Vous
ferez une synthèse concise, objective et ordonnée des documents
suivants :
Document
1 :
L'hiver
dernier, lors de la parution de son roman Freedom en édition
de poche, l'Américain Jonathan Franzen exprimait sa méfiance à
l'égard des tablettes, leur préférant le livre qu'il tenait en
main : « Je peux renverser de l'eau dessus, ça fonctionne
encore et ça fonctionnera pendant des années. » Et de
s'inquiéter de la disparition du support papier, symbole d'éternité
: « Nos descendants auront-ils encore de l'appétit pour quelque
chose de permanent et d'immuable ? »
En France
aussi, des voix se sont élevées pour dire leur crainte du
lendemain. Ainsi Frédéric Beigbeder, qui l'avouait dans le récent
Premier bilan après l'Apocalypse, avant
d'évoquer régulièrement la question lors d'entretiens dans les
médias, où il parlait de « drame »
et comparait la situation actuelle du livre
et de la librairie à celle de l'industrie du disque juste avant la
disparition des disquaires.
« Mais
l'écriture a toujours été une technologie ! On a simplement changé
d'appareil », souligne l'écrivain François
Bon dans son essai intitulé Après le livre.
Ce pionnier du numérique qui, dès 1996, se passionna pour cet outil
nouveau, créa un site Internet, avant de devenir éditeur numérique
à travers une coopérative d'auteurs, se montre un observateur
attentif des mutations actuelles. Il dédramatise : «
Et si, paradoxalement, alors qu'on parle de télévision numérique,
de diffusion numérique de la musique, la transposition du livre au
numérique n'était, elle aussi, qu'un épiphénomène de la période
de transition, le temps que naissent, depuis l'intérieur de nos
nouveaux usages de lecture, les propres formes que ces usages sont
susceptibles d'engendrer, et qui ne se révéleront à notre
imaginaire qu'à mesure que nous les expérimenterons ? »
Une histoire
en marche, une liberté nouvelle, un autre rapport au monde, un
« nouveau territoire de créativité »,
comme le dit l'écrivaine et journaliste Laure Adler. Pareilles
expressions reviennent fréquemment dans la bouche des auteurs
intéressés par ces « nouveaux usages
». Un gain de temps, d'abord, explique le
romancier Didier Daeninckx, qui, pour son dernier livre, Le
Banquet des affamés, a commencé, comme
d'habitude, par des recherches historiques sur son personnage
principal. (...)
Outre la
simplification des recherches, le numérique permet de «
redonner vie à des formes dont le papier ne veut pas ou ne veut
plus, et que les éditeurs boudent »,
explique Paul Fournel, membre éminent de l'Oulipo (1) et auteur d'un
roman intitulé La Liseuse
(éd. P.O.L), qui décrit la vie d'un éditeur «
à l'ancienne » ayant passé sa vie «
dans un silence de vieux papiers ». Le
voilà mis brusquement en face du progrès lorsque arrive dans son
bureau une liseuse.
Beaucoup
d'humour dans ce roman, et point de méfiance envers la création
numérique : « Le livre électronique
peut donner une chance à la nouvelle, à la poésie, estime
Paul Fournel. Si tous les matins, on peut
recevoir par abonnement un bon poème sur son iPhone, qui dit qu'on
ne prendra pas l'habitude de le lire dans le métro ? Idem pour les
nouvelles, qui trouveraient bien leur place dans un abonnement
quotidien. » (...)
Ils
sont nombreux aujourd'hui à avoir investi la Toile pour y dire leurs
colères, leurs passions, mais aussi parfois le « making of » de
leurs livres. (...) Il n'est pas seulement question de « work in
progress », mais aussi parfois de « création labyrinthique ».
C'est
ce à quoi s'est livrée l'auteure Emma Reel, qui, en janvier
dernier, publiait Ah.
aux éditions du Seuil : un premier roman expérimental, « conçu
pour tablette » exclusivement,
et dont il n'existe pas de version papier. Le parcours de ce livre
est le suivant : Emma Reel commence par tenir un blog, puis elle
écrit des nouvelles, qu'elle recompose en vue de la création d'un
livre numérique où les textes courts ont des formes ouvertes : on
peut cliquer sur un mot et accéder à d'autres récits – un peu
comme il existait pour les adolescents, voici quelques années, les «
livres [interactifs] dont vous êtes le héros ».
