Vous ferez une synthèse concise, objective et ordonnée
des documents suivants :
Document 1 :
On m'a
souvent demandé à quoi je pensais lorsque je courais. En général, les gens qui
me posent cette question n'ont jamais participé eux-mêmes à des courses de
fond. A quoi exactement est-ce que je pense lorsque je cours? Eh bien, je n'en
sais rien.
Quand il
fait froid, je suppose que je pense vaguement qu'il fait froid. Et s'il fait
chaud, je dois penser vaguement à la chaleur. Quand je suis triste, je pense à
la tristesse. Si je suis content, je pense au bonheur. Comme je l'ai déjà dit,
des souvenirs m'assaillent aussi, un peu au hasard. Et il m'arrive parfois,
enfin, presque jamais en fait, d'avoir une idée que j'utiliserai dans un roman.
En réalité, quand je cours, je ne pense à rien qui vaille la peine d'être
noté.
Simplement
je cours. Je cours dans le vide. Ou peut-être devrais-je le dire autrement: je
cours pour obtenir le vide. Oui, voilà, c'est cela, peut-être. Mais une pensée,
de-ci de-là, va s'introduire dans ce vide. Naturellement. L'esprit humain ne
peut être complètement vide. Les émotions des humains ne sont pas assez fortes
ou consistantes pour soutenir le vide. Ce que je veux dire, c'est que les
sortes de pensées ou d'idées qui envahissent mes émotions tandis que je suis en
train de courir restent soumises à ce vide. Comme elles manquent de contenu, ce
sont juste des pensées hasardeuses qui se rassemblent autour de ce noyau de
vide.
Les
pensées qui me viennent en courant sont comme des nuages dans le ciel. Les
nuages ont différentes formes, différentes tailles. Ils vont et viennent, alors
que le ciel reste le même ciel de toujours. Les nuages sont de simples invités
dans le ciel, qui apparaissent, s'éloignent et disparaissent. Reste le ciel. Il
existe et à la fois n'existe pas. Il possède une substance et en même temps il
n'en possède pas. Nous acceptons son étendue infinie, nous l'absorbons, voilà
tout.
Lorsque je suis injustement critiqué (du moins, de mon
point de vue) ou lorsque quelqu'un dont j'étais sûr qu'il me comprenait ne le
fait pas, je vais courir un peu plus longtemps qu'à l'ordinaire. En courant
plus longtemps, c'est comme si je pouvais épuiser physiquement cette part de
mécontentement. Cela me fait aussi comprendre encore une fois à quel point je
suis faible, à quel point mes capacités sont limitées. Je deviens conscient,
physiquement, de mes insuffisances. Et l'un des résultats de cette course un
peu plus longue est que je deviens un peu plus fort. Si je suis en colère, je
dirige ma colère contre moi-même. Si j'ai une expérience décevante, je m'en
sers pour m'améliorer. C'est ainsi que j'ai toujours vécu. J'absorbe calmement
les choses, autant que possible, et je les libère plus tard, et, selon des
formes aussi variées que possible, elles deviennent une partie de mes
romans.
Murakami, Autoportrait de l'auteur en coureur de
fond, 2007.
Document 2 :
Il enseigne
l’EPS dans un lycée mais il n’a pas de sifflet, pas de chrono autour du cou et
ne porte jamais de survêtement. Pire, il consacre sa vie à combattre le sport.
Fabien Ollier dirige maintenant la publication de Quel Sport ? qui
chaque mois, sur plus de 200 pages, critique l’absurdité du sport.
"L’activité
physique s’est historiquement transformée en sport et cela a des implications
politiques. L’idée fixe du sport, c’est être le meilleur, celui qui pisse le
plus loin. Tout cela va de pair avec l’idéologie capitaliste et son principe de
rendement corporel. L’institution sportive construite tout au long des XIXe et XXesiècles a provoqué l’uniformisation de
l’activité physique par le biais d’organisations bureaucratisées qui ont
répandu une seule idéologie : celle de la compétition de tous contre tous
et du dépassement mortifère des limites physiques. Même l’escalade, le surf,
des activités en marge dans les années 70, sont devenus des sports de
compétition spectacularisés : l’esprit initial de “ liberté ” s’est
dissout dans cette volonté obsessionnelle de la création du champion. Le sport
est en somme un capitalisme incarné. Le corps sportif devient un capital à
faire fructifier pour qu’il rapporte une plus-value.
