1) Vous ferez
une synthèse objective, concise et ordonnée des documents suivants :
Document 1 :
C’était mieux avant. Combien de fois ai-je entendu ce refrain au fil de mes
«Voyages en France»?1
Il suffit de tendre l’oreille auprès des gens ordinaires pour que se répande un
entêtant parfum de nostalgie.
Comme si les progrès matériels engrangés étaient trop cher payés en
souffrances sociales de tous ordres. Solitudes, égoïsmes, méfiances, stress, angoisses
: la face sombre de notre modernité est douloureusement éprouvée par beaucoup.
Un sentiment particulièrement répandu dans les catégories populaires.
Il est de bon ton de ne point prendre au sérieux ce genre de complaintes.
Tout regret d’une époque révolue est immédiatement fiché comme une mauvaise
pensée qu’il convient de chasser d’un esprit sain. Celui qui l’exprime
imprudemment est alors renvoyé à son triste état de «vieux con» ressassant
péniblement ses «de mon temps»...
Le désir de ressusciter un passé évanoui est assurément vain. Et il n’est
pas douteux que, l’âge avançant, chacun est enclin à se réfugier dans ses
souvenirs enjolivés. Les vieux qui idéalisent le passé ne font finalement que
regretter leur jeunesse. La
savante «théorie de la sélectivité socio-émotionnelle» de Laura Carstensen2
explique sans difficulté ce processus de reconstitution biaisée de la mémoire.
Le rejet de toute hypothèse selon laquelle le passé pourrait être, d’une
manière ou d’une autre, supérieur au présent renvoie pourtant à quelque chose
de plus fondamental. L’interrogation nostalgique heurte de plein fouet un
postulat progressiste profondément enraciné dans les esprits : c’est mieux
maintenant. Le mythe d’un «sens de l’histoire» reste vivace malgré les crises
qui secouent le monde. On l’a encore constaté au cours des débats sur le
mariage homosexuel. C’est en son nom que les partisans de cette réforme se sont
attachés à disqualifier leurs adversaires. (...)
L’injonction moderne à préférer, par principe, ce qui advient à ce qui
disparaît dépasse (...) largement les frontières d’un camp politique. Elle
reflète plutôt l’idéologie dominante de nos «sociétés avancées» qui célèbrent
sans cesse l’innovation et le mouvement. (...)
Bien entendu, comme le décline une campagne publicitaire du Mouv’3,
«tout n’était vraiment pas mieux
avant». Quel qu’en soit le sens, les simplismes normatifs posés sur la
flèche du temps sont déraisonnables. Il est néanmoins significatif qu’une
chaîne de radio publique destinée aux jeunes prenne la peine de prendre le
contre-pied d’une thèse que l’on croyait réservée aux seniors.
Tel n’est plus le cas en cette époque de pessimisme envahissant.
«La nostalgie, c’était mieux avant... parce que c’était juste les vieux qui
regrettaient le temps jadis. Aujourd’hui, même les jeunes de vingt ans disent
que c’était mieux avant.»
Cette amusante remarque vient en
tête des maximes repérées par le site «C’était mieux avant»...
On peut en sourire, mais aussi le comprendre. L’idée toute simple,
longtemps tenue pour une évidence, que l’on vivrait mieux que ses parents est
aujourd’hui brisée. Un sondage nous apprenait en janvier que 60% de jeunes Français de 25 ans à 34
ans estiment qu’il vivront moins bien que leurs parents. La génération
de la précarité et du chômage de masse semble désormais douter de l’axiome
progressiste.
Les dégâts écologiques invitent, par ailleurs, à entendre d’une autre
oreille de très vieilles jérémiades. «Il n’y a plus de saisons», maugréent nos
anciens depuis la nuit des temps. Les dérèglements climatiques ne permettent
plus de leur clouer le bec aussi aisément qu’hier. Le dogme du progrès et de la
croissance infinie est ébranlé par la contrainte écologique. (...)
1. Voyages en France est le tire
d'un livre d'Eric Dupin publié aux éditions du Seuil.
2. Psychologue américaine selon laquelle en vieillissant on sélectionne les
expériences et les souvenirs positifs.
3. Mouv' est une chaîne de radio
de Radio France destinée aux jeunes.
Eric Dupin, "Et
si c'était vraiment mieux avant en France?", Slate.fr.
Document 2 :
Les hommes, la
plupart du temps sans raison, font l’éloge du temps passé et blâment le temps
présent. Aveugles partisans de tout ce qui s’est fait autrefois, ils louent non-seulement
ces temps dont ils n’ont connaissance que par la mémoire que les historiens
nous en ont conservée, mais même ceux que dans la vieillesse ils se souviennent
d’avoir vus étant jeunes. Quand ils auraient tort, comme il arrive le plus
souvent, je me persuade que plusieurs raisons peuvent les jeter dans cette
erreur.
La première, à
mon avis, c’est qu’on ne connaît pas toute la vérité sur les événements de
l’antiquité, et que le plus souvent on a caché ceux qui auraient pu déshonorer
les vieux âges ; tandis qu’on célèbre et qu’on amplifie tout ce qui peut
ajouter à leur gloire. Peut-être aussi la plupart des écrivains obéissent
tellement à la fortune du vainqueur, que, pour illustrer encore ses victoires,
non-seulement ils agrandissent tout ce qu’il a pu faire de glorieux, mais
encore qu’ils ajoutent à l’éclat même de ce qu’ont fait les ennemis ; de
sorte que tous ceux qui naissent ensuite dans le pays des vainqueurs ou des
vaincus doivent nécessairement admirer et ces hommes et ces temps, et sont
forcés d’en faire l’objet de leurs louanges et de leur amour.