A ceci
près qu'ici le sujet est l'érotisme et le désir. Avec la volonté
de modifier la lecture et de l'éclater, de la faire proliférer en
arborescence. « Je rêve d'un
livre enrichi – et non illustré – où la musique serait
indispensable au récit, imagine
pour sa part l'écrivain Jean-Claude Bologne. Un
roman qui se présenterait comme un échiquier, un récit où l'on
pourrait entrer à n'importe quelle page… »
(1)
Oulipo : L'Ouvroir
de littérature potentielle est
un groupe international de littéraires
et de mathématiciens.
Christine Ferniot et Marine Landrot, "Littérature et numérique : quand l'écrit invente son avenir", Télérama.
Document
2
:
[Le
patron d'une vieille maison d'édition reçoit la visite impromptue
d'une jeune stagiaire.]
– Et
qu’est-ce que vous faites dans mon bureau, si
ce n’est pas indiscret ?
– C’est
monsieur Meunier, le grand patron, qui m’a dit de…
– Le
grand patron ? Meunier ?
– Vous
ne le connaissez pas ?
– Trop
bien.
– Alors
vous savez. C’est lui qui m’a dit de vous
apporter
ça.
– Et
qu’est-ce que c’est, ça ?
– Ben,
c’est une liseuse, un eBook, un iPad, je ne sais pas, moi. Il m’a
dit qu’il avait mis tous vos manuscrits dedans pour le week-end et
que ça vous ferait moins lourd. Vous voulez que je vous explique?
Regardez, c’est comme un écran avec tous vos manuscrits dessus.
Ils sont sur l’étagère virtuelle en faux-vrai bois. Vous les
touchez et ils s’ouvrent. Il y en a un paquet. Vous n’allez
jamais lire tout ça en deux jours ! Regardez, le texte s’ouvre.
– Et
j’avance comment ?
– On
tourne les pages dans le coin d’en bas avec le doigt.
– Comme
un bouquin ?
– Oui,
c’est le côté ringard du truc. Une concession pour les vieux.
Quand on se souviendra plus des livres, on se demandera bien pourquoi
on avance comme ça. Autant défiler vertical. Scroller. Ce serait
plus logique.
– C’est
Kerouac qui va être content.
Elle
ne réagit pas.
– Allez,
excusez-moi, Monsieur, mais je dois filer, j’ai un avion. Lisez pas
trop !
– À
mon âge…
Elle
disparaît d’un tour de fesses, tire la porte sur elle avec douceur
et je me retrouve à câliner ma liseuse. Elle est noire, elle est
froide, elle est hostile, elle ne m’aime pas. Aucun bouton ne
protrude au dehors, aucune poignée pour la mieux tenir, pour la
balancer à bout de bras comme un cartable mince, que du high-tech
luxe, chic comme un Suédois brun. Du noir mat, du noir glauque (au
choix), du lisse, du doux, du vitré, du pas lourd. Je soupèse. Je
la pose sur le bureau et je couche ma joue dessus. Elle est froide,
elle ne fait pas de bruit, elle ne se froisse pas, elle ne macule
pas. Rien ne laisse à penser qu’elle a tous les livres dans le
ventre. Elle est juste malcommode : trop petite, elle flotte dans ma
serviette, trop grande, elle ne se glisse pas dans ma poche. En fait,
elle ressemble à Meunier, Le grand patron. Elle est
inadaptée.
Paul
Fournel, La Liseuse, éditions POL.
Document
3 :
Socrate
J’ai donc
oui dire qu’il existait près de Naucratis, en Égypte, un des
antiques dieux de ce pays, et qu’à ce dieu les Égyptiens
consacrèrent l’oiseau qu’ils appelaient ibis. Ce dieu se nommait
Theuth. C’est lui qui le premier inventa la science des nombres, le
calcul, la géométrie, l’astronomie, le trictrac, les dés, et
enfin l’écriture. Le roi Thamous régnait alors sur toute la
contrée ; il habitait la grande ville de la Haute-Égypte que
les Grecs appellent Thèbes l’égyptienne, comme ils nomment Ammon
le dieu-roi Thamous. Theuth vint donc trouver ce roi pour lui montrer
les arts qu’il avait inventés, et il lui dit qu’il fallait les
répandre parmi les Égyptiens. Le roi lui demanda de quelle utilité
serait chacun des arts. Le dieu le renseigna ; et, selon qu’il
les jugeait être un bien ou un mal, le roi approuvait ou blâmait.