Pourquoi a-t-on
besoin de s’aérer la tête en regardant ou en pratiquant du sport ? Parce
que la vie quotidienne est aliénante (1), ennuyeuse. Plutôt que d’affronter
cette réalité sordide et de lutter pour créer des conditions de vie qui ne
soient pas seulement viables mais vivables, les masses se shootent à l’opium
sportif et aux extases illusoires de la victoire. Les gens ne lisent plus, ils
marchent, courent, pédalent et adhèrent tous au dolorisme sportif pour se
perdre dans cette douleur égotiste, s’oublier dans cette souffrance
monomaniaque et par la même occasion devenir indifférents à l’égard des misères
de ce monde.
Je tente de faire
penser les élèves sur la nature profonde du sport, ce qui m’a causé beaucoup de
problèmes et d’inimitiés. Les matches sont plus ou moins transformés et
analysés en fonction des états physiques et intellectuels de chacun. Quand on
constitue des équipes, les derniers choisis, ce sont toujours les filles, les
petits gros ou les malingres. Dans la lutte pour être le meilleur, on écarte
les plus faibles. C’est symboliquement très violent et les élèves qui y sont
confrontés se sentent vraiment humiliés pour longtemps. Pourquoi ne pas faire
jouer les hommes avec les femmes ? C’est impossible dans le sport car loin
de la belle socialisation vantée, le sport fragmente le corps social en mettant
en avant la supériorité physique des uns sur les autres. Les hommes contre les
femmes, les jeunes contre les vieux, les valides contre les invalides... Il ne
s’agit que de diviser et mettre chacun à sa place. "
1. aliénant : qui
prive l'homme de sa liberté, de son identité.
"A bas le sport", entretien avec Fabien
Ollier, rue89.com.
Document 3 :
Pour offrir une définition qu'on ne rencontre nulle
part ailleurs, en tout cas pas dans les manuels scolaires, posons que la
philosophie du sport a pour objet de se demander ce que l'activité sportive
nous enseigne sur la condition humaine. Théorisant le sport dans une
perspective marxienne (1), Adorno a suggéré par exemple: «L'ancien argument
selon lequel on fait du sport pour rester en forme n'est faux que parce qu'on
prétend que la forme est la fin en soi: c'est [...] la forme pour le travail qui
est le but inavoué du sport» (Modèles critiques, p. 213). Sous le couvert de
contribuer à la vie bonne des individus, le monde du sport serait réglé,
d'après Adorno, sur la logique capitaliste qui fait de l'homme un outil de
production. Il obéirait et ferait obéir à la pensée marchande; il fabriquerait
et formerait des êtres forts, en santé, des individus dont l'attention doit
être détournée par les plaisirs récréatifs.
Aussi pénétrante que soit cette analyse, le sport a
été réfléchi de bien d'autres manières dans l'histoire de la pensée. Nous nous
en convaincrons sans peine en remontant le temps et en nous tournant vers
Platon: «Après avoir soigné l'esprit de manière satisfaisante, écrivait-il, ne
ferions-nous pas bien de confier à l'art de la gymnastique la tâche de préciser
les soins du corps, en nous contentant d'indiquer pour notre part seulement les
modèles?» (La République, 403d-e).
Soucieux de trouver des modèles pour l'éducation
physique, Platon était d'avis que la pratique du sport est essentielle pour les
gardiens de la cité. Non pas que le philosophe ait considéré l'activité
physique comme ayant une valeur en soi : en tous les cas, assurait-il, on ne
s'engage dans la gymnastique «qu'avec l'objectif d'éveiller l'ardeur morale de
sa nature, plutôt que la force physique» (ibid., 410 b). L'activité sportive
devait donc revêtir pour Platon un rôle éducatif, mais un rôle tel que le sport
ne peut valoir qu'en tant qu'il sert autre chose — le caractère, la
personnalité, l'âme.
École de la vie
Cette conception du sport trouvera pour partisan, ce
n'est pas fait banal, Aristote lui-même, qui s'y ralliera de façon plus ou
moins manifeste dans La Politique. Elle date de l'Antiquité, mais se
prolonge bien au-delà et conserve des traces importantes jusqu'à nous.
N'entendons-nous pas fréquemment dire, en effet, que le sport est une véritable
école de vie, qu'il est utile de pratiquer un sport pour apprendre à respecter
l'autre ou, bien encore, pour se libérer l'esprit dans l'espoir de mieux
aborder ses tracas plus tard?
La conception sous-jacente au propos qu'on tient alors
fait de l'activité sportive un champ subordonné, un champ dont les profits se
font sentir ailleurs que dans le corps lui-même. Pourquoi a-t-on fait du sport
un domaine dérivé par rapport à celui de l'intellect? Incontestablement, cela
s'explique par le primat (2) qu'ont accordé dans l'histoire les philosophes à
la connaissance et à l'âme, primat qui a été largement remis en question par
Nietzsche puis, dans son sillage, par tous les philosophes qui ont vu dans le
corps une porte d'entrée au monde et une condition de possibilité de
l'existence.
