Le titre du célèbre roman de Marcel Proust exprime une
quête à laquelle nous cédons tous plus ou moins. Il suffit de voir le succès de
sites tels que Copains d'avant. Il
suffit de prendre part à une conversation familiale ou amicale pour le
constater : l'évocation du passé fait recette. "Tu te souviens du jour
où...?" Qui n'a prononcé ou entendu semblable question ? En outre,
aujourd'hui, les moyens techniques favorisent cette évocation : photos
rassemblées en album, vidéos, musiques enregistrées. Le passé collectif est lui
aussi à l'honneur. On ne savoure pas seulement le souvenir des événements de la
vie personnelle mais aussi celui des époques révolues. Quelles sont exactement
la nature et la raison de cette fascination pour le passé ? Les quatre
documents du corpus nous apportent des éléments de réponse. Dans un premier
temps, nous verrons qu'il s'agit d'une nostalgie qui embellit le passé. Dans un
deuxième temps, nous verrons qu'il existe plusieurs explications à ce
phénomène.
Les quatre documents mettent en lumière la fascination
qu'exerce le passé. Tout d'abord, ce phénomène n'est pas nouveau. Machiavel en
fait état dans le Discours sur la première décade de Tite-Live. C'est,
dit-il, une habitude très répandue et souvent erronée que de préférer au
présent le passé, celui qu'on a connu ou celui que racontent les historiens. Et
cette habitude se retrouve à notre époque. Eric Dupin a souvent rencontré le
regret d'une époque révolue chez les Français de condition modeste. Cette
nostalgie du bon vieux temps, associée à la ringardise, a souvent été traitée
par le mépris. Selon Dupin, la croyance au progrès (qui fait partie de l'idéologie
des classes dominantes) est le principal argument contre ce passéisme. On l'a
vu en particulier dans la querelle du mariage homosexuel. C'était
essentiellement par les personnes âgées, nous dit le journaliste, que le passé
était surestimé. Dans les yeux souriants du couple de Woodstock photographié
quarante ans plus tard transparaît une sorte d'émerveillement. Mais aujourd'hui,
ajoute Dupin, la nostalgie se répand dans les autres classes d'âge. En effet,
explique-t-il, 60% des
Français âgés de 25 ans à 34 ans pensent qu'ils auront moins d'avantages que
leurs parents. L'aura du passé devient, selon Anne-Laure Gannac, un bon
argument de vente, aussi bien pour des produits alimentaires que pour certains
sites Internet ou des chanteurs sur le retour. Le passé profite de l'agrément
du souvenir. En effet, dit-elle, même s'il n'est pas rose, se le rappeler est
un plaisir. Cette idée nous amène justement à l'explication de la nostalgie et
de la surestimation du passé.
En effet, on voit à travers ce corpus qu'il y a deux
raisons principales pour faire l'éloge du passé. D'une part, le passé peut
avoir effectivement des qualités objectives. Par exemple, nous dit Dupin, la précarité, le chômage et les problèmes
écologiques n'étaient pas à l'ordre du jour auparavant. Ces nouveaux
fléaux donnent de la crédibilité aux propos nostalgiques. Woodstock nous fournit un autre exemple de
ces qualités objectives du passé. Il est certain que ce fut un événement majeur
tant par le nombre que par l'enthousiasme de la jeunesse et la qualité
musicale. Mais ce qui rend le passé si attirant, c'est surtout l'effet du
souvenir. La réalité disparue subit une transfiguration. Cela se fait de
plusieurs manières, nous dit Machiavel. D'une part, le passé est moins bien
connu donc plus facile à embellir. D'autre part, on a tendance à prêter aux
riches, en quelque sorte. Les historiens font un tableau flatteur des époques
anciennes. Pour magnifier les grands hommes, ils rehaussent même leurs
adversaires, dit le philosophe florentin. Enfin, toujours selon lui, le passé
ne suscite ni crainte ni envie, donc il n'est pas un objet de haine comme peut
l'être le présent. Les jeux sont faits, on peut le contempler plus sereinement.
Dupin cite Laura Carstensen, psychologue qui a étudié le biais cognitif du
souvenir. Avec l'âge, explique-t-elle, la mémoire choisit de préférence les
bons souvenirs. Ce tri contribue à rendre le passé plus attractif. L'embellissement
du passé se fait donc par une tendance à surenchérir sur le positif et à
négliger le négatif. Les psychologues que cite Anne-Laure Gannac complètent
cette explication par deux idées. D'une part, le souvenir personnel est d'une
certaine façon narcissique. Il nous donne le plaisir de rejoindre l'être que nous étions. D'autre
part, on aurait tendance à projeter sur le passé le fantasme d'un état de
complétude que l'on désire et que l'on croit avoir connu dans l'enfance. Il y a
donc dans l'éloge du passé une grande part de subjectivité, d'embellissement de
la réalité disparue, même si cette réalité mérite parfois l'éloge.
Ce corpus nous montre clairement qu'il existe une
tendance à retenir de préférence les bons aspects du passé. Mais ce n'est pas
seulement sur ces aspects que se fonde notre fascination et notre regret. Au
fond, c'est surtout le souvenir que l'on aime, c'est lui qui transfigure les
époques antérieures. En effet, le souvenir implique un certain détachement qui
permet la sérénité. A cette sérénité s'ajoute le plaisir de vaincre le temps en
retrouvant intérieurement et en paroles ce qui est perdu. Peut-être est-ce pour
cela que le souvenir porte le fantasme d'une complétude que la réalité nous
refuse toujours.
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