mercredi 6 octobre 2010

Plaisanter : pour quoi faire?

Le rire, comme les larmes ou l’éternuement, est une réaction naturelle du corps à certains stimuli. En tant que tel, il n’est pas volontaire et n’est pas un moyen choisi pour atteindre une fin. On ne rit pas pour s’amuser, se moquer, attirer la sympathie, comme on sourit ou comme on plaisante. Si l’on rit c’est qu’on s’octroie le droit de ne rien redouter ou respecter. Nous rions parce qu’il n’y a pas de danger et qu’aucun souci ne nous occupe. Nous dépensons dans le rire une énergie libérée par l’absence soudaine d'enjeu et d’effort. La condition du rire est une suspension momentanée de l’effort. Je peux décider avant de rire de me moquer ou de plaire. Je sais qu’avec telle personne, je ne me moquerai pas, je rirai innocemment. Je sais qu’avec d’autres, au contraire, mon rire pourra être moqueur. Mais je ne décide pas de rire, sans quoi mon rire serait forcé ou feint. Le rire, comme réaction neurologique, n’est en soi ni bon ni mauvais, ni méchant ni gentil. Il est une brusque détente, il révèle en quelque sorte une erreur. On croyait qu’il fallait être vigilant, qu’un risque existait, ne fût-ce que celui de ne pas comprendre la blague racontée. On croyait que tout se déroulerait normalement, sans couac, et tout à coup l’accident survient et s’avère aussitôt futile. Le rire est un petit triomphe. Il consiste à s’apercevoir que le lourd est léger, le dangereux, inoffensif, et que le haut est en bas. Ce qui nous impressionnait n’est qu’une illusion. Voilà ce que veut dire le rire. C’est un petit triomphe du principe de plaisir qui enlève au réel sa pesanteur et son caractère pénible. Les neurobiologistes ne connaissent pas précisément le déterminisme et la fonction du rire. Phylogénétiquement, certains biologistes estiment qu’il est apparu pour les besoins de la communication afin de signaler l’absence de danger. Telle serait sa finalité du point de vue de l’espèce. Sa fin n’est pas individuelle mais il prend une signification sociale comme toutes les réactions naturelles de l’homme. Il se voit également doté d’une valeur positive ou négative selon les conditions où il se déclenche. Il est aussi l’objet de certaines règles sociales qui varient à travers les époques et les cultures. L’homme a donc fait du rire un signe dont le sens, comme celui d’un geste, est multiple. La polysémie du verbe « rire » témoigne de cette multiplicité de sens. L’un des sens du verbe est « plaisanter ». Dans la question « rire : pour quoi faire ? » il faut entendre ce sens-là. On plaisante pour attaquer, corriger, se défendre, se lier, se moquer, exclure, etc. Mais on ne peut pas dire qu’on rit ou qu’on manifeste une émotion par des expirations sonores pour atteindre l’un de ces buts. Il ne faut pas confondre la réaction émotionnelle, qui peut être solitaire, et l’intention de produire un effet sur autrui.

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