ne rêvent pas de mener à son apogée une
disposition personnelle, que ce soit celle de gagner de l'argent ou
celle d'aimer. Sylvie et Jérôme finissent par se résoudre à
travailler pour s'enrichir mais, c'est trop tard, ils ont perdu leurs
rêves. Emma, elle, manque de chance et de patience dans ses
expériences amoureuses. La réalité semble un moment ressembler à
son rêve puis elle n'y correspond plus. Peut-être faut-il pour que
le rêve aspiration donne de la satisfaction accepter de l'adapter un
peu à la réalité quand on ne parvient pas à faire l'inverse. Au
fond, c'est l'incompatibilité rêve réalité qui fait du tort. Don
Quichotte, lui, par exemple, n'est pas insatisfait, car il adapte
complètement la réalité à son rêve par le délire. Donc il est
satisfaisant de rêver, à la condition que rêve et réalité
s'ajustent l'un à l'autre.
Mais est-il
bon de le faire, d'un point de vue moral ? Rêver en soi n'est qu'une
pensée, une imagination, et ne peut donc être immoral si l'on borne
la moralité aux actes. Mais si le rêve engendre l'action alors il
faut qu'il se tienne dans les limites d'une morale pour être bon. Le
rêve de Hitler, par exemple, d'une Allemagne supérieure aux autres
nations et débarrassée des Juifs, est une aspiration que l'on
souhaiterait supprimer. Cet exemple peut servir aussi à illustrer le
caractère nuisible de certains rêves sur le plan social. Pour ce
qui est de la moralité et de la valeur politique du rêve, on peut
penser que ce n'est pas le fait de rêver en soi qui pose problème,
c'est la teneur de l'aspiration qui détermine le caractère
souhaitable ou non du rêve. Si le rêve criminel est à proscrire,
c'est parce qu'il est un crime au moins en intention, et non parce
qu'il est un rêve. Ainsi, il serait absurde de supprimer le rêve
puisque ce n'est pas lui, c'est la méchanceté qui est en cause.
Pour finir,
il serait intéressant d'examiner ce que pourrait être une vie sans
rêves. Apporterait-elle à l'homme plus d'avantages qu'une existence
peuplée de rêves ? Dans la littérature, un homme, Meursault,
semble témoigner de ce genre de vie. Il n'imagine pas de vie idéale,
il ne se promet aucune satisfaction à venir, il ne se figure pas
ailleurs, plus fortuné, amoureux et aimé. Sa vie en est-elle plus
enviable ? Apparemment, non, c'est une routine, le travail, le
déjeuner chez Céleste, à peu près toujours les mêmes visages,
les mêmes lieux, le dimanche chez soi, où l'on regarde par la
fenêtre passer les gens. Qui échangerait son existence contre la
sienne ? C'est la vie a minima, la plus limitée qui soit. Si l'on
considère maintenant ce que serait l'absence de rêve pour
l'humanité, et non plus seulement pour l'individu, on voit tout de
suite que les Gandhi, les Martin Luther King, les Christophe Colomb,
les apôtres et combattants d'un monde meilleur, tous
disparaîtraient. Ce serait sans doute une perte regrettable.
Si le rêve
éveillé était plus nuisible que bénéfique, alors il serait
souhaitable de ne pas rêver. Mais nous avons vu qu'il apporte du
plaisir. Il est toujours agréable d'imaginer ce à quoi on aspire.
Pour que le plaisir ne soit pas suivi de déception, il faut avoir un
rêve dont la réalisation, au moins partielle, est à notre portée.
Nous avons vu également que rêver ne peut causer de tort aux
autres. Ce sont les actes qui découlent de notre aspiration qui
peuvent être mauvais. Il faut donc y veiller. Mais ce n'est pas
l'aspiration elle-même qui peut nuire à autrui. Enfin, il nous a semblé
que la vie d'un individu, comme l'histoire des hommes, serait
appauvrie sans le rêve éveillé. Puisque les bénéfices du rêve
paraissent plus répandus que ses dérives, nous pensons qu'il n'est
pas souhaitable de le rejeter.
(L'introduction est de Clément Bonato BAT1)
Vraiment très intéressant ! Je passe mon BTS de français demain je peut tomber soit sur le rêve ou la révolution numérique. Cette note sur le rêve me sera très profitable ! Merci !
RépondreSupprimermerci très bonne réflexion!!! ca m'aide aussi pour mon futur exam
RépondreSupprimerMoi aussi.
RépondreSupprimerAK
TOPPPP
RépondreSupprimerTrès intéressant !
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