mercredi 14 octobre 2015

Je me souviens : sujet de culture générale n° 2




1) Vous ferez une synthèse objective, concise et ordonnée des documents suivants :

Document 1 :

Si l'on devait se demander ce qui aura séparé puis rassemblé les nations constitutives de l'Europe, nul doute qu'il faudrait avancer, en premier lieu, la célébration collective des dates. Pour chacune d'elles, l'année est rythmée par la commémoration d'événements qui ont marqué son histoire et dont le souvenir est imposé à la communauté comme un devoir de mémoire. Comme ces événements sont la plupart du temps traumatiques (guerres, attentats, catastrophes), ce qui est alors rappelé, à chaque fois, c'est une dette contractée à l'encontre des victimes de ces mêmes événements.
D'une nation, d'une communauté à l'autre, ces dates ne sont pas les mêmes ou elles n'ont pas la même signification. Aussi se sont-elles longtemps imposées comme un facteur de division, à plus forte raison lorsque le passé qu'elles rappelaient était le conflit qui les avaient opposé les unes aux autres. C'est ainsi qu'au lendemain de la Première, comme de la Seconde Guerre mondiale, les nations européennes avaient chacune leur calendrier, leurs dates. Elles se distinguaient par leurs rapports différents à leur passé commun.
Cela signifie-t-il qu'il était nécessaire, pour que l'Europe se donne un avenir, que ces mêmes nations oublient leur passé? Ou fallait-il qu'elles apprennent à le partager? Au fil des dernières décennies, les commémorations sont devenues communes, les gestes symboliques se sont multipliés comme celui qui réunit, main dans la main, les présidents français et allemands, François Mitterrand et Helmut Kohl à Verdun. Avec le temps, sans que rien des conflits du passé ne soit oublié, les nations européennes  ont appris à construire leur avenir dans la reconnaissance et le respect mutuel des blessures de leurs mémoires divisées.
La volonté d'une mémoire commune se mit ainsi au service de la paix. Mais ceci ne fut possible que parce que le rappel du passé était soutenu par un projet politique «pacifique» et qu'il était, par là même, découplé de tout désir de revanche ou de vengeance. Il n'en va pas toujours ainsi et, comme l'ont rappelé les guerres dans les Balkans, il arrive aussi que le rappel du passé n'ait d'autre fonction que de nourrir les guerres et de compromettre sinon d'empêcher tout avenir commun entre des peuples ou des communautés déchirés.
Ce qui caractérise ce rappel, c'est cette forme de ressentiment contre le temps qui fait l'essence de tous les nationalismes. L'instrumentalisation belliqueuse du passé consiste alors à le ressasser, mais aussi parfois à l'exhumer, à le faire surgir de l'oubli, quand celui-ci avait été précédemment commandé ou ordonné par tel ou tel calcul politique. Faute d'avoir été assumé et assimilé, travaillé par les historiens, le passé revient, dans ces cas précis, avec une violence décuplée.
«Faut-il oublier le passé pour se donner un avenir?» Ce que l'obligation («il faut») et la forme du verbe («se donner») connotent, c'est une volonté, qu'on a choisi de traiter ici comme volonté politique. Or ce qui apparaît aussitôt, ce sont les limites de cette volonté. On ne peut décréter l'oubli, on ne peut refouler le passé, sous peine de le voir un jour faire retour avec véhémence. Le passé ne se laisse pas manipuler, pas plus que le pardon ou la réconciliation ne peuvent être imposés.
Pour se donner un avenir, il ne faut certainement pas ordonner l'oubli du passé. Qui, au demeurant, aurait le pouvoir de le faire? Pas plus qu'on ne saurait en ordonner le rappel. Ce qu'on peut par contre, ce sont deux choses. D'abord en organiser la commémoration, parce qu'il est de la responsabilité politique de prendre en charge les blessures de la mémoire. Elles sont, à ce titre, un signe de reconnaissance et il importe alors qu'aucune communauté ne puisse se sentir lésée et méconnue. Ensuite en construire l'intelligence.
Le passé ne demande pas à être oublié, mais compris, pour être mieux partagé. Cette intelligence aujourd'hui ne saurait être enfermée dans le prisme d'intérêts étroitement nationaux. Elle est au cœur de plusieurs défis: celui de la construction européenne, sans doute, mais aussi celui de l'entente entre les pays du Nord et ceux du Sud, entre les anciennes puissances coloniales et leurs anciennes colonies, entre les vainqueurs de toutes les guerres, d'hier et d'aujourd'hui, et les vaincus.



Document 2 :

