mardi 18 décembre 2012

4e sujet de synthèse et d'écriture personnelle sur paroles, échanges, conversations et révolution numérique

1. Synthèse : Vous ferez une synthèse concise, objective et ordonnée des documents suivants.
2. Ecriture personnelle : Pensez-vous que les nouvelles technologies de la communication appauvrissent la conversation ?


Document 1 :

Depuis le règne de Louis XIV, toute la bonne compagnie du continent, l'Espagne et l'Italie exceptées, a mis son amour-propre dans l'imitation des Français. En Angleterre, il existe un objet constant de conversation, les intérêts politiques, qui sont les intérêts de chacun et de tous ; dans le Midi il n'y a point de société : le soleil, l'amour et les beaux-arts remplissent la vie. A Paris, on s'entretient assez généralement de littérature; et les spectacles, qui se renouvellent sans cesse, donnent lieu à des observations ingénieuses et spirituelles. Mais dans la plupart des autres grandes villes, le seul sujet dont on ait l'occasion de parler, ce sont des anecdotes et des observations journalières sur les personnes dont la bonne compagnie se compose. C'est un commérage ennobli par les grands noms qu'on prononce, mais qui a pourtant le même fond que celui des gens du peuple ; car, à l'élégance des formes près, ils parlent également tout le jour sur leurs voisins et sur leurs voisines. L'objet vraiment libéral de la conversation, ce sont les idées et les faits d'un intérêt universel. La médisance habituelle, dont le loisir des salons et la stérilité de l'esprit font une espèce de nécessité, peut être plus ou moins modifiée par la bonté du caractère ; mais il en reste toujours assez pour qu'à chaque pas, à chaque mot, on entende autour de soi le bourdonnement des petits propos qui pourraient, comme les mouches, inquiéter même le lion. En France, on se sert de la terrible arme du ridicule pour se combattre mutuellement, et conquérir le terrain sur lequel on espère des succès d'amour-propre ; ailleurs un certain bavardage indolent use l'esprit, et décourage des efforts énergiques, dans quelque genre que ce puisse être.
Un entretien aimable, alors même qu'il porte sur des riens, et que la grâce seule des expressions en fait le charme, cause encore beaucoup de plaisir ; on peut l'affirmer sans impertinence, les Français sont presque seuls capables de ce genre d'entretien. C'est un exercice dangereux, mais piquant, dans lequel il faut se jouer de tous les sujets, comme d'une balle lancée qui doit revenir à temps dans la main du joueur. Les étrangers, quand ils veulent imiter les Français, affectent plus d'immoralité, et sont plus frivoles qu'eux, de peur que le sérieux ne manque de grâce, et que les sentiments ou les pensées n'aient pas l'accent parisien. (...) Les Français ont fait peur à l'Europe, mais surtout à l'Allemagne, par leur habileté dans l'art de saisir et de montrer le ridicule : il y avait je ne sais quelle puissance magique dans le mot d'élégance et de grâce, qui irritait singulièrement l'amour-propre. On dirait que les sentiments, les actions, la vie enfin, devaient, avant tout, être soumis à cette législation très-subtile de l'usage du monde, qui est comme un traité entre l'amour-propre des individus et celui de la société même, un traité dans lequel les vanités respectives se sont fait une constitution républicaine, où l'ostracisme s'exerce contre tout ce qui est fort et prononcé. Ces formes, ces convenances, légères en apparence, et despotiques dans le fond, disposent de l'existence entière; elles ont miné par degrés l'amour, l'enthousiasme, la religion, tout, hors l'égoïsme, que l'ironie ne peut atteindre, parce qu'il ne s'expose qu'au blâme et non à la moquerie.

Mme de Staël, De l'Allemagne, ch.IX, 1813.