On dit que Thamous fit à Theuth beaucoup d’observations pour et
contre chaque art. Il serait trop long de les exposer. Mais, quand on
en vint à l’écriture :
« Roi,
lui dit Theuth, cette science rendra les Égyptiens plus savants et
facilitera l’art de se souvenir, car j’ai trouvé un remède pour
soulager la science et la mémoire. »
Et le roi
répondit :
« Très
ingénieux Theuth, tel homme est capable de créer les arts, et tel
autre est à même de juger quel lot d’utilité ou de nocivité ils
conféreront à ceux qui en feront usage. Et c’est ainsi que toi,
père de l’écriture, tu lui attribues, par bienveillance, tout le
contraire de ce qu’elle peut apporter.
Elle ne peut
produire dans les âmes, en effet, que l’oubli de ce qu’elles
savent en leur faisant négliger la mémoire. Parce qu’ils auront
foi dans l’écriture, c’est par le dehors, par des empreintes
étrangères, et non plus du dedans et du fond d’eux-mêmes, que
les hommes chercheront à se ressouvenir. Tu as trouvé le moyen, non
point d’enrichir la mémoire, mais de conserver les souvenirs
qu’elle a. Tu donnes à tes disciples la présomption qu’ils ont
la science, non la science elle-même. Quand ils auront, en effet,
beaucoup appris sans maître, ils s’imagineront devenus très
savants, et ils ne seront pour la plupart que des ignorants de
commerce incommode, des savants imaginaires au lieu de vrais
savants. »
(...)
Socrate
Ainsi donc,
celui qui croit transmettre un art en le consignant dans un livre,
comme celui qui pense, en recueillant cet écrit, acquérir un
enseignement clair et solide, est vraiment plein de grande
simplicité. Sans contredit, il ignore la prophétie d’Ammon, s’il
se figure que des discours écrits puissent être quelque chose de
plus qu’un moyen de réveiller le souvenir chez celui qui déjà
connaît ce qu’ils contiennent.
Phèdre
Ce que tu
dis est très juste.
Socrate
C’est que
l’écriture, Phèdre, a, tout comme la peinture, un grave
inconvénient. Les œuvres picturales paraissent comme vivantes ;
mais, si tu les interroges, elles gardent un vénérable silence. Il
en est de même des discours écrits. Tu croirais certes qu’ils
parlent comme des personnes sensées ; mais, si tu veux leur
demander de t’expliquer ce qu’ils disent, ils te répondent
toujours la même chose. Une fois écrit, tout discours roule de tous
côtés ; il tombe aussi bien chez ceux qui le comprennent que
chez ceux pour lesquels il est sans intérêt ; il ne sait point
à qui il faut parler, ni avec qui il est bon de se taire. S’il se
voit méprisé ou injustement injurié, il a toujours besoin du
secours de son père, car il n’est pas par lui-même capable de se
défendre ni de se secourir.
Phèdre
Tu dis
encore ici les choses les plus justes.
Socrate
Courage
donc, et occupons-nous d’une autre espèce de discours, frère
germain de celui dont nous avons parlé ; voyons comment il
naît, et de combien il surpasse en excellence et en efficacité le
discours écrit.
Phèdre
Quel est
donc ce discours et comment racontes-tu qu’il naît ?
Socrate
C’est le
discours qui s’écrit avec la science dans l’âme de celui qui
étudie ; capable de se défendre lui-même, il sait parler et
se taire devant qui il convient.
Phèdre
Tu veux
parler du discours de l’homme qui sait, de ce discours vivant et
animé, dont le discours écrit, à justement parler, n’est que
l’image ?
Socrate
C’est cela
même.
Platon,
Phèdre, trad.
Meunier.
Document
4
:
Nicolas-André
Monsiau, "Molière lisant Tartuffe chez Ninon de Lenclos",
1802, Photo RMN-Grand Palais - Bulloz
Sujet
d'écriture personnelle :
Pensez-vous
que le numérique tend à réduire la différence entre parole et
écriture?
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