La curiosité m’a donc récemment poussé à emprunter un petit livre d’Olivier Dhilly intitulé Faut-il oublier son passé pour avoir un avenir? (...)
Pour un historien tel que moi, la question posée par le titre a quelque chose d’absurde. Pour d’autres aussi, sans doute, car les premières réflexions offertes par l’auteur visent à fonder la légitimité de la question. Ainsi, on peut présenter le passé comme une obsession morbide. Le culte rendu au passé fossiliserait la société comme la mélancolie plonge l’individu dans un état apathique. Par ailleurs, le souvenir du passé pourrait entretenir le ressentiment, les inimitiés et les haines. Ainsi le souvenir des guerres passées perpétuerait-il les haines ancestrales. Aussi oublier aurait-il des vertus pacificatrices et serait-il nécessaire pour l’action.
(...) Le reste du texte est consacré à chercher à esquisser ce que pourrait être un rapport équilibré au passé, tant pour l’individu que pour la collectivité. Dhilly souligne d’abord qu’il n’y a pas de souvenir sans oubli. Le souvenir sélectionne, il privilégie quelque chose qui est plus important que quelque chose d’autre. Ce faisant, il montre que la question posée par le titre n’est pas tout à fait la bonne question. Il faut plutôt s’interroger sur l’attitude que nous avons face au passé et à l’avenir, sur la manière dont on peut tenir à distance aussi bien un oubli qui déracine que la fascination morbide pour le passé. Quant à l’histoire, elle ne se confond pas avec la mémoire, puisque cette dernière se définit par sa dimension affective, alors que l’histoire est à la recherche d’une compréhension intégrale du passé. L’histoire s’oppose alors à la reconstruction du passé à des fins instrumentales et politiques. Sur ce point, Dhilly semble rejoindre ceux, parmi les historiens, qui pensent l’histoire contre la mémoire.
Deux éléments ressortent de sa réflexion sur le rôle que joue le souvenir du passé dans une vie équilibrée. En premier lieu, le retour sur le passé peut avoir un effet libérateur en ce qu’il éclaire une expérience ou un legs qui a un effet paralysant. En identifiant la cause d’un mal, on peut ainsi se défaire des chaînes dont on a hérité. Dhilly en donne l’exemple des cures psychanalytiques pour les individus. Concernant les collectivités, c’est la démarche de Hannah Arendt pour comprendre les origines du totalitarisme qui l’inspire. Comment fonder un nouveau vivre ensemble pour l’avenir après le désastre des régimes nazi et stalinien, si ce n’est en s’interrogeant sur le chemin par lequel nous y sommes parvenus? En ce sens, la fonction de vérité associée à l’histoire devient déterminante :
"S’il y a une exigence dans le rapport au passé, ce n’est pas à proprement parler de se souvenir, mais de faire en sorte que le travail de l’historien soit possible afin de comprendre, et c’est alors la totalité du passé qu’il s’agit de comprendre, non une sélection d’événements. C’est sans doute pourquoi le travail de l’historien n’est jamais achevé. Ceci n’exclut pas que l’on commémore des événements passés, que l’on fasse des cérémonies du souvenir, mais ces dernières ne peuvent en rien se substituer au travail de l’historien."


Document 3 :

André, âgé de 41 ans, est devenu amnésique il y a une dizaine d'années à la suite d'un traumatisme crânien. Autrefois débordant d'activité, il est aujourd'hui totalement dépendant des autres. Il a conservé toutes ses connaissances sur le monde (dans sa « mémoire sémantique »), ainsi que la façon de s'en servir (dans sa « mémoire procédurale »), mais a perdu tous ses souvenirs et ne retient pas ce qui lui arrive (sa « mémoire épisodique »). Quand il doit réaliser un travail en plusieurs étapes, il refait plusieurs fois la même chose car sa mémoire épisodique ne l'avertit plus que c'est déjà fait. Et quand on lui demande s'il oublie parfois des rendez-vous, il répond non car il oublie qu'il oublie. Il n'est pas conscient de la fidélité de ses amis, car il a oublié leur visite de la semaine dernière...
On pourrait penser que son état le rend malheureux. Au contraire, il se met rarement en colère et est bien moins triste qu'avant son accident. Tout le monde est malheureux de sa situation... sauf lui. Gaëtane Chapelle, psychologue à l'Université catholique de Louvain, a voulu savoir si son amnésie est la cause de ce « bonheur ». Avec deux collègues, elle a longuement interrogé André. Ils lui ont, par exemple, demandé ce que cela lui ferait d'apprendre la mort prochaine d'un ami très cher. En fait, cela ne l'attristerait pas, et il ne voit pas en quoi certains de ses projets pourraient en être modifiés. Ne se souvenant pas des relations positives entretenues avec cet ami, il n'imagine pas la perte affective. Son amnésie le rend donc moins sensible à ses propres malheurs et à ceux des autres. En bref, selon G. Chapelle, « André est heureux, mais seul dans son bonheur. »


Document 4 :



 Vue du camp d'Auschwitz-Birkenau visité par des touristes et que Primo Levi, déporté à Auschwitz-Monowitz, visita après la guerre

Face au triste pouvoir évocateur de ces lieux, chaque ancien déporté réagit de façon différente, mais on peut cependant distinguer deux catégories bien définies. Appartiennent à la première ceux qui refusent d’y retourner ou même d’en parler, ceux qui voudraient oublier sans y parvenir et sont tourmentés par des cauchemars, enfin ceux qui au contraire ont tout oublié, tout refoulé, et ont recommencé à vivre en partant de zéro. J’ai remarqué que ce sont tous en général des individus qui ont échoué au Lager « par accident », c’est-à-dire sans engagement politique précis ; pour eux, la souffrance a été une expérience traumatisante mais dénuée de signification et d’enseignement, comme un malheur ou une maladie : pour eux, le souvenir est un peu comme un corps étranger qui s’est introduit douloureusement dans leur vie, et qu’ils ont cherché (ou qu’ils cherchent encore) à éliminer. Dans la seconde catégorie par contre, on trouve les ex-prisonniers politiques, ou des individus qui possèdent, d’une manière ou d’une autre, une éducation politique, une conviction religieuse ou une forte conscience morale. Pour eux, se souvenir est un devoir : eux ne veulent pas oublier, et surtout ne veulent pas que le monde oublie, car ils ont compris que leur expérience avait un sens et que les Lager n’ont pas été un accident, un imprévu de l’Histoire.

Primo Levi, Si c'est un homme, 1947.

2) Écriture personnelle :

Selon vous, est-il plus libérateur d'oublier ou de se souvenir ?
ou
Est-il nécessaire d'oublier pour se libérer du passé ? 

1 commentaire:

  1. bonjour! auriez-vous le corrigé de cette synthèse, s'il vous plaît? cordialement

    RépondreSupprimer