Document 2 :

Le Point : Pourquoi les hommes conversent-ils ?
Chantal Thomas : Socrate a fondé sa philosophie sur le dialogue avec l'autre... La conversation est très importante pour le sentiment joyeux de soi, mais aussi pour la cohésion sociale. Il faut voir l'importance, en Espagne, au Maroc, en France pour ne citer qu'eux, de la place du village et du rituel, l'été, à la tombée de la chaleur, qui consiste à se retrouver pour parler ensemble. Une des grandes solitudes des villes est ce métro où la réunion et la contiguïté n'aboutissent pas à la parole, sauf cas très rares. C'est l'inverse de cette conversation qui s'aligne sur la course du soleil.
Dans votre dernier livre, "l'esprit" de conversation se promène sur trois siècles, et dans trois salons. Pourquoi ceux-là et pourquoi les saluer aujourd'hui ?
J'ai choisi trois femmes, comme trois explorations possibles de nous-mêmes en état de conversation, pour le plaisir toujours vibrant qu'il peut nous apporter. La marquise de Rambouillet tient au XVIIe un salon très raffiné, où le jeu de la sociabilité s'apparente à un spectacle pour soi. Sa chambre bleue est du côté de la féerie, du merveilleux, c'est un lieu absolument romanesque où l'on se donne les noms des personnages de romans de Mlle de Scudéry, et vice versa puisque celle-ci s'inspirait du salon pour inventer ses dialogues dans une sorte de circularité. Ce qui caractérise ce salon est une idée à laquelle je crois profondément : agir sur la manière dont on s'adresse à l'autre change les moeurs, à long terme. À l'époque des précieuses, cet enchantement du langage pour lui-même, tellement caricaturé, se pose à l'inverse de la brutalité et du passage à l'acte. Les relations se situent entre amour et amitié. Or ce registre de sentiment, qui n'est pas nettement répertorié, est essentiel dans le goût de sa propre existence et dans la manière dont se tisse un fil d'amitiés dans une toile subtile. Il est souvent invisible dans une biographie qui ne retient que les dates fortes. Pourtant, ce que l'on a échangé un jour avec quelqu'un peut être déterminant dans une vie. La conversation est aussi un plaisir clandestin.
Entre les salons de Mme du Deffand et de Mme de Staël, la conversation va prendre un tournant politique...
Le salon de Mme du Deffand est encore très orienté vers la vie littéraire, c'est une antichambre de l'Académie française, un lieu d'intrigues en partie. Il n'est pas ouvert sur le projet d'un changement de société, mais brille par son intelligence critique, son ton voltairien, ce sens génial du désespoir et de l'ironie. Mme de Staël, qui a fait son apprentissage dans le salon de sa propre mère, va trouver sa propre voix (ou voie), marquée par une conscience politique aiguë. Le choc du passage de la révolution à la Terreur, puis à la tyrannie de Napoléon, n'a cessé de la faire souffrir, et réfléchir. Mme de Staël est quelqu'un qui prend parti, comme dit d'elle Mme de Boigne : elle avait "une conversation un peu forte". Prête à tout pour défendre son opinion, elle trouvait aussi, pour que la prochaine séance ait lieu, le moyen que tout se raccommode. Elle se place ainsi entre le savoir de l'Ancien Régime et le risque de la brusquerie d'une nouvelle époque. Pour elle, couper la parole, une des grandes fautes pointées par l'art de la conversation, n'en est pas une. Dans De l'Allemagne, elle écrit ainsi : "Le plaisir d'interrompre, qui rend la discussion si animée en France et force à dire si vite ce qu'il importe de faire entendre, ce plaisir ne peut exister en Allemagne, car les commencements de phrase ne signifient rien sans la fin. (...) Cela vaut mieux pour le fond des choses, c'est aussi plus civil, mais moins piquant." Mme de Staël est une opiniâtre, elle montre aussi de la désinvolture, de la séduction, elle est celle dont le charme au présent s'est d'abord exercé par la parole. (...)
Dans quelle mesure la conversation est-elle menacée par les technologies de notre époque ?
La première cassure dans cet art oral, comme dans la tradition paysanne des conteurs, a correspondu à l'intrusion de la parole imposée et subie qu'est la télévision. Aujourd'hui, l'espace de la conversation se voit menacé par ces pratiques d'écoute autistique, où l'on est fermé sur la musique qui passe par les écouteurs, le SMS qu'on envoie, où chacun est seul dans son obsession de communication. Assez paradoxalement, et cela va peut-être de pair, le champ des rencontres est parfaitement - et abstraitement - ouvert sur l'Internet jusqu'à des lieux très lointains et sur un mode instantané, alors que le salon restait un lieu clos... Il est possible que l'ensemble de ces nouvelles techniques conduisent à d'autres formes de conversation, un jeu entre écrit et parlé, d'autres fantasmes...
Quelle est l'importance d'être présent physiquement dans l'échange de paroles ?
La conversation est un espace érotique. Au sens fort du terme où l'on offre son corps, quelque chose de son corps. Elle reste une valeur importante, pas uniquement parce qu'elle exige l'attention à l'autre, mais pour ce qu'elle implique de liberté dans notre rapport au temps. Garder du temps, celui, justement, où un imprévisible de la conversation peut survenir.

