jeudi 2 juillet 2015

je me souviens : perdons-nous la mémoire?

Mémoire de la Shoah, du Goulag, mémoire de la colonisation, de l'esclavage, il est de plus en plus question du devoir de se souvenir et pourtant, étrange paradoxe, beaucoup affirment que notre époque perd le sens du passé, se replie sur le présent, et que nous sommes menacés d'amnésie. Notre époque est taxée de "présentisme". "Jamais l’immédiat n’a occupé une position aussi hégémonique, prétend Alain Finkielkraut dans L'Identité malheureuse. Jamais il n’a fallu un tel effort de volonté pour ne pas perdre le fil. Jamais l’oubli n’a été paré de couleurs aussi vives." De même, Olivier Rolin écrit dans Tigre en papier : "Aujourd'hui il semble qu'il n'y ait plus que du présent, de l'instantané même". Et un historien, Jean-Pierre Rioux intitule un de ses livres La France perd la mémoire. "Il ne peut y avoir « tyrannie » de la mémoire puisqu’il n’y a plus de mémoire", affirme Annette Wievorka. Un constat similaire se retrouve chez bien d'autres. Comment expliquer cet apparent paradoxe? C'est peut-être que la mémoire historique aujourd'hui se tourne vers le mal. Le devoir de mémoire nous enseigne l'horreur, la honte, ce qu'il faut éviter. La mémoire historique ne nous désigne plus la voie à suivre (faire comme nos aïeux conservateurs ou révolutionnaires), elle nous montre des gouffres où nous risquerions de tomber si nous n'y prenions pas garde. Il semble que notre mémoire historique soit devenue pessimiste et mortifiée au lieu d'inspirer l'espoir d'un temps meilleur ou la fidélité à un passé respecté. Notre mémoire est devenue compassionnelle. Elle n'alimente plus l'espoir de la révolution, de la grandeur nationale ou du maintien de l'ordre établi. Elle ne nous sert plus guère à justifier un engagement politique et à nous représenter l'avenir. Les faits sur lesquels portent le devoir de mémoire (Shoah, guerre de 14-18, esclavage, etc.) ne sont vivants que dans la mesure où subsistent des témoins (Shoah), des témoignages ou des descendants qui s'identifient au moins partiellement aux victimes (esclavage). Ils sont cependant détachés du présent dans la mesure où ils ne peuvent rien engendrer d'autre que la réprobation, ils ne donnent aucun élan, aucun modèle pour le présent, tout ce qu'on veut c'est qu'ils ne se reproduisent pas. A l'époque précédente au contraire (celle d'avant la chute du mur), la mémoire historique justifiait des projets tels que faire la révolution (communisme) ou restaurer la grandeur de la France (gaullisme). C'est sans doute pour cette raison que certains, tel Olivier Rolin, ont l'impression qu'il n'y a "plus que du présent". C'est parce que ce qu'il appelle la "civilisation française" lui semble battue en brèche que Finkielkraut dit que "notre pays est aujourd’hui menacé d’amnésie". La mémoire dont parle Rolin est celle de la révolution et du communisme. La mémoire dont parle Finkielkraut est celle de la grandeur passée de la France, patrie des droits de l'homme et phare culturel. Le problème est que le communisme est comateux et que la culture française n'est plus un modèle pour le monde. Notre mémoire évolue, elle ne disparaît pas. Elle devient supranationale (Shoah, esclavage, Goulag) et elle n'est plus affectée comme avant par le patriotisme ou le communisme. Est-ce vraiment regrettable? On a le droit de penser que non. N'est-il pas temps de se souvenir de l'Europe et de la Terre au lieu d'avoir la nostalgie de la France? 

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