1) Vous ferez des documents suivants une synthèse
objective, concise et ordonnée :
Document 1 :
Ces capacités plus grandes
que les transhumanistes appellent de leurs vœux tiennent en une formule :
« Devenir plus forts, plus intelligents, plus heureux et vivre plus
longtemps, voire indéfiniment ». Plus forts, par l’élaboration
d’un corps plus résistant aux maladies, au stress, ou encore par l’amélioration
de l’acuité de nos sens ou la création de nouveaux sens. En somme, une version
2.0 du corps humain (Kurzweil, 2003), telle que l’expérimentent
aujourd’hui dans le domaine militaire les cyber-soldats appareillés
d’exosquelettes. Plus intelligents, grâce au dopage cognitif que
permettraient déjà certains médicaments – comme le Ritalin – ou
l’implantation de puces électroniques et autres « brain boosters »
(Bostrom & Sandberg, 2009 et 2006). Plus heureux, par un ensemble
de procédés neuropharmacologiques par lesquels on atteindrait un état de
« félicité perpétuelle », ainsi que le suggère le philosophe David
Pearce dans son Manifeste Hédoniste (Pearce, 2006 ; Bostrom,
2003). Enfin, capables de vivre plus longtemps, voire indéfiniment.
Par le biais de la médecine régénératrice notamment, la quête de l’immortalité
constitue sans conteste la visée ultime de l’augmentation pour les
transhumanistes (Kurzweil & Grossman, 2006).
Dans tous ces domaines, les
transhumanistes prônent le plus grand libéralisme à l’égard de l’usage des
technologies d’amélioration. Chacun devrait être selon eux parfaitement libre
d’y recourir. L’augmentation technique de l’humain ne comporte en effet pour
les transhumanistes aucun risque fondamental. Non seulement elle ne se
démarquerait pas de pratiques déjà existantes, le simple fait de s’habiller
représentant déjà selon eux une forme d’optimisation de notre état physique
comme boire un café stimule nos capacités intellectuelles mais, plus
radicalement encore, elle marquerait l’aboutissement naturel d’une histoire
commencée à l’aube de l’humanité. Depuis toujours, l’humanité aurait cherché à
améliorer ses performances : « We didn’t stay on the ground, we
didn’t stay on the planet, we’re not staying within the limits of our biology »,
écrit en ce sens Ray Kurzweil (Kurzweil, 2003). Nous serions tous des êtres-nés-cyborgs
(Clark, 2003).
Nicolas Le Dévédec and Fany Guis, "L’humain augmenté, un enjeu social", SociologieS
Document
2 :
Au cours des dernières décennies, un
étrange mouvement de libération s'est développé dans le monde développé. Ses
croisés visent beaucoup plus que les militants des droits civils, les
féministes ou les défenseurs des droits des homosexuels. Ils ne veulent rien de
moins que de libérer la race humaine de ses contraintes biologiques. Comme les
«transhumanistes» le voient, les humains doivent arracher leur destinée
biologique du processus aveugle évolutif de variation aléatoire et d'adaptation
et passer à l'étape suivante en tant qu'espèce.
Il est tentant de rejeter les
transhumanistes comme une sorte de culte étrange, rien de plus que de la
science-fiction prise trop au sérieux: En témoignent leurs sites Web et les
communiqués de presse récents («Les penseurs de Cyborg pour aborder l'avenir de
l'humanité», proclame l'un d'eux). Les plans de certains transhumanistes de se congeler
cryogéniquement dans l'espoir d'être ressuscités dans un âge futur ne semblent
que confirmer la place du mouvement dans une marginalité intellectuelle.
Mais le principe fondamental du
transhumanisme - que nous allons utiliser un jour la biotechnologie pour nous
rendre plus forts, plus intelligents, moins enclins à la violence et capables
de vivre plus longtemps - est-il vraiment tellement bizarre? Le transhumanisme
est d'une certaine manière implicite dans une grande partie du programme de
recherche de la biomédecine contemporaine. Les nouvelles procédures et
technologies émergeant des laboratoires de recherche et des hôpitaux - qu'il
s'agisse de médicaments psychotropes, de substances pour augmenter la masse
musculaire ou d'effacement sélectif de la mémoire, de dépistage génétique
prénatal ou de thérapie génique - peuvent aussi facilement être utilisées pour
«améliorer» les espèces que pour pallier ou guérir la maladie.