Chantal Thomas, "La conversation est un espace érotique", entretien avec Valérie Marin La Meslée, Le Point.


Document 3 :

À l'heure de la révolution numérique, il paraît donc légitime d'interroger plus profondément ce que les Anglo-saxons désignent du nom de "small talk". Nos sociétés, tout entières vouées à l'hyper-communication et au "trop plein" d'informations, incarnent paradoxalement une culture du vide et de l'insignifiance. Ainsi, la profusion de paroles contingentes et futiles qui accompagne souvent ces "petites conversations" s'apparente pour beaucoup d'observateurs à un langage expansif et sans fin, incapable d'atteindre la profondeur des choses et des êtres. (...)
Dans le monde de l'authenticité perdue, le bavardage apparaît ainsi comme une sorte de divertissement, au sens pascalien du terme, c'est-à-dire de détournement du langage, de "remplissage" du silence ; réponse médiocre et insatisfaisante de l'homme à son propre vide existentiel : je bavarde parce que j'ai peur de penser.
Le bavardage constitue donc de manière assez paradoxale une impuissance à parler, une parole non assumée, sans identité et sans transitivité, au détriment de la communication véritable. L'exemple de certains forums de discussion sur Internet serait à ce titre révélateur : condamné à vivre dans une virtualité d'autant plus douloureuse qu'elle est anonyme, le chateur dévalue la parole au rang de l'inauthentique, parce que ne parvenant pas à accéder au discours. Comme nous le comprenons, avec le bavardage c'est le rapport entre langue et parole qui n'est plus assuré. Alors qu'on peut assimiler la parole à une force d'expression du sujet, le bavardage implique en réalité un refus de dialoguer et de communiquer. (...)
D'une certaine façon, ces vains bavardages, inutiles et répétitifs, dévalorisent et pervertissent bien souvent l'essence même du langage, dans sa dimension d'expression et de transmission : ce n'est pas en fait du langage qui circule mais une oralité qui n'assume plus le pouvoir de la langue, plus proche du bavardage et soustraite à la vraie parole humaine. De manière plus fondamentale, il faudrait noter combien cette hypertrophie communicationnelle est consubstantielle à la mort du monde : parler pour parler, twitter pour rendre la vie plus supportable, vouloir toujours plus d'amis sur Facebook, envoyer des tonnes de SMS pour trouver une satisfaction dans le fait même d'exister, n'est-ce pas désagréger la valeur de la parole et de l'échange ?
Entre héroïsme et nihilisme, le "parler pour parler" confond la logorrhée, c'est-à-dire la surabondance de signes, et ce qui fait sens : quelle est la valeur d'un ami sur Facebook ? Quelle est la valeur des échanges sur Internet ? En perdant de sa valeur symbolique, la parole se transforme en marchandise, en perdant de leur valeur, les mots perdent leur certitude et modifient le sens profond que les hommes donnent à l'existence. Car cette désorientation est en fait une perte du sens, qui est la question fondamentale à laquelle notre modernité doit répondre.
Paradoxalement, la survalorisation des flux de paroles comme fin en soi, qui imprègne la culture post-moderne, a dépersonnalisé les rapports humains. Comme nous le comprenons, l'un des dangers des nouvelles technologies de l'hypercommunication est de faire dépendre les contenus qu'elles véhiculent de leur propre nature, et donc que l'échange ne se fasse plus par le langage, mais par la technologie qui s'attribue par le moyen des mots, un statut de fin. L'avertissement de McLuhan est toujours d'actualité : "le medium est le message" ; peu importe ce qui est échangé puisque nous échangeons...

Bruno Rigolt, "Du bavardage au clavardage", http://brunorigolt.blog.lemonde.fr


Document 4 :


























Ben, "Je ne bavarde pas"

1 commentaire:

  1. Bonjour à tous! Je suis étudiant en BTS Apres vente automobile et la prof m'a donné ce sujet en devoir. Le corrigé existe il? merci d'avance

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