Magister
est un bon site, utile et bien fait. Vous y trouverez plein de
ressources. Rendons hommage à son animateur. Cependant, sur le
nouveau thème du BTS, on y trouve un a priori dont on se passerait,
parce qu'il appartient à la doxa des détracteurs du virtuel.
"Ne rêvons pas trop, écrit-il en parlant de la "révolution
numérique" : cette ère nouvelle, si elle bouscule en effet
notre univers, ne réussit guère qu'à substituer une
communication indirecte et désincarnée aux vrais rapports humains
qui, à l'évidence, ne peuvent se passer de la présence charnelle
de l'autre."
Ah... Donc la "vraie" communication ne peut se passer de la
présence "charnelle". C'est-à-dire que lui et moi, nous
sommes dans une fausse communication puisque nous ne nous sommes
jamais rencontrés physiquement. C'est-à-dire que si j'ai eu, par
exemple, une correspondance avec un écrivain, disons Maurice
Blanchot tiens, à qui je n'ai jamais serré la main, que je n'ai
jamais regardé dans le blanc des yeux, eh bien, non, ce n'était
qu'une fausse communication. Tenons-nous-le pour dit. Il faut pour
partager, pour s'enrichir mutuellement, pouvoir déchiffrer l'âme
dans les yeux de l'autre, lire les signes de l'émotion sur son
visage, trinquer avec lui en levant un verre de bon vin pendant qu'on
y est, oui, il n'y a rien de plus vrai que le contact physique, le
corps ne peut tromper, les yeux ne mentent pas, etc. (L'une des conséquences de ce primat de la présence charnelle et de la contiguïté des corps, c'est que la valeur de la relation dépend maintenant de l'espace. Le commerce de proximité, pourrait-on dire, ne doit pas être négligé au profit du commerce lointain : "que
penser d'une apothéose de la communication qui permet aux gens de
dialoguer jusqu'à l'autre bout de la planète alors qu'ils n'ont pas
encore adressé un mot à leur voisin de palier ?" Peu importe
que vous n'ayez aucune affinité avec le voisin de palier et que
l'internaute japonais partage votre passion. C'est le territoire qui
compte, un peu comme pour certaines bandes de cité ou encore pour
bien des nationalistes.) Bon. Il se
trouve que tous les êtres humains ne pensent peut-être pas ainsi,
que tous n'ont peut-être pas cette foi aveugle dans la présence
physique, que certains même sont gênés, intimidés, troublés, ou
que d'autres ne jugent pas nécessaire de mêler aux idées
échangées, à l'entrelacement des réflexions, aux affects qui
passent dans les mots du papier ou de l'écran, toutes sortes
d'interférences sensibles telles que la couleur de la cravate de
l'interlocuteur, ses raclements de gorge, sa façon de renifler, ou
que d'autres ne jugent pas nécessaire pour bien communiquer
d'imposer à l'échange les petites sollicitations du corps qui a
soudain soif, qui a soudain envie de bouger, qui éprouve soudain
quelque gêne. Le corps de l'autre est parfois inhibant, le nôtre
est parfois une réalité un peu importune qui tente de nous
distraire de la réflexion. J'en ai parlé avec certains de mes
étudiants. Ils m'ont signalé une chose qui me paraît digne de foi.
On va parfois plus loin dans la confidence, dans l'épanchement par
écran interposé parce que le regard n'est pas là pour vous
intimider, parce que l'autre se fait plus discret, pas besoin d'avoir
lu Sartre pour savoir que les yeux, la présence physique de l'autre
est une source potentielle de déstabilisation ou de blocage. Le
corps, justement, le corps de l'autre ne cesse de nous transmettre
des informations adventices, de nous envoyer des signaux
intentionnels ou involontaires, qui peuvent brouiller la clarté de
l'échange de pensées. Sans doute est-ce pour cela que, dans la
relation analytique, le face à face est banni. Personnellement, cela
ne me paraît pas très sérieux de condamner la "communication
indirecte et désincarnée". C'est une position inspirée du
Phèdre de Platon, qui me semble trop fermée. Je ne vois pas la
prétendue évidence de la nécessité d'une présence corporelle
pour établir une "vraie" communication.
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