samedi 24 octobre 2015

Je me souviens : sujet de culture générale n° 4




1) Vous ferez une synthèse concise, objective et ordonnée des documents suivants :

Document 1 :

Ici commence le court bonheur de ma vie; ici viennent les paisibles mais rapides moments qui m'ont donné le droit de dire que j'ai vécu. Moments précieux et si regrettés! ah! recommencez pour moi votre aimable cours; coulez plus lentement dans mon souvenir, s'il est possible, que vous ne fîtes réellement dans votre fugitive succession. Comment ferai-je pour prolonger à mon gré ce récit si touchant et si simple, pour redire toujours les mêmes choses, et n'ennuyer pas plus mes lecteurs en les répétant, que je ne m'ennuyais moi-même en les recommençant sans cesse? Encore si tout cela consistait en faits, en actions, en paroles, je pourrais le décrire et le rendre en quelque façon; mais comment dire ce qui n'était ni dit ni fait, ni pensé même, mais goûté, mais senti, sans que je puisse énoncer d'autre objet de mon bonheur que ce sentiment même? Je me levais avec le soleil, et j'étais heureux; je me promenais, et j'étais heureux; je voyais maman, et j'étais heureux; je la quittais, et j'étais heureux; je parcourais les bois, les coteaux, j'errais dans les vallons, je lisais, j'étais oisif, je travaillais au jardin, je cueillais les fruits, j'aidais au ménage, et le bonheur me suivait partout: il n'était dans aucune chose assignable, il était tout en moi-même, il ne pouvait me quitter un seul instant.
Rien de tout ce qui m'est arrivé durant cette époque chérie, rien de ce que j'ai fait, dit et pensé tout le temps qu'elle a duré n'est échappé de ma mémoire. Les temps qui précèdent et qui suivent me reviennent par intervalles; je me les rappelle inégalement et confusément; mais je me rappelle celui-là tout entier comme s'il durait encore. Mon imagination, qui dans ma jeunesse allait toujours en avant, et maintenant rétrograde, compense par ces doux souvenirs l'espoir que j'ai pour jamais perdu. Je ne vois plus rien dans l'avenir qui me tente; les seuls retours du passé peuvent me flatter, et ces retours si vifs et si vrais dans l'époque dont je parle me font souvent vivre heureux malgré mes malheurs.
Je donnerai de ces souvenirs un seul exemple qui pourra faire juger de leur force et de leur vérité. Le premier jour que nous allâmes coucher aux Charmettes, maman était en chaise à porteurs, et je la suivais à pied. Le chemin monte: elle était assez pesante, et craignant de trop fatiguer ses porteurs, elle voulut descendre à peu près à moitié chemin, pour faire le reste à pied. En marchant, elle vit quelque chose de bleu dans la haie, et me dit: Voilà de la pervenche encore en fleur. Je n'avais jamais vu de la pervenche, je ne me baissai pas pour l'examiner, et j'ai la vue trop courte pour distinguer à terre des plantes de ma hauteur. Je jetai seulement en passant un coup d'œil sur celle-là, et près de trente ans se sont passés sans que j'aie revu de la pervenche ou que j'y aie fait attention. En 1764, étant à Cressier avec mon ami M. du Peyrou, nous montions une petite montagne au sommet de laquelle il a un joli salon qu'il appelle avec raison Belle-Vue. Je commençais alors d'herboriser un peu. En montant et regardant parmi les buissons, je pousse un cri de joie: Ah! voilà de la pervenche! et c'en était en effet. Du Peyrou s'aperçut du transport, mais il en ignorait la cause; il l'apprendra, je l'espère, lorsqu'un jour il lira ceci. Le lecteur peut juger, par l'impression d'un si petit objet, de celle que m'ont faite tous ceux qui se rapportent à la même époque.

Rousseau, Les Confessions, livre VI, 1782.

Document 2 :

[Guidé par le poète latin Virgile, Dante visite les enfers. Au deuxième cercle, il rencontre les âmes des luxurieux. Parmi elles se trouvent celles de Paolo et Francesca (Françoise), des amants adultères tués par Gianciotto, frère de Paolo et mari de Francesca.]