En rétablissant le rôle du corps, Nietzsche et sa
suite ont ouvert la porte à une nouvelle conception du sport. Cette conception
exalte l'activité physique entendue comme travail athlétique sur soi; elle ne
correspond pas à un dilettantisme bon enfant («l'important, c'est de
participer»), mais se distingue de la conception selon laquelle le sport est un
lieu où règnent l'adversité, l'affrontement, les dualismes.
Le monde de l'amateur
Venons-en maintenant aux fonctions que revêt le sport
chez l'amateur. Par amateur, nous n'entendrons pas celui qui agit en néophyte
ou pratique un sport en dilettante : nous comprendrons celui qui assiste à un
événement sportif. Nombre de commentaires ont déjà exprimé une idée : si l'on
se plaît tant à visionner un sport, c'est d'abord et avant tout parce qu'on
s'identifie aux sportifs. Sans avoir directement à l'esprit le sujet du sport,
Henri Bergson a eu quelque chose à dire sur ce processus d'identification:
«Quand nous ressuscitons par la pensée ces grands hommes de bien [ici, les
athlètes], quand nous les écoutons parler et quand nous les regardons faire,
nous sentons qu'ils nous communiquent de leur ardeur et qu'ils nous entraînent
dans leur mouvement» (Les Deux Sources de la morale et de la religion, p. 98).
Plusieurs auteurs ont souligné le rôle inspirateur que
jouent pour le peuple les grands héros du sport. Mais le sportif ne joue pas
pour l'amateur qu'un rôle d'inspirateur, et c'est ce que Roland Barthes a voulu
exprimer lorsqu'il a touché un mot, dans un film réalisé par Hubert Aquin, de
ce qui lie le spectateur de corrida au torero lui-même: «Ce que la foule honore
dans le vainqueur [...] ce n'est pas la victoire de l'homme sur la bête, car le
taureau est toujours vaincu; c'est la victoire de l'homme sur l'ignorance, la
peur, la nécessité. L'homme a donné sa victoire en spectacle, pour qu'elle
devienne la victoire de tous ceux qui le regardent et se retrouvent en lui» (Le
Sport et les hommes, p. 19).
La conquête
L'ignorance, la peur, la nécessité : tels sont les
moteurs qui suscitent chez l'homme l'apparition de l'esprit de conquête. Or, à
supposer que Barthes ait eu raison, le sport serait justement un des lieux où
les idéaux de conquête trouvent le mieux à s'exprimer. Certains condamneront
avec rage cet aspect du sport, tandis que d'autres y verront sa plus grande
vertu. De deux choses l'une, en effet: ou bien l'on peut voir dans l'activité
sportive l'affirmation triste d'un esprit de conquête, ou bien l'on peut y
voir, non seulement l'affirmation de cet esprit, mais le moment privilégié où
l'on exprime cet esprit et se purge des passions qu'il implique. Adhérer à la
seconde vision équivaut à croire au pouvoir cathartique du sport; adhérer à la
première, bien plutôt, revient à estimer que le sport ne fait que nourrir des
passions funestes.
1. marxien : qui s'inspire de Marx, philosophe et
théoricien du communisme et de la lutte des classes.
2. primat : supériorité.
Pierre-Alexandre Fradet et Maxime Goulet-Langlois, "La philo et le sport, deux gymnastiques", ledevoir.com.
Document 4 :
Coup de pied de Cantona à un supporter de l'équipe
adverse, Crystal Palace, qui l'avait insulté.
Écriture personnelle (20 points) :
Selon vous, le but du sport est-il de se dominer ou de
dominer les autres ?
Recherche d'une problématique et d'un plan général de la synthèse :
La difficulté de ce corpus n'est pas tant la problématique que le plan. Il faut aborder les quatre documents dans chaque partie du développement. Donc, mieux vaut ne faire que deux parties.
Je conseille de commencer par rechercher le sujet des deux parties avant de formuler la question problématique. Une fois que les sujets sont définis, il n'est pas difficile de trouver la question.
Si l'on ne voit pas d'emblée le contenu de deux parties, le plus simple est de faire ainsi :
Consacrer la première au point commun entre tous les documents (il y en a toujours au moins un) et consacrer la deuxième aux différences.
Quel est dans ce corpus le point commun? C'est l'idée que le sport est un effort, une lutte plutôt qu'un divertissement (athlos en grec signifie combat et deport en ancien-français signifie divertissement). Les quatre documents mettent l'accent sur cet aspect du sport. Donc on peut lui consacrer la première partie. La deuxième, elle, peut être consacrée aux différents objectifs de cette lutte : la force physique ou la vertu.
Ensuite on peut formuler la question problématique :
Quelle est la finalité de l'effort sportif ?
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