mardi 23 juin 2015

Je me souviens : problématique et analyse

Thème n° 1 - Je me souviens


Problématique
Pris dans le flux de l'immédiat et du court terme, emportés par le cours accéléré de la vie, nous n'en prenons pas moins le temps de nous tourner vers le passé. Nous explorons nos souvenirs personnels, nous partageons des souvenirs communs et nous nous replongeons volontiers dans un passé reconstruit et idéalisé. Pourtant, nous acceptons aussi d'oublier, nous en percevons même la nécessité. Nous oublions ce qui est anecdotique, ce qui est accessoire ; nous oublions parfois aussi l'essentiel. La littérature contemporaine rend bien compte de ces contradictions : nous cultivons une étrange mémoire, souvent lacunaire et prête à réécrire le passé en vertu des droits de la fiction.
Notre identité n'est-elle faite que de mémoire ? Si l'individu est souvent tourné vers ses souvenirs, prompt à la nostalgie, voire à la régression, il peut aussi revendiquer son droit à l'oubli. Comment, dans un monde où l'on maîtrise mal les informations stockées dans l'espace numérique, essentiellement public, effacer les traces encombrantes dont la Toile garde l'empreinte ? Comment se construire sereinement sans l'oubli ? Quelle place accorder à l'oubli des divisions et des conflits passés ?
La société, de son côté, oscille entre la nécessité de remettre en cause les traditions, de secouer les inerties, et le devoir de mémoire : les lieux de mémoire se multiplient et les cérémonies de commémoration scandent la vie citoyenne. Entre mémoire à préserver et oubli à assumer, entre nostalgie et aspiration à la modernité, individus et société hésitent, s'inquiètent, tâtonnent. La quête est ainsi tout autant celle des temps perdus que celles des lendemains enchanteurs.
Comment concilier devoir de mémoire et nécessité de l'oubli ? Comment entretenir la mémoire tout en respectant le mouvement de la vie ? Comment, somme toute, faire que la mémoire reste vive ?

Analyse :
"Se tourner vers le passé" : cette expression peut signifier avoir conscience d'un moment que l'on a vécu (penser à son enfance, par exemple) ou avoir conscience d'une réalité dont on n'a pas fait l'expérience mais dont on connaît un témoignage (s'intéresser, par exemple, à la bataille de Waterloo). 
Cela ne signifie pas exactement la même chose que "je me souviens". En effet, on ne dira pas "je me souviens de la bataille de Waterloo" mais "je me souviens de la narration de cette bataille dans La Chartreuse de Parme" par exemple.
On voit donc qu'il y a un décalage dans cette problématique intitulée "je me souviens". Le verbe "se souvenir" implique une expérience passée ou une connaissance tirée de cette expérience. En revanche, se tourner vers le passé n'implique pas nécessairement un passé vécu par le sujet (s'intéresser aux Gaulois, par exemple).
 "Je me souviens" a pour objet une connaissance directe acquise par le sujet (le passage du roman qui raconte la bataille de Waterloo). De même on peut dire "je me souviens des paroles de la chanson des Beatles qui s'appelle All you need is love". Dans ces deux exemples, le souvenir est celui non d'un moment particulier du passé (mémoire épisodique) mais d'une connaissance qui subsiste dans le temps (mémoire sémantique). Ce n'est donc pas exactement le même souvenir que celui qui porte sur un moment particulier du passé. Mais dans les deux cas, il s'agit d'avoir conscience d'une chose dont on a acquis soi-même la connaissance dans le passé. 
Le décalage vient de ce que la problématique associe la conscience du passé personnel et la conscience d'événements que l'on n'a pas vécus.
Les deux premiers paragraphes du texte portent sur le souvenir du passé personnel et le troisième sur la mémoire collective. Dans le deuxième paragraphe, il y a un glissement du souvenir comme conscience du passé à la subsistance du passé hors de soi, dans les "traces" que sont les écrits et les images du Web. 
Il faut bien distinguer d'abord l'évocation de faits passés (souvenir d'enfance ou monument aux morts de 14-18) et la subsistance du passé dans le présent (un château-fort du moyen-âge par exemple). La problématique oppose la mise en cause de la tradition et le devoir de mémoire (3e paragraphe). Or la tradition n'est pas une remémoration, une représentation de ce qui a disparu, mais une persistance à travers le temps. Ensuite, il faut distinguer entre l'évocation intérieure (souvenir subjectif) et l'évocation extérieure (dans des cérémonies, des monuments, etc.).