Bien que les progrès rapides de la
biotechnologie nous laissent souvent mal à l'aise, la menace intellectuelle ou
morale qu'ils représentent n'est pas toujours facile à identifier. La race
humaine, après tout, est un gâchis désolant, avec nos maladies obstinées, nos
limites physiques et nos courtes vies. Ajoutez les rivalités au sein de
l'humanité, la violence et les angoisses constantes, et le projet
transhumaniste commence à être carrément raisonnable. Si cela était possible
sur le plan technologique, pourquoi ne voudrions-nous pas transcender nos
espèces actuelles? Le caractère apparemment raisonnable du projet, en
particulier lorsqu'il est considéré en petites améliorations, fait partie de
son danger. Il est peu probable que la société tombe soudain sous le charme de
la vision du monde transhumaniste. Mais il est très possible que nous grignotions
les offres tentantes de la biotechnologie sans nous rendre compte qu'elles ont
un coût moral terrible.
La première victime du transhumanisme
pourrait être l'égalité. La Déclaration d'indépendance des États-Unis affirme
que «tous les hommes sont créés égaux», et les combats politiques les plus
sérieux de l'histoire des États-Unis ont porté sur le droit à être considéré
comme un être humain. Les femmes et les noirs n'ont pas été qualifiés en 1776
lorsque Thomas Jefferson a écrit la déclaration. Lentement et douloureusement,
les sociétés avancées se sont rendues compte que le seul fait d'être humain donne
à une personne le droit à l'égalité politique et juridique. En effet, nous
avons tracé une ligne rouge autour de l'être humain et nous avons dit que
c'était sacro-saint.
Sous cette idée de l'égalité des droits se
trouve la conviction que nous possédons tous une essence humaine qui éclipse les
différences de couleur de peau, de beauté et même d'intelligence. Cette
essence, et la vision selon laquelle les individus ont une valeur inhérente,
est au cœur du libéralisme politique. Mais la modification de cette essence est
au cœur du projet transhumaniste. Si nous commençons à nous transformer en
quelque chose de supérieur, quels droits revendiqueront ces créatures
améliorées, et quels droits posséderont-elles par rapport à celles laissés en arrière?
Si certains avancent, quelqu'un peut-il se permettre de ne pas suivre? Ces
questions sont assez troublantes dans les sociétés riches et développées.
Ajoutez les implications pour les citoyens des pays les plus pauvres du monde -
pour qui les merveilles de la biotechnologie seront probablement hors de portée
- et la menace contre l'idée d'égalité devient encore plus grande.
Les défenseurs du Transhumanisme pensent
qu'ils savent ce qui constitue un bon être humain et ils sont heureux de
laisser derrière eux les êtres limités, mortels et naturels qu'ils voient
autour d'eux, en faveur de quelque chose de mieux. Mais savent-ils vraiment quelles
sont les qualités humaines ultimes? (...)
Personne ne sait quelles possibilités
technologiques apparaîtront pour l'auto-modification humaine. Mais nous pouvons
déjà voir les mouvements des désirs prométhéens dans la façon dont nous
prescrivons des drogues pour modifier le comportement et les personnalités de
nos enfants. Le mouvement environnemental nous a appris l'humilité et le
respect de l'intégrité de la nature non-humaine. Nous avons besoin d'une
humilité semblable à propos de notre nature humaine. Si nous ne la développons
pas rapidement, nous pouvons involontairement inviter les transhumanistes à
défigurer l'humanité avec leurs bulldozers génétiques et leurs centres
commerciaux psychotropiques.
Francis Fukuyama, "Transhumanisme",
Foreignpolicy.com, 2009
Document
3 :
Le transhumanisme, qui nous vient des
États-Unis, est encore mal connu en Europe. Largement financé par Google, il a
pris outre-Atlantique une importance considérable, suscité des milliers de
publications et de colloques, engendré des débats passionnés avec des penseurs de
tout premier plan comme Francis Fukuyama, Michael Sandel ou Jürgen Habermas. Il
s’agit d’abord pour les transhumanistes de passer d’une médecine thérapeutique
classique – dont la finalité depuis des millénaires était de soigner, de
« réparer » les corps accidentés ou malades – au modèle de
« l’augmentation » du potentiel humain.
De là l’ambition de combattre le
vieillissement et d’augmenter la longévité humaine, non seulement en éradiquant
les morts précoces, mais en recourant à la technomédecine, à l’ingénierie
génétique et à l’hybridation homme/machine, pour faire vivre les humains
vraiment plus longtemps. Pour le moment, rien de réel ne prouve que c’est
possible pour l’homme, mais Google a déjà investi des centaines de millions de
dollars dans le projet.