Il y a plus.
C’est par crainte ou par envie que les hommes se livrent à la haine : or
ces deux sources si fécondes de haine sont taries à l’égard du passé ; car
il n’y a plus rien à craindre des événements, et l’on n’a plus sujet de leur
porter envie. Mais il n’en est pas ainsi des événements où l’on est soi-même
acteur, ou qui se passent sous nos yeux : la connaissance parfaite que
vous pouvez en avoir vous en découvre tous les ressorts ; il vous est
facile alors de discerner le peu de bien qui s’y trouve de toutes les
circonstances qui peuvent vous déplaire, et vous êtes forcés de les voir d’un
œil moins favorable que le passé, quoique souvent en vérité le présent mérite
bien davantage nos louanges et notre admiration.
Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live,
livre second, 1512-1517.
Document 3 :
« Que notre
passé soit heureux ou malheureux, il y a un plaisir dans l’action même de se
souvenir », remarque le psychanalyste Jacques André. Ce plaisir, nous en
connaissons tous le goût, quand les souvenirs reviennent par hasard ou parce
que nous allons les chercher, le temps d’une soirée entre amis : « Tu te
souviens quand on avait 10 ans et que… ? », « Et ce jour où, en classe… ? » Le
plaisir du souvenir, c’est la joie des retrouvailles… avec soi. Rassurant,
toujours à portée d’imaginaire, « le souvenir est le seul paradis dont nous ne
pouvons être chassé », écrit le romantique allemand Jean-Paul Richter. S’y
retrouver, c’est suspendre un instant le temps – et l’agitation, l’urgence,
l’inquiétude face au « futur » à préparer. Alors, évidemment, dans des sociétés
de la vitesse, où notre propre destin semble souvent nous échapper, le passé,
figé, « garanti », exerce un charme fou. Des plaquettes de chocolat
estampillées d’un « depuis 1875 », jusqu’aux tournées des stars qui ont fait
danser les baby-boomeurs à 20 ans, le succès du marketing de la nostalgie en
est témoin. Retrouver le goût de l’enfance ? Le pot de confiture Bonne Maman est
là, avec ses lettres d’écolier et son motif torchon. Retrouver nos ancêtres ?
Des milliers de sites proposent de nous faire notre arbre généalogique.
Retrouver nos « copains d’avant » ? Beaucoup d’internautes français s’y
efforcent, membres de ce réseau social que même Facebook n’a pas su détrôner.
Pourtant,
soyons honnêtes : combien d’entre nous voudraient revenir à leur 2, 10 ou 20
ans ? Si le passé nous fait rêver, c’est sous l’effet de l’émotion et sous les
traits d’une illusion, résumée en quatre mots : « C’était mieux avant. »
D’après Jacques André, cette expression renvoie « à la nostalgie – imaginaire –
d’un enfant qui a été comblé d’amour ». Quel qu’en soit le prétexte avoué,
chaque plongée dans le passé serait une quête d’un amour perdu. Quête vaine,
puisque cet amour, parfait, n’a jamais été reçu. D’où, selon la
psychothérapeute Nicole Prieur, la difficulté à s’affranchir du passé : « Cela
suppose de quitter une position infantile d’attente de consolation, c’est
accepter la réalité de la perte et du manque. »
Si nous
idéalisons facilement le passé, c’est aussi parce que, comme l’affirme le
psychologue Patrick Estrade, « dans l’effort de mémoire, notre inconscient se
charge d’aller chercher ce qui est suffisamment acceptable pour nous et de
laisser aux profondeurs ce qui ne l’est pas ». Les souvenirs de Georges Perec
en donnent l’illustration : consensuellement nostalgiques, ils ne disent rien
de la mort de son père, parti à la guerre quand il avait 4 ans, ou de celle de
sa mère, à Auschwitz, quand il en avait 7. Car l’écrivain l’avoue : « Je n’ai
aucun souvenir d’enfance » datant d’avant 11 ou 12 ans. Silence total et
définitif de sa mémoire, malgré des années d’analyse. Pas un mot sur « eux ».
Pourtant, ils sont partout, le hantent et l’orientent jusque dans son destin
d’écrivain : « J’écris parce que nous avons vécu ensemble, parce que j’ai été
un parmi eux, ombre au milieu de leurs ombres, corps auprès de leur corps ;
j’écris parce qu’ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en
est l’écriture. »
Anne-Laure
Gannac, "Le passé, refuge ou prison?", psychologies.com.
Document 4 :
Photo culte de
Woodstock (1969) figurant sur la pochette du premier disque et les mêmes quarante
ans plus tard à l'occasion de l'anniversaire du plus grand concert de rock qui
dura trois jours et rassembla environ 450 000 spectateurs. La photo de
Woodstock est de Burt Uzzle.
Ou document 4 bis
(au choix) :
Woodstock, 1969,
spectateurs.
Ecriture personnelle :
2) Pensez-vous qu'il faut éviter
d'idéaliser le passé?
ou
2bis) Les époques antérieures nous semblent-elles toujours meilleures que la nôtre?
ou
2bis) Les époques antérieures nous semblent-elles toujours meilleures que la nôtre?
Le corrigé de la synthèse est ici.
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