Où sont les problèmes?
Pour ce qui est du souvenir subjectif, il n'y en a pas. Le premier paragraphe ne propose pas de problème. En résumé, il dit qu'on se tourne vers le passé et qu'on oublie aussi. Dans la vie personnelle, l'oubli et la mémoire coexistent sans aucune tension, sans aucune incompatibilité. Le texte ne problématise pas le souvenir et l'oubli subjectifs. La question, par exemple, du pardon, de l'oubli d'un événement traumatisant, de la résilience et en même temps de la reprise du passé dans le deuil ou la psychothérapie, cette question n'est pas soulevée.
Le problème ne surgit qu'avec la mémoire objective. C'est le conflit entre l'oubli éventuel du sujet et la mémoire à laquelle les autres ont accès via le Web ou d'autres traces. C'est aussi, par exemple, le problème de la réinsertion du détenu qui a purgé sa peine. Le problème est celui du droit à être reconnu différent de ce qu'on était.
Le deuxième problème qui surgit dans ce texte, c'est la tension entre conservatisme et changement, espoir et regret, devoir de mémoire et devoir d'oubli. Il s'agit, par exemple, de ne pas oublier les crimes commis et en même temps de ne pas les imputer aux générations suivantes. Le devoir de mémoire est relativement limité, alors que la "nostalgie" du passé dont parle le texte est bien plus vaste, sans parler du conservatisme. Avec les "temps perdus" et les "lendemains enchanteurs", on pourrait entrer dans le domaine du politique mais c'est inutile puisqu'il est improbable qu'un sujet politique soit donné à l'examen. La nostalgie dont il est question pourrait être illustrée par la mode du vintage du sujet de la dernière session. Le champ de la problématique s'élargit énormément, on était parti du souvenir subjectif pour passer à la mémoire collective et on finit par l'opposition entre désir d'avenir et attachement au passé. 
A la question finale "Comment concilier devoir de mémoire et nécessité de l'oubli ?", on pourrait répondre : il faut se souvenir de ce qui nous porte au bien et oublier ce qui nous porte au mal. Par exemple, il faut être reconnaissant mais pas rancunier, se souvenir des crimes et des erreurs du passé pour les éviter et non pour continuer d'en accuser les auteurs ou leurs descendants. 
Pour le reste, on pourrait se figurer la mémoire comme un bibliothécaire ou un magasinier. Elle enregistre, elle conserve et elle présente (ou actualise). La phrase "je me souviens" correspond à l'actualisation de ce qui a été enregistré et conservé. L'oubli peut être soit la destruction de l'enregistrement, soit sa non actualisation. Soit le livre est mis au pilon soit le bibliothécaire n'arrive pas à mettre la main dessus. Par exemple, j'oublie de descendre la poubelle et ensuite je me souviens que j'ai oublié de le faire. Comme notre cerveau a une capacité limitée, il faut bien que des enregistrements disparaissent, il faut faire de la place pour de nouveaux livres dans la bibliothèque. Mais cela se fait automatiquement, indépendamment de notre volonté. Je choisis ce dont je dois me souvenir (descendre la poubelle, avec un post-it éventuellement) mais je ne choisis pas ce que j'oublie. Il n'y a pas à se demander comment concilier psychologiquement mémoire et oubli. L'oubli (définitif ou provisoire) se fait automatiquement. Mais, si l'on pense à la société et non à l'individu, alors la question se pose. On ne peut pas conserver toutes les vieilles maisons, il faut bien en construire de nouvelles à la place. Ou, pour utiliser une autre image, il arrive un moment où mon espace disque est saturé. Quels fichiers vais-je supprimer? La conciliation exige une sélection. Dans la société, qui va se charger de cette sélection et sur quels critères? Par exemple, on va conserver l'ancien camp d'Auschwitz, mais on va détruire le Vélodrome d'hiver et une partie du camp de Drancy (voir à ce sujet le problème du sort de la cité de la Muette selon le lien ci-joint). Il n'y a pas que le problème de la destruction des traces. Il y a aussi celui de leur occultation ou de leur mise à l'écart (une trace peut être conservée sans être rappelée). Pourquoi certains faits sont-ils l'objet d'un enseignement et d'une commémoration et pas d'autres? Quel parti pris détermine la sélection qui est opérée par la société ou par l’État? Il y a une injonction civique à honorer certaines victimes et certains vainqueurs. Pourquoi honorer à ce point, par exemple, la mémoire d'un Napoléon qui a causé paraît-il environ deux millions cinq cent mille pertes militaires en Europe et que beaucoup considèrent comme un despote, éclairé certes, mais despote? Pourquoi honorer la mémoire des soldats morts au combat en 14-18 et ne pas réhabiliter les fusillés pour l'exemple? En somme sur le plan social et politique, le souvenir et l'oubli semblent inspirés par un intérêt collectif qui n'est peut-être pas toujours bien compris. La société concilie le devoir de mémoire et la nécessité d'oublier, par une sélection de ce dont il lui importe de se souvenir. 

De ce bref examen des problèmes il découle parmi d'autres les questions suivantes :
Pensez-vous que l'on a tendance à embellir les bons souvenirs et à estomper les mauvais? 
Se souvient-on pour échapper au présent ou pour lui donner un sens?
Les souvenirs peuvent-ils être une source d'inspiration pour nous orienter dans la vie?
Chaque homme a-t-il selon vous le devoir de se souvenir de son passé? 
Vaut-il mieux penser qu'on est ce qu'on a vécu ou ce qu'on peut vivre?
Vous paraît-il nécessaire que les hommes soient amenés à se souvenir ensemble de certains événements de l'histoire?
Avoir une nationalité est-ce avoir une mémoire nationale? 
Comment concilier mémoire communautaire, mémoire nationale et mémoire supranationale? 
Les peuples doivent-ils célébrer le souvenir des guerres?
Le souvenir des crimes et des erreurs des peuples est-il nécessaire pour éviter leur répétition?
Pensez-vous que moins les peuples (ou les individus) ont de projet d'avenir plus ils se tournent vers leur passé? 
Les peuples n'ont-ils pas tendance à embellir leur passé? 
Le souvenir fausse-t-il notre vision du présent? 
Le culte du passé ne risque-t-il pas d'étouffer la créativité? 
La tradition est-elle un souvenir ? 
    

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