1) Vous ferez une synthèse objective, concise et ordonnée
des documents suivants :
Document 1 :
Ainsi celui qui avance en âge cesse de jouer, il
renonce en apparence au plaisir qu'il tirait du jeu. Mais tout connaisseur de
la vie psychique de l'homme sait qu'il n'est guère de chose plus difficile à
celui-ci que le renoncement à une jouissance déjà éprouvée. A vrai dire, nous
ne savons renoncer à rien, nous ne savons qu'échanger une chose contre une
autre ; ce qui paraît être renoncement n'est en réalité que formation
substitutive. Aussi l'adolescent, en grandissant, ne renonce-t-il, lorsqu'il
cesse de jouer, à rien d'autre qu'à chercher un point d'appui dans les objets
réels ; au lien de jouer il s'adonne maintenant à sa fantaisie. Il édifie des
châteaux en Espagne, poursuit ce qu'on appelle des rêves éveillés. Je crois que
la plupart des hommes, à certaines époques de leur vie, se créent ainsi des
fantasmes. C'est là un fait qu'on a longtemps négligé de voir et que l'on n'a,
par suite, pas estimé à sa juste valeur. (...)
Ne nous figurons pas que les créations de cette
activité de l'imagination, les divers fantasmes, châteaux en Espagne ou rêves
éveillés, soient fixes et immuables. Ils se modèlent bien plutôt sur les
impressions successives qu'apporte la vie, ils se modifient avec chaque
oscillation dans la situation du sujet, ils reçoivent pour ainsi dire de chaque
impression nouvelle et forte une estampille temporelle. Les rapports du
fantasme au temps sont d'ailleurs des plus significatifs. Un fantasme flotte
pour ainsi dire entre trois temps, les trois moments temporels de notre faculté
représentative. Le travail psychique part d'une impression actuelle, d'une
occasion offerte par le présent, capable d'éveiller un des grands désirs du
sujet; de là, il s'étend au souvenir d'un événement d'autrefois, le plus
souvent infantile, dans lequel ce désir était réalisé ; il édifie alors une
situation en rapport avec l'avenir et qui se présente sous forme de réalisation
de ce désir, c'est là le rêve éveillé ou le fantasme, qui porte les traces de
son origine : occasion présente et souvenir. Ainsi passé, présent et futur
s'échelonnent au long du fil continu du désir.
L'exemple le plus banal illustrera ce que je viens de
dire. Imaginez un jeune homme pauvre et orphelin à qui vous auriez donné
l'adresse d'un patron chez lequel il pourrait trouver un emploi. Peut-être en
route s'abandonnera-t-il à un rêve éveillé, adapté à sa situation présente et
engendré par elle. Ce fantasme pourra consister à peu près en ceci : le jeune
homme est agréé, il plaît à son nouveau patron, on ne peut plus se passer de
lui dans l'entreprise, il est reçu dans la famille du patron, il épouse la ravissante
jeune fille de la maison et dirige alors lui-même l'affaire en tant qu'associé
et, plus tard, successeur du patron. Le rêveur se procure par là à nouveau ce
qu'il avait possédé dans son heureuse enfance : la maison protectrice, les
parents aimants et les premiers objets de ses tendres penchants. Vous voyez par
cet exemple comment le désir sait exploiter une occasion offerte par le présent
afin d'esquisser une image de l'avenir sur le modèle du passé.
Freud,
"La création littéraire et le rêve éveillé", in Essais de psychanalyse appliquée, 1933.
Document 2 :
Tant qu’on désire on peut se passer d’être
heureux ; on s’attend à le devenir : si le bonheur ne vient point,
l’espoir se prolonge, et le charme de l’illusion dure autant que la passion qui
le cause. Ainsi cet état se suffit à lui-même, et l’inquiétude qu’il donne est
une sorte de jouissance qui supplée à la réalité, qui vaut mieux peut-être.
Malheur à qui n’a plus rien à désirer ! il perd pour ainsi dire tout ce
qu’il possède. On jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère et
l’on n’est heureux qu’avant d’être heureux. En effet, l’homme, avide et borné,
fait pour tout vouloir et peu obtenir, a reçu du ciel une force consolante qui
rapproche de lui tout ce qu’il désire, qui le soumet à son imagination, qui le
lui rend présent et sensible, qui le lui livre en quelque sorte, et, pour lui
rendre cette imaginaire propriété plus douce, le modifie au gré de sa passion.
Mais tout ce prestige disparaît devant l’objet même ; rien n’embellit plus
cet objet aux yeux du possesseur ; on ne se figure point ce qu’on
voit ; l’imagination ne pare plus rien de ce qu’on possède, l’illusion
cesse où commence la jouissance. Le pays des chimères est en ce monde le seul
digne d’être habité, et tel est le néant des choses humaines, qu’hors l’Être
existant par lui-même1 il n’y a rien de beau que ce qui n’est pas.
1. Dieu.
Rousseau,
La Nouvelle Héloïse, VIe partie, lettre 8, 1761.
Document 3 :
On reprochera à Sartre d’avoir procédé à une
dévaluation radicale de l’imaginaire, poursuivant ainsi la tradition classique
de l’imagination. Ne peut-on lui répliquer que l’imagination, loin d’être
décevante, est une consolation face à une réalité qui ne nous satisfait pas?