Ainsi parlait cette ombre, d’une voix douloureuse ; et moi je baissai la tête avec tant de consternation, que le poète me dit :
— A quoi penses-tu ?
— Hélas, répondis-je, en quel moment et de quelle douce ivresse ils ont passé aux angoisses de la mort !
Levant ensuite mes yeux sur eux :
— Ô Françoise, repris-je, le récit de vos malheurs m’invite à la pitié et aux larmes ; mais dites-moi, quand vos soupirs secrets se taisaient encore, comment l’amour a-t-il osé vous parler son coupable langage ?
— Tu as appris d’un sage, me répondit-elle, que le souvenir de la félicité passée aigrit encore la douleur présente ; et cependant, si tu aimes à contempler nos infortunes dans leur source, je vais, comme les malheureux, pleurer et te les raconter. Nous lisions un jour, dans un doux loisir, comment l’amour vainquit Lancelot. J’étais seule avec mon amant, et nous étions sans défiance : plus d’une fois nos visages pâlirent et nos yeux troublés se rencontrèrent ; mais un seul instant nous perdit tous deux. Lorsqu’enfin l’heureux Lancelot cueille le baiser désiré, alors celui qui ne me sera plus ravi colla sur ma bouche ses lèvres tremblantes, et nous laissâmes échapper ce livre par qui nous fut révélé le mystère d’amour.
Tandis que cette ombre parlait, l’autre pleurait si amèrement que je sentis mon cœur défaillir de compassion ; et je tombai comme un corps que la vie abandonne.

Dante, Divine comédie, L'enfer, chant V, trad. Rivarol.

Document 3 :


Évidemment, en philosophie, dès qu’on dit quelque chose, vous pouvez être sûrs qu’on peut dire aussi le contraire. Sinon ça ne serait pas de la philosophie mais de la science. Certains disent que le bonheur est au présent ? D’autres diront que le bonheur est au passé ! Mais cette diversité des points de vue possibles ne doit pas vous faire tomber dans le relativisme : la vérité est une, car la réalité est une. En philosophie, la vérité est incertaine : il faut que vous décidiez vous-mêmes ce qui vous semble vrai !
D’abord, si le bonheur est l’inverse du malheur, il procède nécessairement d’un jugement sur notre passé : pour Schopenhauer, par exemple, le bonheur n’est rien d’autre que l’absence de malheur. Être heureux, c’est constater qu’on ne souffre plus. C’est donc toujours un jugement sur notre passé qui fait notre bonheur, par comparaison avec notre état présent. Le bonheur (s’il existe : nous avons vu que ce n’était pas évident pour Schopenhauer) peut donc être conjugué au présent, mais il n’est reconnu que par un jugement sur notre passé.
Mais on peut aller plus loin, et dire que le bonheur lui-même est avant tout au passé. Les moments les plus heureux de notre vie ne sont-ils pas plus beaux encore dans notre souvenir que quand nous les vivons ? Car quand nous vivons ces moments, nous sommes pris dans l’action, et nous sommes pleins de l’incertitude concernant l’avenir : nous ne savons pas ce qui va arriver, ni si ce bonheur va durer, etc. Par conséquent nous n’en jouissons pas de la même manière que quand nous contemplons ces mêmes moments, une fois révolus, dans nos souvenirs : alors toute incertitude a disparu, et ces scènes de notre vie se dressent dans le passé, soustraits à la fortune, indestructibles, pour l’éternité. Et quel plaisir de revisiter ces souvenirs ! Notre mémoire les embellit sans cesse, la nostalgie les éclaire de sa lumière rasante. Nous les idéalisons, si bien que le bonheur présent semble bien pâle en comparaison des bonheurs passés ! Notre âme est un tonneau, et nos souvenirs sont du vin : ils se bonifient en vieillissant.

"Un souvenir heureux est peut-être sur terre plus vrai que le bonheur"
Alfred de Musset

Marcel Proust insiste aussi sur cette idée. L’ensemble de son œuvre vise à évoquer les délices de la réminiscence : voir soudain surgir son passé au gré d’une sensation toute simple que nous vivons de nouveau et qui éveille d’autres sensations et souvenirs qui lui sont associés dans notre esprit, comme dans l’exemple célèbre de la madeleine (...).
Mais affirmer ainsi que le bonheur est « dans le passé », c’est en fait dire que le bonheur est dans la réminiscence, dans le souvenir d’un moment passé. C’est donc, en vérité, au présent que ce bonheur s’éprouve.


Jean Paul, "Le bonheur", coursphilosophie.free.fr.

 Document 4 :

 

2) Écriture personnelle :

Pensez-vous que le bonheur soit davantage dans le souvenir que dans la réalité présente ?

2 commentaires:

  1. Bonjour, serait-il possible d'avoir un corrigé de ce sujet ? merci

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  2. Bonjour,je ne trouve pas le corrigé de ce sujet! est-i en ligne? merci

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