Les
raisons du devoir de mémoire peuvent être :
1.
Une raison purement morale de compassion ou de reconnaissance.
Le devoir de mémoire peut aussi avoir pour but l'édification. Il servirait à montrer ce qu'il faut détester et ce qu'il faut empêcher (racisme, expansionnisme guerrier, etc.) ainsi que ce qu'il faut imiter (le courage de ceux qui ont résisté, la vertu de ceux qui ont été des justes). Cette édification pourrait à certaines conditions être ramenée à la troisième raison (cf. plus bas).
Le devoir de mémoire peut aussi avoir pour but l'édification. Il servirait à montrer ce qu'il faut détester et ce qu'il faut empêcher (racisme, expansionnisme guerrier, etc.) ainsi que ce qu'il faut imiter (le courage de ceux qui ont résisté, la vertu de ceux qui ont été des justes). Cette édification pourrait à certaines conditions être ramenée à la troisième raison (cf. plus bas).
2.
Un intérêt idéologique qui est la légitimation du présent par le passé.
Un
article de Ziya Meral intitulé "A Duty to Remember? Politcs and Morality of Remembering Past Atrocities" apporte une réflexion intéressante sur le
devoir de mémoire et en particulier sur la justification par l'histoire. "Its
problematic shows itself in the manipulation of the sad events of the past for our purposes
now, whether they are political or therapeutic. Therefore, it is no surprise
that the Holocaust survivor, Leon Weliczker Wells, questions the moral basis of
the use of the Holocaust by Israelis today: “As one whose parents, uncles and
aunts, brothers, sisters and cousins were killed by the political madness that
dominated Europe, I refuse to stand by now and allow their memory to be used to
fuel the ideology of “Kill or be killed!” that dominates Israel and Zionism
today.” (As quoted by Winter, 2006: 268) Ce qu'on peut traduire ainsi : "Le
caractère problématique de la mémoire historique collective se voit dans la
manipulation des événements déplorables du passé pour atteindre des objectifs
actuels, qu'ils soient politiques ou thérapeutiques. Il n'est donc pas étonnant
qu'un survivant de l'Holocauste, Léon Weliczer Wells, mette en question
l'utilisation de l'Holocauste par Israël aujourd'hui. "Etant l'un de ceux
dont les parents, oncles et tantes, frères, sœurs et cousins ont été tués par
la folie politique qui a dominé l'Europe, je refuse de soutenir et d'autoriser
l'utilisation de leur souvenir pour alimenter l'idéologie du "tuer ou être
tué" qui domine Israël et le sionisme actuel." Ziya Meral donne un
autre exemple de l'utilisation de l'histoire comme légitimation du présent. Il
indique que Ben Laden a fait référence aux croisades pour décrire le combat
entre le monde occidental et l'Islam et que Kadhafi a affirmé que l'invasion de
l'Egypte par Napoléon était la neuvième croisade et l'établissement de l'Etat
d'Israël la dixième. Et George Bush, de son côté, a parlé d'une croisade contre
le mal. Un autre cas de l'utilisation du devoir de mémoire est celui des régimes qui assoient leur légitimité sur les fautes imputées aux régimes précédents. On en voit un exemple dans l'affiche pétainiste "Souviens-toi" (visible dans la barre de droite) qui dénonce les erreurs du passé.