N’est-elle pas en effet ce lieu d’asile et de protection, cette « réserve »
comme le dit Freud organisée « afin de permettre un substitut à la satisfaction
instinctive à laquelle il fallait renoncer dans la vie réelle »? Cette activité
imaginaire, que Freud appelle « royaume de la fantaisie », échappe ainsi à la
dure loi du principe de réalité, c’est la compensation salutaire face à tous
les refoulements que nous inflige la vie sociale. Loin de les frustrer, elle
vient combler nos désirs impossibles à satisfaire ; c’est le cas dans nos rêves
nocturnes ou dans nos fantasmes. Évoquant les fantasmes ou châteaux en Espagne
répandus chez la plupart des hommes, Freud cite principalement les désirs
ambitieux et les désirs érotiques. La conséquence, cependant, c’est que c’est
la réalité qui nous paraît alors décevante. Comment pourrait-elle être à la
hauteur des prestiges dont l’imagination pare l’objet ? Comme le remarque
Frédéric Laupies « L’imagination enchante tellement l’absence qu’elle contribue
au désenchantement de la présence. Le passage de l’imagination à la perception
donne nécessairement lieu à la déception.1 » Prenons avec Frédéric
Laupies l’exemple de l’amour qui « s’accommode mal du réel. » En effet, le réel
révèle la pauvreté, la médiocrité de l’objet aimé, génère la lassitude et
l’ennui, alors que l’objet imaginaire, loin d’avoir cette pauvreté profonde que
lui reproche Sartre, est un « absolu ». Témoin la désillusion de Swann2
lorsqu’il réalise qu’Odette n’est pas la femme aimante et remarquable qu’il
avait imaginé dans ses rêves et que, sorti de la passion, il la voit telle
qu’elle est. Il découvre une femme commune, et « qui n’était pas mon genre ».
Il s’isole alors et se retire d’un monde qui l’a déçu.
Reprenons l’exemple de Swann. L’imagination lui peint
la réalité plus belle qu’elle n’est, son pouvoir de transfiguration permet de
transcender une réalité assez terne. En aimant Odette, ses goûts esthétiques
s’enrichissent. L’imagination lui permet d’entendre la musique et d’y goûter
une joie consolatrice. En écoutant la sonate de Vinteuil, il pressent qu’il
existe un autre monde. L’imagination protège donc Swann contre les déceptions
et la platitude d’une existence dont seule elle peut extraire le bonheur et la
beauté. On peut dire la même chose de Don Quichotte, « On imagine assez bien
les heures que Don Quichotte a passées à lire avec délectation : il
s’identifiait aux personnages, cela compensait la médiocrité de sa vie et lui
faisait croire à l’avènement possible d’un monde meilleur. ». Certes, on dira
que Swann n’est qu’un rêveur, et Don Quichotte un fou.
Car la réalité ne se plie pas à leur désir. La
consolation n’est donc qu’une évasion. Si Don Quichotte, en baptisant les
choses les fait sortir de leur quotidienneté et de leur banalité - il se donne
le statut de « chevalier errant » alors qu’il n’est que vagabond, il nomme son
vieux cheval « rossinante » et une paysanne devient « Dulcinée du Toboso »
- il ne transforme pas la réalité pour autant. Celle-ci n’obéit pas à ses
injonctions et demeure aussi triste et décevante. L’imagination n’est-elle pas
alors la « superbe puissance » « maîtresse d’erreur et de fausseté » que
dénonce Pascal ? Quant Don Quichotte tombe dans les hallucinations, la
comédie vire à la tragédie. Freud lui-même le reconnaît, qui rappelle qu’à trop
se complaire dans ses fantasmes, on fuit la réalité, comme fait le névrosé : «
s’éloigner de la réalité, c’est la tendance capitale, mais aussi le risque
capital de la maladie. ». La névrose est une fausse satisfaction, car le
névrosé souffre de l’irréalité de ses modes de satisfaction. Là est la
différence comme le remarque Freud entre le rêveur et l’artiste. L’artiste
retrouve le chemin de la réalité. Non seulement il tire de ses créations un
contentement en y donnant à ses désirs une satisfaction qu’il ne trouve pas
dans la vie, mais ses productions peuvent compter sur « la sympathie des autres
hommes, étant capables d’éveiller et de satisfaire chez eux les mêmes
inconscientes aspirations de désir ». Elles deviennent source de jouissance
pour les autres grâce à « la beauté de la forme » dont il sait les orner.
1. Laupies, Leçon
philosophique sur l'imagination, 2010.
2. Charles
Swann, personnage principal du roman de Proust, Un amour de Swann. Il
finit par se rendre compte qu'il a gâché des années de sa vie pour une femme
qui ne lui plaisait pas et qui n'était pas son genre.
" Imagination et déception ", philoflo.fr.
Document 4 :
Claude
Dityvon, "Mai 68", "Prenez vos désirs pour des réalités", chambrenoire.com.
2) Écriture personnelle :
Selon
vous, les rêveurs manquent-ils de lucidité ?
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