Il s’agit aussi de corriger
volontairement la loterie génétique qui distribue injustement les qualités
naturelles et les maladies. C'est là ce que signifie le slogan transhumaniste « From
chance to choice » : passer du hasard aveugle au choix éclairé
afin de lutter contre les inégalités naturelles. Nous en sommes encore loin,
mais qui peut dire à quoi ressembleront la technomédecine, les
nanotechnologies, l’intelligence artificielle et la biochirurgie au siècle
prochain ? Il faut, comme le disent Fukuyama, Sandel et Habermas, anticiper dès
maintenant les problèmes éthiques que cette nouvelle approche de la médecine va
poser.
(...)
Le transhumanisme s’inscrit dans le
mouvement le plus profond des démocraties depuis la fin du XVIIIe siècle, une
lame de fond qui consiste à passer sans cesse de ce qui nous détermine de
l’extérieur de manière aveugle (hétéronomie) à ce que nous pouvons librement
décider (autonomie). C’est comme ça qu’on est passé en Europe de la monarchie à
la République ou encore du mariage imposé par les parents et les villages au
mariage d’amour choisi librement par les individus. Le transhumanisme parie sur
le fait que l’humain est perfectible, que la nature n’est pas une loi morale,
qu’on peut et qu’on doit passer autant qu’il est possible du déterminisme
naturel injuste et aveugle – quand la maladie génétique vous
« tombe » littéralement dessus – à une lutte librement consentie
contre les inégalités non seulement sociales mais aussi naturelles. A priori,
il n’y a rien là de choquant pour un démocrate...
Luc Ferry, "Le transhumanisme parie
sur le fait que l'homme est perfectible", propos recueillis par Camille
Tassel, Le Monde des religions.fr
Document
4 :
Aujourd’hui, près de
cinquante ans plus tard, la réalité a largement confirmé la teneur prophétique
des propos d’Hubczejak1 – à un point, même, que celui-ci n’aurait
probablement pas soupçonné. Il subsiste quelques humains de l’ancienne race, en
particulier dans les régions restées longtemps soumises à l’influence des
doctrines religieuses traditionnelles. Leur taux de reproduction, cependant,
diminue d’année en année, et leur extinction semble à présent inéluctable.
Contrairement à toutes les prévisions pessimistes, cette extinction se fait dans
le calme, malgré quelques actes de violence isolés, dont le nombre va
constamment décroissant. On est même surpris de voir avec quelle douceur,
quelle résignation, et peut-être quel secret soulagement les humains ont
consenti à leur propre disparition.
Ayant rompu le lien filial
qui nous rattachait à l’humanité, nous vivons. À l’estimation des hommes, nous
vivons heureux ; il est vrai que nous avons su dépasser les puissances,
insurmontables pour eux, de l’égoïsme, de la cruauté et de la colère ;
nous vivons de toute façon une vie différente. La science et l’art existent
toujours dans notre société, mais la poursuite du Vrai et du Beau, moins
stimulée par l’aiguillon de la vanité individuelle, a de fait acquis un
caractère moins urgent. Aux humains de l’ancienne race, notre monde fait
l’effet d’un paradis. Il nous arrive d’ailleurs parfois de nous qualifier
nous-mêmes – sur un mode, il est vrai, légèrement humoristique – de
ce nom de « dieux » qui les avait tant fait rêver.
L’histoire existe, elle
s’impose, elle domine, son empire est inéluctable. Mais au-delà du strict plan
historique, l’ambition ultime de cet ouvrage est de saluer cette espèce
infortunée et courageuse qui nous a créés. Cette espèce douloureuse et vile, à
peine différente du singe, qui portait cependant en elle tant d’aspirations
nobles. Cette espèce torturée, contradictoire, individualiste et querelleuse,
d’un égoïsme illimité, parfois capable d’explosions de violence inouïes, mais
qui ne cessa jamais pourtant de croire à la bonté et à l’amour. Cette espèce
aussi qui, pour la première fois de l’histoire du monde, sut envisager la
possibilité de son propre dépassement ; et qui, quelques années plus tard,
sut mettre ce dépassement en pratique. Au moment où ses derniers représentants
vont s’éteindre, nous estimons légitime de rendre à l’humanité ce dernier
hommage, hommage qui, lui aussi, finira par s’effacer et se perdre dans les
sables du temps ; il est cependant nécessaire que cet hommage, au moins
une fois, ait été accompli. Ce livre est dédié à l’homme.
1. Frédéric Hubczejak, biochimiste dont les travaux
conduisent à la création en 2029 d'une espèce humaine génétiquement modifiée, "asexuée
et immortelle", qui se reproduit par clonage.
Michel Houellebecq, Les Particules élémentaires, 1998
2)
Ecriture personnelle :
Pensez-vous que la possibilité de créer un
être humain au corps amélioré doit susciter de la crainte ou de l'espoir ?
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