Cet emploi de la mémoire pour légitimer le présent se retrouve dans
l'évocation des sacrifices faits par ceux qui ont versé leur sang pour la
patrie ou pour une autre cause collective dont se réclame un état, une
communauté ou un mouvement. Ce sacrifice ajoute en quelque sorte du poids, de
la valeur à ce qui en découle aujourd'hui. Ainsi on peut penser que la mort des
poilus ou des résistants est commémorée non seulement par compassion, mais
également pour renforcer l'attachement à la patrie, à l'état et, par extension,
à ceux qui le représentent actuellement. Si des hommes nombreux ont donné leur vie pour
quelque chose c'est que ce quelque chose en vaut la peine. En 2012, François Hollande disait : "Le 11 novembre c'est l'évocation de la Grande guerre, nous ne devons jamais oublier tous ceux qui se sont sacrifiés pour que nous soyons ce que nous sommes aujourd'hui". Cela sous-entend, semble-t-il, que ce sacrifice n'a pas été vain ou néfaste, et donc que sans lui notre situation eût été moins bonne aujourd'hui. C'est donc que notre situation n'est pas si mauvaise. Autrement dit la participation à la guerre n'est pas absurde, elle est justifiée. Cela signifie aussi que "ceux qui se sont sacrifiés" avaient le désir que "nous soyons ce que nous sommes aujourd'hui", ce qui n'est pas évident. Si les soldats avaient pu savoir qu'en 2012 l'Europe serait une union politique et économique, il est possible qu'ils n'eussent pas tous accepté de se battre.
3. Une autre raison qui est l'intention d'empêcher que se produisent des
crimes semblables à ceux dont on se souvient. Mais on peut douter de l'efficacité de cette démarche.
Il faudrait que les hommes puissent tirer de ces
catastrophes passées un enseignement applicable au présent, avec des lois et la
connaissance précise d'une causalité. Mais cet enseignement est difficile voire
impossible à tirer et à appliquer à des conditions inédites. Comment savoir quelles sont les conditions suffisantes pour
qu'un génocide se produise? Les situations ne se reproduisent pas à
l'identique.
C'est ce que pense Hegel."On recommande aux rois, aux hommes
d'État, aux peuples de s'instruire principalement par l'expérience de
l'histoire. Mais l'expérience et l'histoire nous enseignent que peuples et
gouvernements n'ont jamais rien appris de l'histoire, qu'ils n'ont jamais agi
suivant les maximes qu'on aurait pu en tirer. Chaque époque, chaque peuple se
trouve dans des conditions si particulières, forme une situation si
particulière, que c'est seulement en fonction de cette situation unique qu'il
doit se décider : les grands caractères sont précisément ceux qui, chaque fois,
ont trouvé la solution appropriée. Dans le tumulte des événements du monde, une
maxime générale est d'aussi peu de secours que le souvenir des situations
analogues qui ont pu se produire dans le passé, car un pâle souvenir est sans
force dans la tempête qui souffle sur le présent; il n'a aucun pouvoir sur le
monde libre et vivant de l'actualité. (L’élément qui façonne l'histoire est
d'une tout autre nature que les réflexions tirées de l'histoire. Nul cas ne
ressemble exactement à un autre. Leur ressemblance fortuite n'autorise pas à
croire que ce qui a été bien dans un cas pourrait l'être également dans un
autre. Chaque peuple a sa propre situation, et pour savoir ce qui, à chaque
fois, est juste, nul besoin de commencer par s'adresser à l'histoire.)"
(Hegel, La Raison dans l'histoire, 10/18, p.35-36)
Ziya
Meral prend l'exemple du souvenir des guerres mondiales. "Even though the post WWI world has been filled with memorial sites and
events, the 20th century proved to be the most destructive century of all. Jay
Winter observes that, “in Britain, the names of those who died in the war of
1939-45 were simply added to those of the Great War. In part, this was a
reflection of failure.” (Winter, 2006: 151) It was a failure because most
of these memorials, on which new names were simply added, have inscriptions
such as “never again” or “lest we forget”. This irony signals to the fact that
simply remembering the atrocities of the past is not enough for their future
deterrence." Cet exemple montre que, comme dit Meral, le simple souvenir
des atrocités du passé ne suffit pas à en prévenir de nouvelles.
L'appel au souvenir peut d'ailleurs justifier de nouvelles agressions et,
loin d'empêcher la répétition des crimes, en engendrer de nouveaux, comme le
montre la référence aux croisades mentionnée ci-dessus.
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