mardi 30 juin 2015

je me souviens : mémoire collective et histoire

L'histoire est l'étude des faits passés à dimension collective dans le but d'en constituer un récit tendant à l'objectivité.
La mémoire est le rappel individuel ou collectif du passé. 
La notion de "mémoire collective" (introduite par un sociologue, Halbwachs) désigne l'ensemble des représentations du passé propres à une société ou à une communauté. Cette mémoire collective n'a pas l'objectivité de l'histoire faite par les historiens. Elle est émotionnelle, affective et elle sert à souder la communauté, à la valoriser et à lui forger une identité. Par exemple, la mémoire collective française a forgé l'idée de la France patrie des droits de l'homme. Cette idée n'est pas vraiment exacte car les droits de l'homme ne sont pas plus nés en France qu'en Angleterre ou aux États-Unis et on peut même penser qu'ils sont apparus d'abord en Angleterre (Hobbes et Locke ont précédé Rousseau, le Bill of rights a précédé la Déclaration de 1789).
Donc l'histoire se veut impartiale, tandis que la mémoire collective est partiale, elle correspond à l'intérêt de la communauté. Il y a une autre différence. L'histoire se fixe dans des textes, tandis que la mémoire collective se trouve à la fois dans les esprits, dans les discours (ceux des médias, par exemple), dans des lois (lois mémorielles), dans les commémorations, dans ce que l'historien Nora a appelé les lieux de mémoire au sens large.
En gros au XIXe histoire et mémoire collective tendaient à coïncider. Des historiens comme Michelet écrivaient l'histoire de France pour forger une identité nationale, celle d'une France à vocation universelle.
Aujourd'hui les historiens ont soin de distinguer les deux. La mémoire collective ne doit pas être prise pour de l'histoire, elle devient même l'objet de l'histoire.
Ce que la problématique du programme appelle "mémoire vive" sans autre précision  ("Comment, somme toute, faire que la mémoire reste vive?") n'est pas clair dans ce texte. Si on parle de mémoire collective (ce que laisse penser le début du paragraphe avec l'expression "devoir de mémoire"), la mémoire vive pourrait signifier la mémoire historique que partagent les individus d'une communauté ou d'une nation. Mais le mot "vive" pose problème. L'histoire faite par les historiens n'est-elle pas vive elle-même, comme la mémoire collective, puisqu'elle est en perpétuel chantier?

Voici un extrait d'un texte d'Enzo Traverso, qui présente clairement les vecteurs de la mémoire collective :

"La mémoire est donc une représentation du passé qui se construit dans le présent. Elle est le résultat d’un processus dans lequel interagissent plusieurs éléments dont le rôle, l’importance et les dimensions varient selon les circonstances. Ces vecteurs de mémoire ne s’articulent pas dans une structure hiérarchique, mais coexistent et se transforment par leurs relations réciproques. Il s’agit tout d’abord des souvenirs personnels qui forment une mémoire subjective non pas figée mais souvent altérée par le temps et filtrée par les expériences cumulées. Les individus changent ; leurs souvenirs perdent ou acquièrent une importance nouvelle selon les contextes, les sensibilités et les expériences acquises. Il y a ensuite la mémoire collective qui, selon Halbwachs, se perpétue au sein de « cadres sociaux » plus ou moins stables, comme une culture héritée et partagée. Elle correspond à ce que la langue allemande désigne sous le terme d’expérience transmise (Erfahrung) par opposition à l’expérience vécue individuelle (Erlebnis), plus éphémère et subjective. La culture paysanne des sociétés traditionnelles et la mémoire ouvrière du monde contemporain en sont ses incarnations paradigmatiques. Mais d’autres vecteurs très puissants interviennent dans ce processus en remodelant les mémoires collectives, parfois en en forgeant des nouvelles. Il s’agit bien sûr des représentations du passé qui sont fabriquées par les médias et l’industrie culturelle, lieux privilégiés d’une véritable réification de l’histoire, ainsi transformée en un inépuisable réservoir d’images à tout moment accessibles et consommables. Il s’agit aussi des politiques mémorielles déployées par les États grâce aux commémorations, aux musées, à l’enseignement, ou par des mouvements et des associations agissant dans la société civile, parallèlement ou à l’encontre des institutions. Enfin, le droit exerce désormais son rôle en soumettant le passé à une sorte de maillage législatif qui prétend en énoncer le sens et en orienter l’interprétation selon des normes, avec le risque de transformer l’histoire en une sorte de « dispositif » d’encadrement disciplinaire. Les lois mémorielles — parfois à caractère pénal — qui ont été promulguées au cours des quinze dernières années dans plusieurs pays d’Europe continentale — le monde anglo-saxon demeure une exception à cet égard — indiquent l’ampleur du phénomène." 

Enzo Traverso, L'Histoire comme champ de bataille, Editions de La découverte.

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